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— Egor, a appelé doucement Zébulon, tu as compris la différence entre nous ? Quel camp te semble préférable ?

Egor se taisait. Peut-être à cause des griffes qui effleuraient sa gorge.

— Nous avons un problème ? a demandé Tigron d’une voix ronronnante.

— Oui.

— Quelle est votre décision ? a demandé Zébulon.

Ses agents se taisaient pour le moment, sans intervenir.

— Ça ne me plaît pas, a dit Tigron.

Elle s’est légèrement rapprochée du mage noir, me cinglant le genou avec sa queue.

— Le point de vue du Contrôle du Jour… sur ces événements ne me plaît pas du tout.

Ours partageait certainement cette opinion. Quand ils travaillaient ensemble, un seul parlait pour les deux. J’ai regardé Ilya : il tournait sa baguette entre ses doigts en souriant d’un air rêveur qui ne présageait rien de bon. Comme un enfant qui au lieu d’une arme en plastique aurait apporté un vrai pistolet mitrailleur chargé pour le montrer à ses copains. Semion, quant à lui, ne se souciait guère de cet échange verbal, il ne faisait pas dans le détail. Il avait soixante-dix ans de course sur les toits à son actif.

— Zébulon, tu parles au nom du Contrôle du Jour ? ai-je demandé.

Une ombre d’hésitation a traversé son regard.

Que se passait-il donc ? Pourquoi Zébulon avait-il quitté notre état-major, négligeant l’occasion unique de recruter un mage inconnu d’une force extraordinaire ? C’était idiot de laisser passer une telle chance, même pour une vampire et un jeune garçon potentiellement puissant. Pourquoi Zébulon nous poussait-il à nous battre ?

Et pourquoi ne voulait-il pas – c’était assez évident – agir officiellement ?

— Je parle en mon nom personnel, a répondu Zébulon.

— Dans ce cas, il semble que nous ayons un petit différend personnel, ai-je répliqué.

— On dirait bien.

Il n’avait aucune envie de mêler les Contrôles à cette histoire. En ce moment, nous étions simplement des Autres. Même si nous étions en service. Zébulon ne voulait pas d’un conflit officiel. Pourquoi cette attitude ? Avait-il donc une telle confiance en ses propres forces ou craignait-il à ce point l’apparition du chef?

C’était à n’y rien comprendre.

Et surtout, pourquoi abandonner son poste d’observation ? Les Sombres tenaient tellement à ce que nous leur remettions le mage noir auteur de la malédiction. Et soudain, ils y renonçaient ?

Que savait Zébulon, que nous ne savions pas ?

— Vos pitoyables…, a dit le mage noir.

Il n’a pas eu le temps d’achever sa phrase. La victime venait de jouer un coup inattendu.

J’ai entendu le grognement stupéfait d’Ours et je me suis retourné.

Egor, confiné depuis une demi-heure dans le rôle d’otage, était en train de disparaître.

De s’enfoncer plus profondément dans la Pénombre.

La vampire a tenté de le retenir, ou peut-être de le tuer. Sa main griffue n’a pas rencontré d’obstacle, et elle s’est frappée elle-même, sous le sein gauche, en plein cœur.

Dommage qu’elle ne soit pas vivante !

Ours a bondi comme une avalanche de neige, a traversé l’espace qu’Egor venait de libérer, faisant tomber la vampire dont le corps a totalement disparu sous sa masse, laissant seulement émerger une main griffue qui frappait spasmodiquement le flanc velu d’Ours.

Au même instant, Ilya a brandi sa baguette. La clarté mauve a légèrement décru avant que l’instrument n’explose en colonne de lumière blanche. On aurait dit le faisceau d’un projecteur, aveuglant et si concentré qu’il en devenait tangible. Avec un certain effort, Ilya a levé les bras, éraflant le ciel gris d’une lueur que Moscou n’avait pas connue depuis la dernière guerre, pour abattre sur Zébulon cette massue étincelante.

Le mage noir a poussé un cri.

