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Avec un naturel éprouvé, elle passa en quelques instants de l’émotion à la reconnaissance, de la reconnaissance à la tendresse, de la tendresse au désir. Et pas plus que tant d’autres avant lui, Edgar ne protesta. Embrasser une jolie femme dans un jardin exotique à Santa Monica est une épreuve à laquelle, je pense, la plupart des hommes sont préparés, même s’ils savent, à regret, qu’ils n’auront jamais à la subir.

Après le premier moment de surprise, Edgar se laissa aller au plaisir de tenir contre lui ce corps délicieux, souple, et qui semblait peu entravé par la pudeur. Sally fit si bien que le désir d’Edgar devint impérieux. Il commença à regarder autour de lui si une surface tendre se prêterait à leurs ébats. Faute d’en trouver dans cet environnement de pierres sèches et de plantes grasses, il la conduisit doucement vers l’hôtel.

Sally se laissa faire mais elle savait garder, comme un soldat, la conscience des ordres dans le feu de la bataille. Or ces ordres étaient formels : rien ce soir-là. Elle raccompagna Edgar et dut se défendre de ses sollicitations. Lui qui avait démarré si lentement ne semblait plus capable de se gouverner. Il la pria, la supplia presque. Elle se montra inflexible mais promit tout pour le lendemain. Il la quitta comme un enfant puni.

— Retrouvez-moi demain à 11 heures près de la piscine, lâcha-t-elle.

Il partit en serrant ces mots comme un paysan qui emporte sa fortune après un incendie.

Le lendemain matin, il la rejoignit mais ne la vit pas tout de suite. Elle était allongée sur une chaise longue à l’extrémité la plus éloignée de la piscine. Un curieux dispositif d’arbustes et de parasols la cachait presque complètement. Mais un transat était vide, à côté du sien. Elle le désigna à Edgar et lui fit un grand sourire. Dieu, qu’elle lui parut désirable ! Pour seul vêtement, elle portait un bas de maillot de bain rose qui faisait ressortir sa peau mate. Edgar vit dans cette pratique « topless » la raison pour laquelle Sally avait choisi cet endroit reculé et caché aux regards. Il ne s’inquiétait pas de l’absence de serveurs. Dans l’hôtel, dès qu’un client prenait place sur la terrasse ou autour de la piscine, des employés en veste noire s’empressaient. Les pourboires nécessaires avaient été versés pour que personne n’interrompe la scène qui allait se dérouler.

Tout était prêt. Si le lieu où Sally et Edgar se trouvaient restait invisible depuis l’hôtel, il donnait en revanche sur la plage. À hauteur d’homme, personne ne pouvait rien voir car l’hôtel était en surélévation. Sandjac, en revanche, installé dans un des postes de surveillance dont disposaient de loin en loin les maîtres-nageurs, braquait ses puissants téléobjectifs sur le couple.

Restait à attendre le spectacle.

Sally était à la manœuvre. Elle devait se sentir plus à l’aise sur ce terrain que dans les exercices de conversation comme celui auquel elle avait dû se prêter la veille au soir.

Sitôt Edgar étendu à côté d’elle, elle changea de place. Une fesse posée sur le transat de son partenaire, elle se pencha sur lui et l’embrassa à pleine bouche. Edgar fut surpris par cet assaut direct. Il y répondit en enlaçant la jeune femme. Elle le poussa sur le côté et s’allongea près de lui. S’ensuivirent de longues caresses qui ne pouvaient malheureusement pas livrer grand-chose dans les boîtiers de Sandjac. Les deux corps allongés et enlacés n’étaient pas reconnaissables. Le photographe avait fait longuement répéter son rôle à Sally et il avait bien insisté sur ce qu’il voulait. Elle fit des efforts pour se relever et se plaça à genoux près du ventre d’Edgar.

Celui-ci portait un bermuda à rayures de bonne marque (un label du groupe Luxel). Sally posa sur l’étoffe tendue sa main soigneusement manucurée.

Sandjac parlait tout seul dans sa planque.

— Vas-y ! murmurait-il. C’est le moment.

Il tenait le couple plein cadre. Edgar relevait la tête, on le reconnaissait parfaitement. Sally apparaissait de profil. Encore un instant et le cliché du scandale serait dans la boîte.

Tout se déroula très vite et Sandjac ne comprit pas tout de suite : les protagonistes avaient disparu de sa mire. Le transat était vide. Qu’est-ce qu’ils faisaient, bon Dieu ? Il saisit des jumelles qui lui donnaient une vision plus large.

Edgar était debout et Sally, toujours à genoux, le regardait de bas en haut. Il lui tendait la main. Elle se leva à son tour.

L’explication était simple. À jeun, plus lucide que la veille, Edgar, malgré son désir violent, avait été envahi par un scrupule. Il était en Amérique, une affaire importante était sur le point de se conclure les jours à venir ; mieux valait éviter de commettre un attentat à la pudeur dans ce pays si sensible sur ces sujets.

— Allons dans ma suite, dit-il à Sally.

Il mit l’expression épouvantée de la jeune femme sur le compte de la frustration, incapable de concevoir un doute quant à la séduction qu’il avait exercée sur elle. En vérité, Sally était catastrophée : elle connaissait tout le dispositif, Sandjac le lui avait expliqué. Ce qui se déroulerait dans les murs de l’hôtel ne pouvait servir à rien.

Elle comprit pourtant qu’il était impossible de résister. Elle noua un paréo autour de sa poitrine, enfila des sandales de corde à talon plein, prit son sac et suivit Edgar.

Restait à mettre en place le plan B. Sandjac l’avait évoqué succinctement mais elle en avait retenu les grandes lignes. Arrivés dans le hall, ils prirent l’ascenseur. Elle se coula contre Edgar.

— J’ai peur, susurra-t-elle.

— De quoi ?

— Claustrophobe, murmura-t-elle en baissant la tête.

L’ascenseur était arrivé à l’étage.

— Voilà, la rassura Edgar. C’est fini.

— Ce n’est pas seulement l’ascenseur.

Elle regardait le couloir avec méfiance.

— Qu’est-ce que tu crains ?

Ils étaient devant la porte de la suite. Edgar l’ouvrit.

— Les murs.

— Les murs ? Tu as peur des murs ?

Elle fondit en larmes ; il la prit dans ses bras.

— Ne ris pas. Tu sais, ici, il y a des tremblements de terre terribles. Quand j’étais petite, toute ma famille est morte écrasée par les plafonds de la maison.

— Et toi…

— Moi, j’étais dehors. J’avais fait une fugue pour rejoindre un petit copain.

— Depuis, tu n’entres plus dans les maisons ?

— Si, mais j’ai peur. Ça m’empêche d’être bien.

Tandis qu’elle parlait, elle avait repéré la porte-fenêtre qui donnait sur la terrasse et s’en était approchée.

— Je n’ai jamais pu faire l’amour dans une maison.

Il sourit.

— Tu te moques de moi !

Elle boudait. Il la prit dans ses bras. Elle l’entraîna sur la terrasse. Elle était meublée de chaises longues. La balustrade en métal laissait voir la plage au loin. Elle se demanda si Sandjac avait eu le temps de rejoindre l’autre point d’observation qu’il avait étudié les jours précédents en vue de ce plan B. Elle fit durer l’affaire, demanda un café qu’Edgar alla préparer dans la chambre. Quand il revint, ils reprirent leurs ébats là où ils les avaient laissés quand Edgar s’était relevé. Il se sentait en confiance, cette fois, à l’abri dans cet espace qu’il croyait privé. Il ne fit aucune difficulté pour ôter son bermuda.