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Je risquais gros. Les Grands magiciens sacrifient leurs amis et leurs alliés, mais même eux ne se permettent jamais d’en faire des adversaires. On ne va pas contre les siens. Les solitaires ne survivent pas.

J’ai fui à travers une forêt de longues vues les regards effrayés des enfants. Je voulais coucher avec une sirène, mais j’ignorais comment. Je voulais me transformer en tramway, pour que ta fenêtre me serve de rails, le vent souffle des faubourgs, mais ce n’est qu’un détail, Le vent souffle des faubourgs, mais ce n’est qu’un détail… Sois mon ombre, mon escalier grinçant, mon dimanche fleuri, ma petite pluie fine… Sois ma divinité, ma sève sucrée, mon électricité, ma vieille carabine. J’en suis témoin, tu étais mon vent, tu me soufflais au visage et je riais aux éclats, Je ne veux pas te quitter sans me battre, tant que tu rêves de moi… Sois mon ombre…

Une main s’est posée sur mon épaule.

— Bonjour, Svetlana, ai-je dit.

Et j’ai ouvert les yeux.

Elle était en short et maillot de bain. Ses cheveux étaient humides et soigneusement lissés. Elle venait sans doute de prendre une douche. Et moi, comme un sale porc, je n’y avais même pas pensé.

— Comment te sens-tu après hier soir ? a-t-elle demandé.

— Ça va, et toi ?

— Ça peut aller.

Elle a détourné la tête. J’attendais. « Spleen » résonnait dans mes écouteurs.

— A quoi t’attendais-tu ? a-t-elle demandé brutalement. Je suis une femme normale, jeune et en bonne santé. Je n’avais pas eu la moindre relation sexuelle depuis cet hiver. Tu t’es fourré dans la tête que Guesser voulait nous accoupler comme des chevaux dans un haras…

— Je ne m’attendais à rien du tout.

— Alors désolée de t’avoir fait cette surprise.

— Tu as senti que j’étais venu dans la pièce. En te réveillant ?

— Oui.

Svetlana a extirpé un paquet de cigarettes de sa poche étroite, en a allumé une.

— Je suis fatiguée. Je ne fais encore qu’apprendre, mais je suis fatiguée. Et je suis venue ici pour me reposer.

— C’est toi-même qui as parlé de gaieté factice…

— Et tu as sauté sur l’occasion pour enfoncer le clou.

— C’est vrai, ai-je reconnu.

— Après quoi, tu es parti te soûler la gueule et échafauder des complots.

— Quels complots ?

— Contre Guesser. Et contre moi aussi. C’est ridicule ! Même moi, je l’ai senti. Arrête de te prendre pour un Grand mage, qui…

Elle s’est interrompue, mais trop tard.

— Je ne suis pas un Grand mage, ai-je répliqué. Juste un mage de troisième classe. Deuxième classe au maximum. Chacun a ses limites qu’il ne saurait dépasser, même en vivant mille ans.

— Pardonne-moi, je ne voulais pas te faire de peine.

— Je n’ai aucune raison de t’en vouloir. Tu sais pourquoi les Sombres se marient souvent entre eux, alors que nous préférons nous trouver un conjoint parmi les humains ? Les Sombres supportent plus facilement l’inégalité et la concurrence.

— Entre un humain et un Autre, l’inégalité est plus grande encore.

— A ce stade, on ne peut plus parler d’inégalité. Nous sommes deux espèces distinctes. Le problème ne se pose même pas.

Elle a pris une profonde bouffée.

— Je veux que tu saches… Je n’avais pas l’intention… de laisser les choses aller aussi loin. J’attendais que tu descendes, que tu nous voies, que tu éprouves de la jalousie…

— Excuse-moi, j’ignorais que je devais me montrer jaloux.

— Et puis… de fil en aiguille… je n’ai pas su m’arrêter à temps…

— Je comprends parfaitement, Sveta. Tout va bien.

Elle m’a regardé avec surprise.

— Tout va bien ?

— Bien sûr. Ça n’a rien d’exceptionnel. Le Contrôle est une grande famille unie. Avec tout ce qui s’ensuit.

— Tu es vraiment un beau salaud, a jeté Svetlana. Anton, tu devrais te regarder en ce moment ! Je me demande comment tu as fait ton compte pour te retrouver dans notre camp.

— Tu voulais te réconcilier avec moi, non ? ai-je dit d’une voix étonnée. Eh bien, je suis d’accord pour faire la paix. Tout va bien. Rien n’a vraiment d’importance. C’est la vie, et dans la vie, tout peut arriver.

Elle a bondi, m’a dévisagé d’un regard glacial, pendant que je clignais des yeux en affichant une mine ahurie.

— Pauvre idiot, a-t-elle jeté, avant de retourner à l’intérieur.

A quoi t’attendais-tu, Svetlana ? À des accusations ? À des reproches ? À de la tristesse ?

Peu importe. À quoi s’attendait Guesser ? Voilà l’important. Si je sors du rôle de l’amoureux malchanceux de Svetlana, qu’est-ce que ça peut changer ? Quelqu’un d’autre l’occupera-t-il à ma place ? À moins qu’il ne soit déjà temps pour elle de rester seule ? Seule face à son grand destin ?

Il faut que je découvre le but de Guesser.

Je me suis levé brusquement. En entrant, j’ai vu Olga. Elle était seule dans le salon. Face à une vitrine ouverte où étaient exposées des armes blanches. Elle tenait des deux mains une longue lame effilée et l’examinait. Pas comme on regarde une antiquité. Tigron aussi doit regarder ses armes de cette manière. Mais son amour des vieilles épées reste malgré tout abstrait. Pour Olga, il en va différemment.

Quand Guesser est venu s’installer en Russie, à cause d’elle soit dit en passant, de telles épées étaient sans doute encore en usage…

Il y a quatre-vingts ans, quand Olga a été privée de tous ses droits, on se battait déjà d’une autre manière.

Une ex-Grande magicienne. Un Grand but qui n’a pas été atteint. Il y a quatre-vingts ans.

— Pourtant l’idée avait été soigneusement élaborée, ai-je dit.

Olga a sursauté et a tourné la tête.

— Nous ne pouvons pas vaincre l’Obscurité par nous-mêmes. Il faut que ces pauvres petits humains changent. Qu’ils deviennent doux et bons, intelligents et travailleurs. Afin que les Autres au moment de leur initiation n’aient d’autre choix que la Lumière, qu’ils ne voient plus qu’elle. Quel but magnifique…

et que de conséquences à long, très long terme quand il a été noyé dans le sang.

— Tu as tout de même trouvé, a dit Olga. A moins que tu n’aies deviné tout seul ?

— J’ai deviné.

— Bravo. Et après ?

— Quelle erreur as-tu commise, Olga ?

— J’ai accepté un compromis. Un petit compromis avec les forces obscures. Et au final, nous avons perdu.

— Nous ? En es-tu sûre ? Nous nous en sortons à chaque fois. Nous nous adaptons aux circonstances, quelles qu’elles puissent être. Et nous reprenons la lutte. Les vrais perdants, ce sont toujours les humains.

— Les échecs sont inévitables.

Olga a saisi la lourde épée d’une seule main pour la faire tournoyer au-dessus de sa tête.

— Je ressemble à un hélicoptère qui fait du surplace ?