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— Toi… aussi ?

C’était peut-être une simple impression. Ou peut-être une note d’espoir a-t-elle vraiment vibré dans sa voix. J’ai remis ostensiblement mon arme dans son étui.

— Je suis un mage blanc. Pas très puissant, il est vrai. Un parmi plusieurs centaines qui vivent à Moscou. Nous sommes nombreux.

Ses yeux se sont élargis et j’ai compris que j’avais touché juste. Ce n’était pas un fou qui se prenait pour Superman et en était fier. Son plus ardent désir était sans doute de rencontrer quelqu’un qui soit comme lui. Tout allait peut-être s’arranger sans violence et sans effusion de sang.

— Maxime, nous ne t’avons pas découvert à temps. Nous sommes fautifs. Tu t’es lancé seul dans la bataille et tu as fait pas mal de dégâts. Mais tout peut encore s’arranger. Tu ignorais le Traité…

Il ne m’écoutait pas. Il n’avait que faire de ce Traité. Le plus important pour lui était de ne plus être seul.

— Vous combattez l’Obscurité ?

— Oui.

— Vous êtes nombreux ?

— Oui.

Maxime m’a regardé de nouveau, et de nouveau, le souffle perçant de la Pénombre est passé dans son regard. Il essayait de voir mon mensonge, la marque de l’Obscurité, le mal, la haine : les seules choses qu’il lui était donné de voir.

— Tu n’es pas un Sombre, a-t-il constaté d’une voix presque plaintive. Je le vois. Je ne me suis encore jamais trompé !

— Je suis une Sentinelle, ai-je répété.

Je me suis retourné. Personne. Quelque chose faisait fuir les gens. Sans doute un autre de ses pouvoirs.

— Ce garçon…

— C’est aussi un Autre, mais il ne s’est pas encore déterminé, il peut devenir un mage blanc, ou…

Maxime a secoué la tête.

— C’est un mage noir.

J’ai regardé Egor qui a lentement levé les yeux vers moi.

— Non, ai-je dit.

Son aura était bien visible : un arc-en-ciel pur et changeant, habituel pour les très jeunes enfants, mais pas pour un adolescent. Il avait son propre destin, son avenir n’était pas encore tracé.

— Il est Sombre, a insisté Maxime. Tu ne le vois donc pas ? Je ne me trompe jamais. Tu m’as arrêté, tu m’as empêché d’éliminer un émissaire des ténèbres.

Il avait probablement raison. Ses pouvoirs étaient peu nombreux, mais parfaitement ciblés. Il savait percevoir les moindres taches noires dans les âmes. C’étaient même les taches les plus faibles, à peine naissantes, qu’il voyait le mieux.

— Nous ne tuons pas tous les Sombres.

— Pourquoi ?

— Nous avons signé un armistice.

— Il n’y a pas d’armistice avec l’Obscurité.

J’ai frémi. Il n’y avait pas l’ombre d’un doute dans sa voix.

— La guerre est toujours pire que la paix.

— Sauf celle-ci.

Maxime a brandi son poignard.

— Tu vois ? C’est un cadeau. Le cadeau d’un ami. Il est mort. Peut-être à cause de quelqu’un comme ce garçon. L’Obscurité est perfide !

— C’est à moi que tu dis ça ?

— Tu es peut-être un mage blanc, a-t-il déclaré avec une moue amère. Mais en ce cas, votre Lumière a terni depuis longtemps. Il ne saurait y avoir de pardon pour le mal. Il ne saurait y avoir de paix avec l’Obscurité.

C’était à mon tour d’être en colère.

— Pas de pardon pour le mal ? Et pour celui que tu as causé ? Lorsque tu as tué ce mage noir dans les toilettes, pourquoi n’es-tu pas resté quelques minutes de plus ? Pour voir crier ses enfants et pleurer sa femme ? Ce n’étaient pas des Sombres, Maxime ! Mais des gens ordinaires qui n’ont pas nos pouvoirs ! Tu as secouru une jeune femme en la prenant dans ta voiture…

Il a sursauté, mais son visage est demeuré impassible.

