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— Je dois te sauver, dit Maxime. (De sa main libre, il tira son poignard de sa poche.) Et je te sauverai.

J’ai d’abord reconnu la voiture.

Puis l’homme qui en était sorti.

Un lourd sentiment d’angoisse et de désespoir s’est emparé de moi. Le Sauvage n’était autre que l’homme qui m’avait sauvé quand j’avais fui le « Maharadja » dans le corps d’Olga.

J’aurais dû m’en douter. Si j’avais eu un peu plus d’expérience, de temps et de sang-froid. La femme qui était avec lui… il m’aurait suffi de regarder son aura. Svetlana l’avait décrite en détail. J’aurais pu la reconnaître. J’aurais pu mettre fin à cette histoire quand j’étais dans leur voiture.

Mais de quelle manière ?

J’ai plongé dans la Pénombre lorsque le Sauvage a tourné la tête dans ma direction. Il ne m’a pas vu, il s’est dirigé vers l’entrée de l’immeuble où j’avais un jour bavardé avec une chouette blanche, assis devant un vide-ordures.

Le Sauvage s’apprêtait à tuer Egor. Exactement comme je le pensais. Conformément aux calculs de Zébulon. Le piège était devant moi et le ressort bien tendu commençait à vibrer. Un pas de plus, et le Contrôle du Jour pourrait se féliciter d’une opération brillamment réussie.

Où es-tu, Zébulon ?

La Pénombre me donnait du temps. Le Sauvage avançait lentement vers l’immeuble tandis que je regardais autour de moi cherchant la présence de l’Obscurité. Une trace, un souffle, une ombre…

La pression magique en ce lieu était effrayante. Ici coïncidaient tous les fils tendus vers l’avenir. Je me tenais au carrefour de cent routes, en un point où le monde devait décider de la marche à suivre. Pas à cause de moi, ni du Sauvage ni d’Egor. Nous n’étions tous qu’une part du piège. Des figurants dont l’un devait annoncer « Monsieur est servi », l’autre tomber et le troisième monter à l’échafaud la tête haute. Pour la deuxième fois, cet endroit était l’arène d’une lutte invisible. Cependant, je ne voyais aucun Autre : ni Sombres ni Clairs. Uniquement le Sauvage qui n’avait même pas l’air d’un Autre. Seul un concentré de Force étincelait sur sa poitrine. J’ai d’abord cru que je voyais son cœur. Puis j’ai compris que c’était une arme, l’arme dont il se servait pour tuer.

Je me sentais vexé. Où es-tu, Zébulon ? Regarde. Je suis là ! Sur le point de mettre le pied dans ton piège. Il va se refermer dans un instant. Qu’attends-tu pour te montrer ?

Soit il se cachait si bien que j’étais incapable de le découvrir…

soit il n’était pas là.

J’étais en train de perdre. Avant même la scène finale. Faute de comprendre le plan de l’adversaire. Les Sombres auraient dû être postés en embuscade pour éliminer le Sauvage dès qu’il aurait tué Egor.

Mais j’étais là. J’allais tout lui expliquer, lui parler des Contrôles qui se surveillent mutuellement, du Traité qui nous oblige à maintenir le statu quo, des humains et des Autres, du monde et de la Pénombre. Je lui raconterais tout, comme je l’avais fait pour Svetlana, et il comprendrait.

Mais comprendrait-il ?

II ne savait pas voir la Lumière.

Les gens à ses yeux n’étaient qu’un troupeau de moutons gris et stupides. Les Sombres étaient des loups qui tournaient autour, égorgeant les brebis les plus grasses. Et lui, il était un chien. Incapable de voir les bergers, aveuglé par la peur et la colère, tournant en rond, seul contre tous.

Il refuserait de me croire.

J’ai couru vers lui. La porte de l’immeuble venait de s’ouvrir, il se tenait devant Egor, il lui parlait. Pourquoi le gamin avait-il commis la stupidité de sortir si tard ? Le Sauvage était donc capable d’attirer ses victimes ?

Inutile de chercher à le convaincre. L’attaquer par la Pénombre. L’immobiliser d’abord et lui parler ensuite, c’était la seule solution.

