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Maxime ne se rendrait jamais, il ne reculerait pas. C’était sa guerre, son petit Golgotha qu’il escaladait depuis des années. Vaincre ou mourir, il n’avait pas d’autre alternative.

Zébulon n’avait pas besoin de se salir les mains.

Il avait tout parfaitement manigancé. Il avait purgé les rangs des Sombres de quelques bons à rien, avait accumulé les preuves contre moi, m’avait mis en état de stress et avait même fait semblant de me tirer dessus. Me poussant à courir à la rencontre du Sauvage. Il était certainement loin d’ici. Peut-être même hors de Moscou. Ce qui ne l’empêchait pas d’observer la scène. Ce n’étaient pas les moyens techniques ou magiques qui lui manquaient. S’il nous voyait, il riait certainement de bon cœur.

J’étais dans une impasse.

Quoi que je fasse, la Pénombre définitive m’attendait.

Le mal n’a pas toujours besoin de combattre le bien de ses propres mains. Il est parfois plus facile de laisser le bien s’éliminer tout seul.

La seule issue dont je disposais était infime et affreusement lâche.

Ne pas l’arrêter à temps.

Laisser Maxime tuer le gamin, plus exactement ne pas parvenir à l’en empêcher. Après quoi, il se calmerait et accepterait de me suivre au Contrôle de la Nuit, écouterait nos explications en protestant de toutes ses forces, mais serait forcé de se rendre aux arguments définitifs et à la logique impitoyable du chef, il saurait enfin mesurer la gravité de ses actes, comprendrait quel équilibre fragile il avait rompu. Et se livrerait lui-même au Tribunal face auquel il avait malgré tout une faible chance de s’en sortir.

Je n’étais pas un patrouilleur. J’avais fait ce que j’avais pu. J’avais même réussi à percer le jeu mené par les Sombres. A voir la manœuvre élaborée par quelqu’un d’infiniment plus intelligent que moi. Mais je manquais de forces, de temps et d’adresse.

Maxime a brandi son poignard.

Le temps s’est ralenti, comme si j’étais entré dans la Pénombre. Pourtant, les couleurs n’ont pas terni, elles sont même devenues plus vives. Mes mouvements s’enlisaient, l’arme glissait vers la poitrine d’Egor en se métamorphosant : on aurait dit qu’elle acquérait un éclat métallique, qu’une flamme grise l’enrobait, le visage de Maxime était concentré, il se mordait la lèvre, et c’était le seul détail qui trahissait sa tension. Le garçon n’a pas eu le temps de comprendre, il n’a même pas essayé d’éviter le coup.

Je l’ai violemment écarté. Mes muscles refusaient d’accomplir un geste aussi absurde et suicidaire. Pour lui, petit mage noir, ce poignard était porteur de mort. Mais pour moi, il devait être porteur de vie. Il en avait toujours été ainsi. Ce qui était bon pour un Sombre était mauvais pour un Clair, et vice versa. Ce n’était pas à moi de changer les choses.

Et pourtant, je l’ai fait.

Egor est tombé, heurtant de la tête la porte de l’immeuble. Je l’avais poussé trop fort, l’important était de le sauver, tant pis pour les bosses. Une rancœur presque enfantine est passée dans le regard de Maxime.

— C’est un ennemi ! s’est-il exclamé.

— Il n’a rien fait de mal.

— Tu protèges l’Obscurité !

Il ne m’accusait plus d’être un Sombre. Il était capable de voir la différence.

Lui-même était plus blanc que neige. Et il ne s’interrogeait jamais sur le droit qu’avaient les autres de vivre ou de mourir.

Il a levé une nouvelle fois son arme, cette fois, c’est moi qu’il visait. J’ai évité le coup et j’ai tiré mon ombre vers moi.

Le monde s’est terni. Egor, qui bougeait faiblement, s’est immobilisé, les roues des voitures ne tournaient plus que par à-coups et les branches des arbres ont oublié le vent. Seul Maxime n’a pas ralenti.