Il s’est écroulé, pressé contre le toit ; le faisceau lumineux, échappant aux mains d’Ilya, est devenu autonome, non plus colonne de clarté, mais serpent de feu blanc tourbillonnant, qui s’est couvert d’écailles argentées. L’extrémité de son corps gigantesque s’est aplatie, se transformant en capuchon d’où a surgi une tête aux yeux fixes de la taille d’un pneu de voiture. Une langue bifide a jailli, comme la flamme d’un chalumeau à gaz.

J’ai reculé d’un bond, la queue a failli me toucher. Le cobra incandescent s’est roulé en boule, serrant Zébulon entre ses anneaux, le frappant de sa tête. Derrière, trois ombres étaient en train de se battre, que leurs mouvements transformaient en tramées brumeuses. Je n’avais pas remarqué le bond de Tigron lorsqu’elle avait attaqué le sorcier et la sorcière.

Ilya s’est mis à rire doucement en sortant de sa ceinture une deuxième baguette, moins brillante, qu’il avait sans doute chargée par ses propres moyens.

Il avait donc une arme personnellement destinée à Zébulon ? Le chef savait donc que nous devrions l’affronter ?

J’ai parcouru la scène des yeux. À première vue, la situation paraissait sous contrôle. Ours frappait méthodiquement la vampire de ses pattes, on entendait de temps à autre ses cris confus. Tigron était occupée avec les Sentinelles du Jour et n’avait apparemment pas besoin d’aide. Le cobra blanc étranglait Zébulon.

Ilya, sa baguette prête, observait le champ de bataille, se demandant visiblement où intervenir. Semion, perdant tout intérêt pour la vampire et n’en manifestant toujours pas à Zébulon ni aux sorciers, parcourait le bord du toit, surveillant les alentours. Il craignait peut-être l’arrivée de renforts du côté des Sombres.

Et moi, je me tenais là, comme un imbécile, mon arme inutile à la main.

Mon ombre s’est projetée du premier coup. Je suis entré en elle, sentant aussitôt la brûlure du froid. Pas le froid familier aux humains ni celui que connaît tout Autre, mais le froid de la Pénombre profonde. Le vent s’est tu, la neige et la glace ont disparu sous mes pieds. Ici, il n’y avait pas de mousse bleue. Partout, un brouillard épais, visqueux, grumeleux. Si le brouillard peut être comparé à du lait, celui qui régnait à ce niveau de Pénombre évoquait du lait caillé. Amis et ennemis n’étaient plus que des contours vagues. Seul le cobra de feu combattant Zébulon avait gardé son éclat : leur combat se déroulait dans toutes les couches de la Pénombre. Imaginant la quantité d’énergie mise en réserve dans la baguette, je me suis senti encore plus déboussolé.

Pourquoi ? Dans quel but ? Ni la jeune vampire ni le garçon ne valaient tant d’efforts.

— Egor !

Je commençais à geler. Je n’avais plongé au second niveau de la Pénombre que deux fois dans ma vie : durant mon stage en compagnie de mon instructeur et la veille, pour franchir une porte fermée. Je ne bénéficiais pas d’une protection adaptée et je perdais mes forces à chaque instant.

— Egor !

J’ai marché à travers le brouillard. Des coups sourds ont retenti derrière moi : le serpent était en train de marteler son adversaire contre le toit, le maintenant serré dans sa gueule.

A ce niveau, le temps s’écoule encore plus lentement, aussi y avait-il une petite chance que le gamin n’ait pas encore perdu connaissance. Je me suis dirigé vers l’endroit où il avait disparu, essayant de distinguer quelque chose, sans remarquer le corps étendu à mes pieds. J’ai trébuché dessus et je suis tombé. En me relevant, je me suis retrouvé face à face avec Egor.

— Ça va ? ai-je bêtement demandé.

Bêtement, parce que ses yeux étaient ouverts et me regardaient.

— Oui.

Nos voix résonnaient sourdement. Deux ombres se débattaient à proximité : Ours continuait de massacrer la vampire. Elle avait une sacrée résistance.