— C’est très bien. Mais sais-tu que c’est à cause de toi, à cause de ton crime qu’elle a failli se faire tuer ? Le sais-tu ?

— C’est la guerre.

— Tu as inventé toi-même ta propre guerre, ai-je dit doucement. Tu es un comme un enfant avec ton poignard en bois. Tu considères qu’on ne fait pas d’omelettes sans casser d’œufs, n’est-ce pas ? Que tout est permis dans le grand combat que tu mènes pour la Lumière ?

— Je ne lutte pas pour la Lumière, a-t-il dit en baissant à son tour la voix, mais contre l’Obscurité. C’est tout ce qu’il m’est donné de faire. Tu comprends ? Et pour moi, il ne s’agit pas d’omelette ni d’œufs. Je n’ai pas demandé cette force, je ne l’ai pas voulue. Mais puisqu’elle m’a été accordée… je ne peux faire autrement.

Comment le Contrôle de la Nuit avait-il pu ne pas le remarquer à temps ?

Il aurait fait un excellent patrouilleur. Après de longues discussions. Après des mois de stage, des années d’entraînement, après de nombreuses crises, des erreurs, des cuites et des tentatives de suicide. Quand enfin, pas avec son cœur, car il en était incapable, mais avec son esprit froid et rigide, il aurait compris les règles de notre confrontation et de notre coexistence. Qui nous forçaient parfois à détourner les yeux en voyant des lycanthropes poursuivre leur proie et à tuer ceux des nôtres qui refusaient de détourner les yeux.

Il se tenait devant moi, le mage blanc qui en quelques années avait éliminé plus de Sombres qu’un patrouilleur en un siècle. Solitaire, traqué, sachant si bien haïr et incapable d’aimer.

Je me suis tourné vers Egor qui nous écoutait attentivement et je l’ai pris par les épaules pour le placer devant moi.

— C’est un mage noir, selon toi ? Probablement. Je crains que tu n’aies raison. Dans quelques années, ce garçon deviendra conscient de ses pouvoirs et tout s’obscurcira autour de lui. Et sa vie deviendra de plus en plus facile. Au prix de la douleur d’autrui. Tu te souviens de l’histoire de la petite sirène ? La sorcière lui a donné des jambes, mais des lames incandescentes la transperçaient à chaque pas. C’est notre histoire, Maxime ! Nous marchons toujours sur des couteaux, impossible de s’y habituer. Mais Andersen n’a pas tout dit. La sorcière aurait pu agir autrement. À chaque pas de la petite sirène, des lames incandescentes auraient frappé ceux qui l’entouraient. C’est la voie de l’Obscurité.

— Ma douleur est avec moi, a dit Maxime, et l’espoir fou qu’il était encore capable de comprendre m’est revenu.

Mais il a ajouté :

— Mais cela ne doit rien changer.

— Tu es prêt à le tuer ? ai-je demandé en indiquant Egor d’un mouvement de tête. Maxime, dis-moi. Je suis une Sentinelle du Contrôle de la Nuit et je connais la limite entre le bien et le mal. Même en tuant des Sombres, tu peux faire le mal. Dis-moi, tu es prêt à le tuer ?

Il n’a pas hésité. Il a acquiescé avec joie.

— Oui. Non seulement je suis prêt à le faire, mais je n’ai jamais laissé échapper un émissaire des ténèbres. Et je ne laisserai pas échapper celui-ci.

Le piège invisible venait de se refermer.

Si Zébulon était apparu à cet instant précis pour féliciter personnellement Maxime et m’adresser un sourire ironique, je n’en aurais pas été autrement surpris.

Puis j’ai compris que Zébulon n’était pas là. Sa présence était superflue.

Son piège n’avait pas besoin d’être surveillé. Il fonctionnait de manière autonome. Et tous les agents du Contrôle du Jour bénéficiaient en ce moment d’un alibi en béton.

Soit je laissais Maxime tuer Egor et je devenais son complice, avec tout ce qui s’ensuivait.

Soit je combattais Maxime et je l’éliminais – j’étais certainement plus fort que lui, malgré tout – supprimant la seule preuve de mon innocence, et devenant de surcroît le meurtrier d’un mage blanc.