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— Nous allons nous battre ?

Guesser haussa les épaules.

— Je l’ignore. Mais peu importe. Zébulon est loin d’ici, et je ne crains pas les autres.

— Nous allons nous battre, dit Alisher d’une voix pensive en jetant un regard circulaire.

— Fais sortir tous les clients, demanda Guesser. Suggère-leur doucement de partir. Je veux observer ta technique. Après quoi, nous parlerons en attendant nos aimables visiteurs.

Vers onze heures, les gens ont commencé de se réveiller.

J’attendais sur une chaise longue de la terrasse, sirotant un gin tonic dans un grand verre. J’éprouvais comme un doux sentiment masochiste. Quand quelqu’un émergeait de la maison, je le saluais d’un geste amical en faisant naître un petit arc-en-ciel entre mes doigts. Un jeu d’enfant : tout le monde souriait. Iulia, encore ensommeillée, a poussé un cri d’enthousiasme en voyant l’arc-en-ciel et m’en a expédié un autre en retour. Nous avons joué ainsi pendant quelques instants, puis nous avons créé un grand arc à nous deux dont l’extrémité disparaissait entre les arbres. Iulia a annoncé qu’elle allait chercher le trésor au bout de l’arc-en-ciel et s’est éloignée, suivie par l’un des chiens, devenu aussi doux qu’un agneau.

J’attendais.

Léna est sortie la première. Guillerette, en maillot de bain. M’apercevant, elle s’est troublée un instant, puis elle m’a salué avant de courir vers le portail. Elle faisait plaisir à voir : souple, fine, débordante de vie. Elle allait se baigner dans l’eau fraîche et revenir pour déjeuner de bon appétit.

Ignat est apparu, en slip de bain et tongs.

— Salut, Anton, s’est-il exclamé joyeusement avant de se laisser tomber dans la chaise longue à côté de la mienne. Comment ça va ?

— Ça ne saurait aller mieux, ai-je répondu en levant mon verre.

— Bravo.

Il a cherché la bouteille du regard et, ne la trouvant pas, il s’est penché pour saisir ma paille et boire dans mon verre.

— Le mélange est trop faible.

— J’ai déjà eu mon compte hier soir.

— C’est vrai, il vaut mieux éviter de remettre ça. Nous, on a passé la soirée au champagne. Avant de la finir au cognac. Je pensais me réveiller avec une migraine, mais non. Tout va bien.

Je n’arrivais même pas à lui en vouloir.

— Ignat, quel métier rêvais-tu d’exercer quand tu étais petit ? lui ai-je demandé.

— Ambulancier.

— Hein ?

— Je voulais soigner les gens, mais on m’a dit qu’infirmière, c’était un métier pour les filles. Alors, j’ai décidé de devenir ambulancier.

— Mais pourquoi pas médecin ?

— Trop de responsabilités, a-t-il reconnu honnêtement. Et puis les études étaient trop longues.

— Et tu es vraiment devenu ambulancier ?

— Oui. Dans une ambulance du service psychiatrique d’urgence. Tous les médecins aimaient travailler avec moi.

— Pourquoi ?

— Premièrement, j’ai beaucoup de charme. J’étais capable de persuader n’importe quel malade, homme ou femme, de se laisser emmener à l’hôpital de son plein gré. Et deuxièmement, je pouvais voir si les gens étaient vraiment dérangés ou s’ils percevaient des choses invisibles aux autres. Parfois, une simple conversation suffisait, je leur expliquais que tout allait bien et je n’avais même pas besoin de leur faire une piqûre.

— La médecine a beaucoup perdu.

— Tu peux le dire. Mais le chef m’a persuadé que je serais plus utile en travaillant au Contrôle. Et c’est bien le cas, non ?

— Probablement.

— Je commence à m’ennuyer. Pas toi ? J’ai hâte de retourner au boulot.

— Moi aussi. Ignat, tu as un hobby ? A part… le travail.

— Pourquoi toutes ces questions ?

— Simple curiosité. À moins que ce ne soit un secret ?

