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VI

Foudroyé par le vicaire de Jésus-Christ, abreuvé d’amertume, accablé de douleur, le saint homme Nicolas descendit sans regret de son siège illustre et quitta, pour n’y plus revenir, la ville de Trinqueballe, témoin, durant trente années, de ses vertus pontificales et de ses travaux apostoliques. Il est dans la Vervignole occidentale une haute montagne, aux cimes toujours couvertes de neige: de ses flancs descendent, au printemps, les cascades écumeuses et sonores qui remplissent d’une eau bleue comme le ciel les gaves de la vallée. La, dans la région où croit le mélèze, l’arbouse et le noisetier, des ermites vivaient de baies et de laitage. Ce mont se nomme le mont Sauveur. Saint Nicolas résolut de s’y réfugier et d’y pleurer, loin du siècle, ses péchés et les péchés des hommes.

Comme il gravissait la montagne, à la recherche d’un lieu sauvage où il établirait son habitation, parvenu au-dessus des nuages qui s’assemblent presque constamment aux flancs du roc, il vit au seuil d’une cabane un vieillard qui partageait son pain avec une biche apprivoisée. Sa cuculle retombait sur son front, et l’on n’apercevait de son visage que le bout du nez et une longue barbe blanche.

Le saint homme Nicolas le salua par ces mots:

– La paix soit avec vous, mon frère.

– Elle se plaît sur cette montagne, répondit le solitaire.

– Aussi, répliqua le saint homme Nicolas, y suis-je venu terminer, dans le calme, des jours troublés par le tumulte du siècle et la malice des hommes.

Tandis qu’il parlait de la sorte, l’ermite le regardait attentivement:

– N’êtes-vous pas, lui dit-il enfin, l’évêque de Trinqueballe, ce Nicolas dont on vante les travaux et les vertus?

Le saint pontife ayant fait signe qu’il était cet homme, l’ermite se jeta à ses pieds.

– Seigneur, je vous devrai le salut de mon âme, si comme je l’espère, mon âme est sauvée.

Nicolas le releva avec bonté et lui demanda: – Mon frère, comment ai-je eu le bonheur de travailler à votre salut?

– Il y a vingt ans, répondit le solitaire, étant aubergiste à l’orée d’un bois, sur une route abandonnée, je vis, un jour, dans un champ, trois petits enfants qui glanaient; je les attirai dans ma maison, leur fis boire du vin, les égorgeai pendant leur sommeil, les coupai par morceaux et les salai. Le Seigneur, regardant vos mérites, les ressuscita par votre intervention. En les voyant sortir du saloir, je fus glacé de terreur: sur vos exhortations, mon cœur se fondit; j’éprouvai un repentir salutaire, et, fuyant les hommes, me rendis sur cette montagne où je consacrai mes jours à Dieu. Il répandit sa paix sur moi.

– Quoi, s’écria le saint évêque, vous êtes ce cruel Garum, coupable d’un crime si atroce! Je loue Dieu qui vous accorda la paix du cœur après le meurtre horrible de trois enfants que vous avez mis dans le saloir comme pourceaux; mais moi, hélas! pour les en avoir tirés, ma vie a été remplie de tribulations, mon âme abreuvée d’amertume, mon épiscopat entièrement désolé. J’ai été déposé, excommunié par le père commun des fidèles. Pourquoi suis-je puni si cruellement de ce que j’ai fait?

– Adorons Dieu, dit Garum, et ne lui demandons pas de comptes.

Le grand saint Nicolas bâtit de ses mains une cabane auprès de celle de Garum et il y finit ses jours dans la prière et dans la pénitence.

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HISTOIRE DE LA DUCHESSE DE CICOGNE ET DE M. DE BOULINGRIN QUI DORMIRENT CENT ANS EN COMPAGNIE DE LA BELLE-AU-BOIS-DORMANT

I

L’histoire de la Belle-au -Bois-dormant est bien connue; on en a d’excellents récits en vers et en prose. Je n’entreprendrai pas de la conter de nouveau; mais, ayant eu communication de plusieurs mémoires du temps, restés inédits, j’y ai trouvé des anecdotes relatives au roi Cloche et à la reine Satine, dont la fille dormit cent ans, ainsi qu’a divers personnages de la Cour qui partagèrent le sommeil de la princesse. Je me propose de communiquer au public ce qui, dans ces révélations, m’a paru le plus intéressant.

Après plusieurs années de mariage, la reine Satine donna au roi son époux une fille qui reçut les noms de Paule-Marie-Aurore. Les fêtes du baptême furent réglées, par le duc des Hoisons, grand maître des cérémonies, d’après un formulaire qui datait de l’empereur Honorius et ou l’on ne pouvait rien déchiffrer tant il était moisi et rongé des rats.

Il y avait encore des fées en ce temps-là, et celles qui étaient titrées allaient à la Cour. Sept d’entre elles furent priées d’être marraines, la reine Titania, la reine Mab, la sage Viviane, élevée par Merlin dans l’art des enchantements, Mélusine, dont Jean d’Arras écrivit l’histoire et qui devenait serpente tous les samedis (mais le baptême se fit un dimanche), Urgèle, la blanche Anna de Bretagne et Mourgue qui emmena Ogier le Danois dans le pays d’Avalon.

Elles parurent au château en robes couleur du temps, du soleil, de la lune, et des nymphes, et tout étincelantes de diamants et de perles. Comme chacun prenait place à table, on vit entrer une vieille fée, nommée Alcuine, qu’on n’avait pas invitée.

– Ne vous fâchez pas, madame, lui dit le roi, de n’être point parmi les personnes priées à cette fête; on vous croyait enchantée ou morte.

Les fées mouraient sans doute puisqu’elles vieillissaient. Elles ont toutes fini par mourir et chacun sait que Mélusine est devenue en enfer «souillarde de cuisine». Par l’effet d’un enchantement, elles pouvaient être enfermées dans un cercle magique, dans un arbre, dans un buisson, dans une pierre, ou changées en statue, en biche, en colombe, en tabouret, en bague, en pantoufle. Mais en réalité ce n’était pas parce qu’on la pensait enchantée ou trépassée, qu’on n’avait pas invité la fée Alcuine; c’était qu’on avait jugé sa présence au banquet contraire à l’étiquette. Madame de Maintenon a pu dire sans la moindre exagération qu’«il n’y a point dans les couvents d’austérités pareilles à celles auxquelles l’étiquette de la Cour assujettit les grands». Conformément au royal vouloir de son souverain, le duc des Hoisons, grand maître des cérémonies, s’était refusé à prier la fée Alcuine, à qui manquait un quartier de noblesse pour être admise à la Cour. Aux ministres d’État représentant qu’il était de la plus grande importance de ménager cette fée vindicative et puissante, dont on se faisait une ennemie dangereuse en l’excluant des fêtes, le roi avait répondu péremptoirement qu’il ne saurait l’inviter puisqu’elle n’était pas née.

Ce malheureux monarque, plus encore que ses prédécesseurs, était esclave de l’étiquette. Son obstination a soumettre les plus grands intérêts et les devoirs les plus pressants aux moindres exigences d’un cérémonial suranné a plus d’une fois causé à la monarchie de graves dommages et fait courir au royaume de redoutables périls. De tous ces périls et de tous ces dommages, ceux auxquels Cloche exposait sa maison en refusant de faire fléchir l’étiquette en faveur d’une fée sans naissance, mais illustre et redoutable, n’étaient ni les plus difficiles à prévoir ni les moins urgents à conjurer.