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— Une simple tentative pour déterminer combien de temps il peut rester à vivre au Pontife.

— Seriez-vous devenu expert en sorcellerie, père ? demanda Korsibar en souriant.

— Expert ? Je n’irai certes pas jusque-là, mais, comme beaucoup d’autres, je me suis essayé à cet art. Je juge de mes progrès d’après la chaîne des événements, pour voir si j’ai acquis le tour de main pour prédire l’avenir.

— Et alors ? Croyez-vous avoir véritablement le don de divination ?

Korsibar se remémora les prophéties des sorciers à son sujet, cette étrange prédiction qu’ils auraient faite à son père : Il ébranlera le monde. Peut-être avait-elle été faite par le Coronal lui-même, qui discernait maintenant pour son fils un destin singulier que Korsibar n’avait pas la possibilité de voir.

— Pouvons-nous le mettre à l’épreuve ? demanda-t-il, heureux de voir changer le sujet de la discussion. Donnez-moi vos résultats et nous verrons ce qu’il advient. À quelle date avez-vous fixé la fin de Prankipin ?

— Pas à une date précise. Je ne suis pas assez bon pour cela ; peut-être personne n’en serait-il capable. Mais elle surviendra, d’après mes calculs, dans dix-neuf jours au plus tard. Nous allons tenir le compte, toi et moi.

— Dix-neuf jours, probablement moins, et cette attente se terminera enfin ; les cérémonies auront lieu, Prestimion deviendra Coronal, vous Pontife, et nous pourrons tous quitter ce trou abominable et retrouver l’air pur du Mont du Château… Tous, sauf vous, père, ajouta Korsibar d’une voix plus douce.

— Tous, sauf moi, en effet. Le Labyrinthe sera dorénavant ma demeure.

— Puis-je demander comment vous prenez cela ?

— J’ai eu quarante ans pour m’habituer à cette idée, répondit lord Confalume. Cela m’est devenu indifférent.

— Ne plus jamais revoir la lumière du jour… ne plus respirer l’air du Mont du Château…

— Oh ! je pourrai sortir de temps à autre, si l’envie m’en prend, répliqua le Coronal avec un petit rire. Prankipin le faisait, tu sais. La dernière fois, tu étais encore un enfant ; peut-être as-tu oublié. Rien n’oblige le Pontife à vivre en permanence dans son palais souterrain.

— Même si je ne devais y passer qu’un pour cent de mon temps, cela ne me plairait pas. Ce séjour de quelques semaines m’a largement suffi.

— Heureusement pour toi, Korsibar, on n’exigera jamais de toi que tu vives ici. Le gros avantage de ne pas devenir Coronal est que tu sais que tu ne deviendras jamais Pontife.

— Je devrais donc m’en réjouir ?

— Exactement.

— Et vous, père, vous sentez-vous prêt à commencer votre nouvelle vie sous terre ?

— Oui. Totalement prêt.

— Vous serez un grand Pontife, poursuivit Korsibar. Comme vous avez été un grand Coronal.

— Merci de ce compliment.

Lord Confalume sourit ; il se leva. Le sourire était contraint, peu sincère et la main gauche du Coronal, serrée contre son flanc, tremblait d’une manière visible. Quelque chose avait été passé sous silence, quelque chose de pénible pour lord Confalume, quelque chose d’explosif.

Que savait le Coronal, que s’était-il retenu de lui dire ?

Vous ébranlerez le monde.

Cela devait avoir un rapport avec cette prophétie. Quoi que Sanibak-Thastimoon eût imaginé que lord Confalume allait lui dire à propos de cette mystérieuse prédiction, il n’en avait pas été fait mention.

Et il n’en serait pas fait mention. Korsibar comprit qu’il était invité à se retirer. Il forma le symbole de la constellation devant le Coronal, puis le père et le fils s’étreignirent, et il se dirigea vers la porte. Avant de franchir le seuil, des bruits lui indiquèrent que le Coronal s’était remis à manipuler les objets de géomancie.