— Quels secrets pouvons-nous avoir entre nous ? Je collectionne les papillons. Ma collection est l’une des meilleures du monde. Elle occupe deux pièces.

— Une belle occupation.

— Passe me voir un de ces jours, je te montrerai. Venez avec Svetlana. Elle m’a dit qu’elle aimait les papillons.

J’ai ri si longtemps que même Ignat a fini par se sentir gêné. Il s’est levé et a marmonné avec un sourire hésitant :

— Je vais donner un coup de main pour préparer le petit-déjeuner.

— Bonne chance, ai-je lancé.

Au moment où notre amant professionnel atteignait la porte, je n’ai pu me retenir de lui demander :

— Dis-moi, le chef a raison de s’inquiéter pour Svetlana ?

Ignat a porté la main au menton d’un geste à la plastique irréprochable, a réfléchi quelques instants avant de répondre :

— Oui, il a raison. Elle est trop tendue. Elle a de grandes choses à accomplir, ce n’est pas comme toi et moi.

— Mais tu as fait de ton mieux pour la détendre.

— Bien sûr ! Passez tous les deux. Je serai vraiment heureux de vous voir.

Le gin était tiède. La glace avait fondu. J’ai remarqué une légère trace de rouge à lèvres sur la paille et j’ai reposé mon verre en hochant la tête.

Guesser, tu n’as pu tout prévoir.

Mais pour t’affronter – pas en duel magique, bien sûr, cette pensée est totalement ridicule –, pour t’affronter sur le seul terrain possible, celui des mots et des actes, je dois connaître ton plan. Identifier les cartes du jeu. Et celles que tu détiens.

Quant aux joueurs…

Guesser est l’instigateur et le maître de la partie. Olga, sa conseillère. Svetlana, leur exécutante qu’ils préparent soigneusement. Et moi l’un des instruments de sa formation. Ignat, Tigron, Semion et nos autres collègues sont aussi des instruments, mais secondaires. Impossible de compter sur eux.

Les Sombres ?

Eux aussi sont présents, bien sûr, mais en arrière-plan. Zébulon et ses sbires sont inquiets que Svetlana ait rejoint notre camp. Mais ils ne sauraient intervenir ouvertement. Ils peuvent soit agir discrètement en sous-main, soit préparer une riposte spectaculaire qui mettra les Contrôles au bord de la guerre ouverte.

Qui d’autre encore ?

L’Inquisition ?

J’ai tapoté nerveusement le bras de ma chaise longue.

L’Inquisition est placée au-dessus du Contrôle du Jour et du Contrôle de la Nuit. Chargée de résoudre les litiges et de châtier les coupables, de quelque côté qu’ils se trouvent. Elle nous surveille. Constitue des dossiers sur chacun de nous. Mais les Inquisiteurs interviennent rarement. Leur discrétion fait leur force. Quand ils doivent examiner le cas d’un mage assez puissant, ils se font aider par des agents des deux Contrôles.

L’Inquisition joue certainement un rôle dans cette affaire. Je connais le chef. Il tire plusieurs avantages de la moindre action. Et l’histoire de Maxime en est un excellent exemple. Guesser a profité de l’occasion pour entraîner Svetlana, lui enseigner la maîtrise de soi et la dissimulation, mais aussi pour recruter un nouvel Inquisiteur parmi les Clairs.

Si seulement je savais ce que Svetlana est censée accomplir ! Pour l’instant, je suis dans le noir complet. Et le plus terrible, c’est que je m’éloigne de la Lumière.

J’ai mis mes écouteurs et j’ai fermé les yeux.

Cette nuit, les fleurs magiques des fougères vont éclore, Les esprits familiers regagner les foyers, Le vent souffle de l’ouest, des nuages arrivent du nord, L’ensorceleuse va bientôt m’appeler… Je vis dans l’attente d’un miracle, comme un revolver dans son étui, Comme une araignée dans sa toile, Comme un arbre dans le désert, Comme un renard noir dans son terrier…