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Pendant plusieurs années, il avait été un proche compagnon du jeune Korsibar – une mascotte, d’une certaine manière, une sorte de bouffon que l’athlétique prince aimait avoir à ses côtés pour se distraire – mais, quand Prestimion avait commencé à apparaître comme le probable prochain Coronal Svor s’était insensiblement rapproché de lui et il était devenu un personnage clé de son entourage. De ce changement d’allégeance, on avait fait des gorges chaudes au Château – toujours en privé – pour illustrer la passion bien connue de Svor pour l’accroissement de son influence et son opportunisme.

Aussi profondément différents que fussent ces trois hommes, des liens étroits les unissaient et, chacun à sa manière, ils étaient dévoués au bien et aux intérêts de Prestimion. Il ne faisait de doute pour personne qu’ils occuperaient les plus hauts postes de responsabilité quand Prestimion aurait ceint la couronne à la constellation.

— Si nous nous prononçons fermement sur l’identité de celui qui doit présider les Jeux, reprit Septach Melayn, nous pourrons peut-être influencer le choix. Mais cela nous importe-t-il ?

— Bien sûr, répondit Gialaurys sans hésiter, et cela devrait t’importer aussi.

Il parlait avec l’accent prononcé de l’est de Zimroel, qui semblait si comique partout ailleurs, sauf dans la bouche de Gialaurys, et sa voix grave et rocailleuse évoquait un grondement montant des entrailles de la planète.

— Le Maître des Jeux désigne les adversaires. Accepteriez-vous d’affronter une suite d’incapables que le Maître aurait choisis dans le but de vous mettre dans l’embarras ? Je ne tiens pas à ce qu’il profite des Jeux pour se livrer à des manigances. Et si le résultat d’une épreuve est serré, il faut que la décision soit prise par un homme à nous. Des vies peuvent en dépendre.

— J’imagine donc, lança Septach Melayn, que tu nous conseillerais de nous prononcer en faveur de Svor.

— Proposition rejetée ! répliqua aussitôt le duc, occupé au fond de la salle à étudier des tableaux ésotériques tracés sur de longs rouleaux de parchemin jauni. Je serais incapable de constituer des paires appropriées et…

— Nous pourrions t’aider, glissa Gialaurys.

— … et, en tout état de cause, poursuivit Svor, je ne veux pas être entraîné dans vos querelles idiotes. Le Maître sera en butte à d’incessantes protestations des différents camps. Je préfère éviter cela.

— Très bien, Svor, fit Septach Melayn en souriant, la décision t’appartient. Pourrais-tu préciser, je te prie, poursuivit-il malicieusement en se tournant vers Gialaurys, ce que tu entends par « un homme à nous ». Existe-t-il donc des factions pour que quelqu’un soit considéré comme appartenant clairement au camp de Prestimion ou bien lui soit ouvertement hostile ? Ne sommes-nous pas tous unis dans la célébration du nouveau règne ?

— Tu parles comme un imbécile, grogna Gialaurys.

— Tu dois assurément tenir Svor pour un homme à nous, poursuivit Septach Melayn, comme si de rien n’était ; je le comprends parfaitement. Mais le Procurateur est-il notre ennemi ? Ou l’amiral Gonivaul ?

— C’est possible. L’un comme l’autre.

— Je ne te suis pas.

— La transition entre deux règnes ne se fait jamais sans à-coups. Il en est toujours qui s’opposent, secrètement ou non, au choix du nouveau Coronal. Et qui peuvent manifester cette opposition de la manière la plus inattendue qui soit.

— Écoutez-le ! s’écria Septach Melayn. L’érudit ! Le grand historien ! Donne-moi des exemples d’une telle traîtrise, mon bon Gialaurys !

— Eh bien…

Gialaurys réfléchit un moment, en suçant sa lèvre inférieure.

— Quand Havilbove est devenu Pontife, reprit-il après un long silence, et a annoncé que Thraym serait son Coronal, je crois me souvenir qu’un seigneur mécontent de ce choix a ourdi un complot pour offrir le trône à Dizimaule, à la place de ce Thraym qui lui déplaisait et a bien failli…

— En réalité, coupa posément Svor, le Coronal d’Havilbove était lord Kanaba. Thraym n’a été Coronal que trois règnes plus tard. Quant à Dizimaule, il vivait mille ans avant eux.