La Pénombre a glapi à mille voix blessées quand j’ai percuté en pleine course une barrière invisible. A trois pas du Sauvage, je me suis étalé par terre, secouant ma tête où résonnait une volée de cloches.

C’était mauvais. Très mauvais ! Il ne comprenait pas la nature de la Force. C’était un autodidacte, un psychopathe du Bien. Mais quand il entrait en action, il se protégeait d’une barrière magique. Inconsciemment, mais ça n’y changeait rien.

Le Sauvage a dit quelque chose à Egor et a mis la main dans sa poche intérieure.

Un poignard en bois. J’avais déjà entendu parler de ce type de magie, naïve et puissante, mais ce n’était pas le moment de me souvenir de ce que j’en savais.

J’ai jailli de la Pénombre et je l’ai attaqué par-derrière.

Maxime fut jeté à terre au moment où il brandissait son arme. Le monde avait déjà viré au gris, les mouvements du gamin s’étaient ralentis : il voyait ses paupières s’abaisser lentement, pour la dernière fois, avant de s’ouvrir largement sous l’effet de la douleur. La nuit s’était muée en tribune crépusculaire où il avait coutume de prononcer son jugement et d’exécuter son verdict, sans que rien ni personne puisse l’arrêter.

Mais on l’avait arrêté. On l’avait fait tomber. Au dernier moment, Maxime eut le temps de tendre le bras, il roula au sol et se releva aussitôt.

Un troisième personnage venait d’entrer en scène. Comment avait-il fait pour passer inaperçu ? Comment était-il parvenu jusqu’à Maxime, alors même que celui-ci était sur le point d’accomplir sa tâche ; la force lumineuse qui le guidait dans son combat aurait pourtant dû le protéger des témoins superflus.

Un homme, légèrement plus jeune que lui. En jean et en pull, avec un sac en bandoulière qu’il venait de laisser tomber.

Un revolver à la main !

C’était vraiment ennuyeux.

— Arrête, dit l’homme, comme si Maxime avait eu l’intention de fuir. Écoute-moi.

Un simple passant qui l’avait pris pour un tueur d’enfants ? Mais comment expliquer la présence d’une arme et son adresse à passer inaperçu ? Un militaire en civil ? Mais il aurait tiré, ou l’aurait frappé une seconde fois pour l’empêcher de se relever.

Maxime examina l’inconnu avec appréhension. Et si c’était une autre émanation du mal… Il n’avait jamais combattu deux ennemis à la fois.

Nulle trace d’Obscurité. Pas la moindre.

— Qui es-tu ? demanda Maxime, oubliant presque le gamin qui se rapprochait lentement de son sauveur.

— Une Sentinelle du Contrôle de la Nuit. Anton Gorodetski.

— Ecoute-moi.

De sa main libre, Anton attrapa le garçon pour le placer derrière lui.

— Le Contrôle de la Nuit ? demanda Maxime, essayant toujours de découvrir des traces d’Obscurité chez l’inconnu.

Rien. C’était là le plus effrayant.

— Tu sers l’Obscurité ?

II ne comprenait pas. Il essayait de me sonder, je sentais son tâtonnement avide, tendu et en même temps maladroit, j’ignore si j’aurais pu me cacher. Dans cet homme et cet Autre, car il était les deux à la fois, vivait une force primitive, une énergie fanatique d’une violence inimaginable. Je ne me cachais pas.

— Le Contrôle de la Nuit ? Tu sers l’Obscurité ?

— Non. Comment t’appelles-tu ?

— Maxime. Qui es-tu ?

Le Sauvage se rapprochait lentement, me scrutant, comme s’il devinait m’avoir déjà rencontré sous une autre apparence.

— Je travaille au Contrôle de la Nuit. Je vais tout t’expliquer. Écoute-moi. Tu es un mage blanc.

Le visage de Maxime a frémi, ses traits se sont figés.

— Tu tues des Sombres. Je le sais. Ce matin, tu as tué une femme-lycanthrope. Et ce soir, dans un restaurant, tu as assassiné un mage noir.