4

Septach Melayn entra dans la Chambre de Melikand, une salle étroite, en courbe, contiguë aux appartements de Prestimion, qui avait été mise à la disposition des compagnons du Coronal désigné dans le secteur impérial du Labyrinthe. Le duc Svor et Gialaurys de Piliplok étaient déjà là.

— Mes amis, lança Septach Melayn en entrant, je suis porteur de nouvelles. Il ne reste plus que trois candidats en lice pour l’élection du Maître des Jeux : le Grand Amiral, le Procurateur et notre cher petit Svor. C’est du moins ce que m’a affirmé un des bureaucrates du Pontificat.

— En qui tu as une confiance sans réserve, j’imagine ? fit Svor.

— Comme en ma propre mère, répondit Septach Melayn. Ou en la tienne, si j’avais le plaisir de la connaître.

Il s’enroula dans sa cape richement brodée de soie bleu nuit, ornée d’une profusion de fils d’argent, et commença à aller et venir avec la grâce indolente et féline qui lui était propre, à petits pas rapides et maniérés sur le sol luisant de pierre grise polie. Svor et Gialaurys le suivirent des yeux, chacun à sa manière, le petit duc avec un sourire narquois, Gialaurys avec la sombre méfiance que lui inspirait l’élégance flamboyante de Septach Melayn.

Ils étaient curieusement assortis, les trois amis les plus chers du Coronal désigné. Ils ne se ressemblaient pas le moins du monde, pas plus par le physique que par le comportement ou le tempérament. Septach Melayn était grand et maigre, avec des jambes et des bras prodigieusement longs, qui paraissaient presque filiformes. Il avait un humour pétillant, un style précieux et de l’esprit. Sa peau était très claire et ses yeux d’un bleu pâle et lumineux ; ses cheveux dorés tombaient sur ses épaules en boucles soigneusement ordonnées qui donnaient à sa coiffure un aspect presque féminin ; il portait une barbiche taillée en pointe et une petite moustache d’une suprême élégance, une fine ligne dorée sur la lèvre supérieure, qui faisaient fleurir bien des sourires dans son dos, mais jamais devant lui, car Septach Melayn était prompt à relever une offense et se montrait un adversaire implacable l’épée en main.

Gialaurys, quant à lui, lourd et massif, sans être d’une taille démesurée, avait une extraordinaire largeur d’épaules et de poitrine, un visage large et plat qui considérait le monde avec la fermeté inébranlable d’un quartier de bœuf. Chacun de ses bras avait le volume de la cuisse d’un homme, chacun de ses doigts l’épaisseur d’une saucisse bien grasse ; les cheveux bruns et courts, rasé de près, il portait de gros favoris raides et gonflés, débordant la ligne des pommettes.

Il avait lui aussi la réputation d’un homme à traiter avec précaution – non qu’il eût l’habileté diabolique à l’épée de Septach Melayn, mais sa puissance physique était telle que nul ne pouvait résister à sa colère. Gialaurys était d’un tempérament maussade et renfermé, comme il seyait à quelqu’un élevé à Zimroel, dans sa triste cité natale de Piliplok, par une famille adoptive de lugubres Skandars. Prestimion avait fait sa connaissance dix ans auparavant, à l’occasion de son unique visite du continent occidental et, par une imprévisible attirance des contraires, ils étaient rapidement devenus très liés.

Quant à Svor, qui portait le titre de duc de Tolaghai, mais n’avait ni terres ni fortune pour le soutenir, on eût dit un nain entre les deux autres. Frêle, chétif, d’une taille dérisoire, basané au point d’en être presque noir de peau, comme l’étaient souvent ceux qui ont vu le jour sous l’implacable soleil du continent méridional, il avait des cheveux emmêlés et indisciplinés, des yeux sombres et malicieux et une âme austère et torturée. Son nez était fin, pointu et légèrement recourbé, sa bouche trop étroite pour toutes ses dents ; il portait un collier de barbe mais gardait la lèvre supérieure rasée. Svor n’était pas un guerrier mais un politicien, un intrigant et un amoureux passionné des femmes, qui tâtait en outre un peu de la sorcellerie.