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J’ai frémi malgré moi. Elle avait au-dessus de sa tête une preuve magnifique de l’existence de la « magie noire », digne de figurer dans les manuels.

— Je peux te montrer, ai-je dit.

Je me souvenais du jour où on avait ramené Danil après un affrontement. Plus violent que la moyenne, mais rien d’extraordinaire non plus. Simplement, il n’avait pas eu de chance. Son équipe devait arrêter une famille de lycanthropes pour une infraction minime au Traité. Ils auraient pu se rendre, et le Contrôle de la Nuit se serait arrangé avec le Contrôle du Jour. Mais ils ont préféré résister. Sans doute avaient-ils commis des crimes plus graves… des crimes de sang que le Contrôle de la Nuit ignorait. Danil marchait en tête et ils l’ont sérieusement amoché. Le poumon gauche, le cœur, une profonde blessure au foie ; et un rein arraché.

C’est le chef qui l’a rafistolé, avec l’aide du personnel au complet, de tous ceux qui en avaient la force. J’étais dans le troisième cercle dont la tâche consistait non tant à fournir de l’énergie qu’à refléter les influences externes. Je regardais Danil de temps à autre. Il plongeait dans la Pénombre, tantôt seul, tantôt avec le chef. Et à chaque réapparition, ses blessures diminuaient. Ce n’était pas si compliqué, mais très impressionnant. Ses blessures étaient fraîches et n’étaient pas déterminées à l’avance. Mais j’étais certain que le chef pourrait également guérir la mère de Svetlana. Même si son destin devait s’interrompre dans un avenir proche, même en supposant que sa mort soit inévitable. Il pourrait la guérir. Et elle mourrait d’autre chose.

— Anton, tu n’as pas peur de me dire ça ?

J’ai haussé les épaules.

— Donner de l’espoir, c’est une responsabilité. Je ne crois pas aux miracles. Mais là, je suis prête à y croire. Ça ne te fait pas peur ?

Je l’ai regardée dans les yeux.

— Non, Svetlana. J’ai peur de bien des choses. Mais pas de cela.

— Anton, la tornade a diminué de vingt centimètres. Le chef m’a demandé de te féliciter. 

Quelque chose m’a déplu dans sa voix. Quand on parle à travers la Pénombre, c’est différent d’une conversation ordinaire, mais les émotions demeurent perceptibles.

— Que se passe-t-il ? 

— Continue de travailler. 

— Que se passe-t-il ? 

— J’aimerais avoir ton assurance, a dit Svetlana.

Elle a regardé par la fenêtre.

— Tu n’as rien entendu ? Une espèce de bruissement.

— C’est le vent, ou un passant. Olga, dis-moi ce qui se passe !

— Anton, la tornade diminue lentement. D’une manière ou d’une autre, tu renforces la résistance interne de la victime. D’après nos calculs, au matin la tornade aura suffisamment diminué pour que je puisse agir. 

— Alors où est le problème ? Olga, il y a un problème, je le sens ! 

Silence.

— Olga, nous faisons équipe ? 

La réplique a porté. Je ne voyais pas la chouette, mais ses yeux, je l’ai senti, ont lancé un éclair et elle a tourné la tête vers l’état-major. Pour regarder le chef et l’observateur du Contrôle du Jour.

— Anton, il y a un problème avec le garçon. 

— Avec Egor ? 

— Anton, à quoi penses-tu ? a demandé Svetlana.

Difficile de soutenir deux conversations à la fois, dans le

monde réel et dans la Pénombre.

— Je me dis que j’aimerais pouvoir me dédoubler.

— Anton, tu as une mission beaucoup plus importante. 

— Olga, parle ! 

— Je ne saisis pas, a dit Svetlana.

— Vois-tu, je viens de comprendre que l’un de mes amis avait des ennuis. De très gros ennuis.

Je l’ai regardée dans les yeux.

— La vampire, elle a capturé le gamin. 

Ni émotion ni pitié ni colère ni tristesse. Juste une sensation de froid et de vide à l’intérieur de moi.

Je suppose que je m’y attendais. Je ne sais pourquoi.

— Ours et Tigron étaient pourtant sur place ! 

— Ils n’ont pas pu l’arrêter. 

— Que lui a-t-elle fait ? 

Pourvu qu’elle ne l’ait pas initié ! La mort ordinaire valait mieux. La mort éternelle, c’est bien pire.

— Il est vivant. Elle l’a pris en otage. 

— Quoi ? 

Impensable. Jamais une telle chose n’était arrivée. Les prises d’otages, c’était un jeu réservé aux humains.

— La vampire exige des pourparlers. Elle veut un procès… Elle espère s’en sortir. 

Intérieurement, j’ai félicité la vampire pour son raisonnement. Elle n’avait aucune chance de s’échapper. Mais elle pouvait rejeter la responsabilité sur son compagnon déjà éliminé, qui l’avait initiée… Je n’ai rien fait, je n’ai rien compris. Il m’a mordue. Je suis devenue ce que je suis. Je ne connaissais pas les règles. Je n’avais pas lu le Traité. Je suis prête à devenir une vampire comme les autres, respectueuse de la loi.

Ça pouvait marcher ! Surtout si le Contrôle de la Nuit acceptait quelques concessions. Et nous les accepterions… pas moyen de faire autrement. Toute vie humaine doit être protégée.

J’ai ressenti un certain soulagement. Ce gamin, que représentait-il pour moi ? Si le sort l’avait désigné, il serait devenu une victime légale pour les vampires et les lycanthropes. On n’y pouvait rien. Et je serais passé sans intervenir. Et même sans cela, que de fois le Contrôle de la Nuit n’était pas arrivé à temps, que d’humains avaient péri, victimes des Sombres… Mais je m’étais déjà battu pour lui, j’avais versé mon sang dans la Pénombre. Et son sort ne m’était plus indifférent. Il m’importait au contraire.

La communication dans la Pénombre est plus rapide que dans le monde humain, mais je devais me partager entre Olga et Svetlana.

— Anton, ne te casse donc pas la tête avec mes problèmes, a dit cette dernière.

J’ai failli éclater de rire. Des centaines de gens se cassaient en ce moment la tête avec ses problèmes, mais Svetlana ne s’en doutait nullement. Cependant, à peine avais-je évoqué les problèmes d’Egor, minuscules comparés à sa tornade infernale, la jeune femme les avait immédiatement repris à son compte.

— Vois-tu, Sveta, un malheur n’arrive jamais seul. Ce n’est pas de toi que je parlais. Mais de quelqu’un d’autre, qui a aussi de très gros ennuis. Des ennuis personnels, mais ce n’en est pas plus facile pour autant.

Elle a compris, et sans manifester de confusion, ce qui m’a plu. Elle a juste précisé :

— Moi aussi, ce sont des ennuis personnels.

— Pas tout à fait. Enfin, il me semble.

— Et cet ami, tu peux l’aider ?

— D’autres l’aideront.

— Tu es sûr ? Merci de m’avoir écoutée, mais moi, il n’y a vraiment aucun moyen de me venir en aide. C’est le destin.

— Elle me chasse ? ai-je demandé à travers la Pénombre.

Je n’avais pas envie d’effleurer sa conscience.

— Non, a répondu Olga. Non, Anton, elle sent les choses.

Se pourrait-il que Svetlana ait les capacités d’une Autre ? Ou est-ce une inspiration passagère, générée par la présence de l’inferno ?

— Que sent-elle ?