Il m’a suivi sans en être conscient. Il a glissé avec aisance dans la Pénombre, comme on quitte la route pour un chemin de traverse. Peu lui importait où il se trouvait : il puisait ses forces dans sa conviction, dans sa rage blanche, dans sa haine lumineuse. Ce n’était même pas un bourreau. Mais un Inquisiteur. Bien plus effrayant que tous nos Inquisiteurs réunis.

J’ai levé la main, écartant les doigts pour faire le signe de la Force, simple et efficace. Les jeunes Autres rient beaucoup la première fois qu’on leur montre ce tour « les doigts en éventail ». Maxime ne s’est même pas arrêté, il a vacillé légèrement, a baissé la tête et a continué d’avancer vers moi. J’ai reculé, analysant fiévreusement mon arsenal magique.

Agapè, le signe de l’amour, mais il ne croyait pas à l’amour.

La triple clé, qui fait naître confiance et compréhension, mais il refusait de me faire confiance.

Opium, le symbole mauve, la voie du sommeil : j’ai senti que mes propres paupières se fermaient.

C’est donc ainsi qu’il venait à bout des Sombres. Son fanatisme et ses pouvoirs inconscients agissaient comme un miroir. Retournant l’attaque vers l’envoyeur. Hissant Maxime au niveau de son adversaire. Avec sa capacité à voir l’Obscurité et son poignard magique, ça le rendait presque invincible.

Non, bien sûr, il n’était pas capable de repousser toutes les attaques. Les coups n’étaient pas renvoyés immédiatement. Le signe de Thanatos ou l’épée blanche viendraient sans doute à bout de lui.

Mais en le tuant, je me tuerais moi-même. Je prendrais la seule route qui nous est promise à tous, celle de la Pénombre. La route des rêves gris, des illusions incolores, le froid des brumes éternelles. Il n’éprouve aucune difficulté à me considérer comme un ennemi, mais je n’aurai jamais la force d’en faire autant.

Nous tournions l’un autour de l’autre et Maxime lançait des attaques maladroites. Il ne s’était jamais vraiment battu, il avait l’habitude de tuer ses victimes avec aisance et rapidité. Au loin, j’entendais le rire sardonique de Zébulon. Et sa voix me soufflait à l’oreille :

« Tu as décidé de jouer contre l’Obscurité ? Eh bien, vas-y, joue. Tu as toutes les cartes en main. Tes ennemis, tes amis, l’amour et la haine. Choisis tes armes. N’importe laquelle. Mais tu connais déjà le résultat. Maintenant, tu le connais. »

Cette voix, je l’avais peut-être inventée. Ou peut-être pas.

— Tu es en train de te tuer toi-même ! ai-je crié.

L’étui de mon arme oscillait, comme pour me proposer de sortir mon revolver et d’envoyer vers Maxime un essaim de guêpes d’argent. Aussi aisément que je l’avais fait face à mon homonyme.

Maxime n’entendait pas. Il ne lui était pas donné d’entendre.

Svetlana, tu voulais connaître la limite où nous devons nous arrêter en combattant l’Obscurité… Pourquoi n’es-tu pas ici en cet instant ? Elle t’apparaîtrait clairement.

Mais il n’y avait personne alentour, ni Sombres pour se délecter à loisir du duel, ni Clairs qui auraient pu m’aider, se jeter sur Maxime pour l’immobiliser et mettre fin à notre danse mortelle dans la Pénombre. Il n’y avait qu’un gamin, un futur mage noir, qui se relevait lentement, et un exécuteur impitoyable au visage figé. Un paladin autoproclamé de la Lumière qui avait causé plus de mal qu’une douzaine de lycanthropes ou de vampires.

J’ai ramassé le brouillard froid et je l’ai laissé imprégner mes doigts. Une lame de feu blanc a jailli de ma paume droite. La Pénombre a grésillé, brûlant dans sa propre émanation. J’ai brandi l’épée blanche, une arme simple et sûre. Maxime s’est arrêté.

— Le bien et le mal, ai-je dit avec un étrange sourire que je ne me connaissais pas. Approche. Et je te tuerai. Tu peux être le plus Clair et le plus blanc des mages, mais ce n’est pas cela qui importe.

N’importe qui se serait sans doute arrêté. Voir une arme lumineuse naître à partir de rien, ça fait de l’effet, surtout la première fois. Mais Maxime a marché vers moi.