— Je confonds les noms ou l’ordre des monarques, reprit Gialaurys avec une impatience perceptible. Mais c’est arrivé, sinon à eux, du moins à d’autres. Vous pouvez vérifier. Je me souviens d’un autre cas, avec, je crois, Spurifon, à moins que ce ne soit Siminave…

— Ce mauvais esprit te ressemble bien, coupa Septach Melayn en considérant avec un sourire le dos de sa main admirablement entretenue. Je t’assure, mon cher ami, qu’indépendamment des ambitions personnelles de candidats déçus, le nouveau Coronal est toujours porté au pouvoir par des acclamations enthousiastes. Il n’en est jamais allé autrement. Nous sommes un peuple civilisé.

— Vraiment ? fit Prestimion en entrant dans la salle. Il est bon d’entendre ces mots dans la bouche du doux Septach Melayn. Puis-je demander quel est le sujet de votre conversation ?

— Qui choisir comme Maître des Jeux. Cela doit se décider, à ce qu’on dit, entre Gonivaul, Svor et ton cher cousin le Procurateur. Gialaurys affirme que nous ne pouvons faire confiance qu’à l’un des nôtres, même pour les Jeux, et il veut que Svor en soit le Maître, pour être sûr qu’on nous opposera de dignes adversaires et que toutes les décisions seront rendues en notre faveur.

— Est-ce vrai ? demanda Prestimion en se tournant vers Gialaurys. As-tu cette crainte ?

— Comme d’habitude, monseigneur, Septach Melayn déforme mes propos. Mais, si cela dépendait de moi, oui, je préférerais que le Maître soit quelqu’un en qui j’ai confiance.

— Tu as confiance en Svor ? lança Prestimion en riant.

— Svor a déjà dit qu’il refusait ; j’aimerais, dans ce cas, que le poste soit confié au Procurateur Dantirya Sambail.

— Le Procurateur ! s’écria Prestimion, avant d’éclater de rire. Le Procurateur ! Tu ferais confiance au Procurateur, Gialaurys !

— C’est votre cousin, monseigneur, si je ne me trompe, riposta imperturbablement Gialaurys. Il ne prendrait donc, du moins je l’imagine, aucune décision susceptible de vous léser, vous et votre entourage.

— Un cousin très éloigné, expliqua Prestimion, comme il le faisait souvent quand il était fait mention de sa parenté avec le Procurateur. Et tu viens de m’appeler deux fois « monseigneur » en une demi-minute. Ce titre appartient à lord Confalume, jusqu’à ce qu’un nouveau Coronal ait été choisi… Pour en revenir à mon cousin le Procurateur, nous sommes parents, certes, mais si tu penses avoir quelque chose à craindre de celui qui sera nommé Maître des Jeux, je te conseille d’apporter ton soutien à quelqu’un d’autre.

— Alors, à l’amiral Gonivaul, concéda Gialaurys avec mauvaise grâce.

— D’accord, fit vivement Septach Melayn. Gonivaul, au moins, sera neutre, en cas de contestation. Il ne s’intéresse à rien ni à personne d’autre qu’à lui-même. Pouvons-nous maintenant discuter des différentes épreuves ?

— Y aura-t-il de la lutte ? demanda Gialaurys.

— Il y a toujours de la lutte. Farholt l’exigera.

— Bien. Je me battrai contre Farholt.

— J’avais pensé que nous pourrions lui opposer Svor. Tu affronterais Farquanor dans les assauts d’armes.

— Parfois, Septach Melayn, je ne te trouve pas amusant, déclara Gialaurys.

— Mais si ! s’écria Svor. Il faut surprendre tout le monde ! Les dérouter, les mystifier ! Sérieusement, je suis disposé à affronter ce grand costaud de Farholt, ne fût-ce que pour voir sa tête quand je me présenterai devant lui, et nous laisserons Gialaurys tenter sa chance à l’épée contre cette fine lame de Farquanor ; toi, Septach Melayn, tu seras notre deuxième homme, aux côtés de Prestimion, dans les courses de char à deux contre l’équipe de Korsibar.