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— Et comment comptez-vous vous y prendre ? demanda le Su-Suheris.

— Réfléchissez. Le rêve m’a indiqué d’aller voir Korsibar pour l’exhorter à faire savoir à notre père qu’il prétend au trône… tout de suite, tant que la situation est fluctuante, avant la mort du Pontife et la désignation officielle de Prestimion. Notre père se laissera fléchir, je le crois, si Korsibar trouve les arguments qu’il faut ; Korsibar deviendra Coronal ; et, pour témoigner sa gratitude, mon frère fera de moi l’un de ses Hauts Conseillers et j’aurai peut-être ainsi un rôle à jouer dans le gouvernement de la planète. Ne diriez-vous pas qu’il s’agit d’une interprétation plausible de mon rêve ?… Ne le diriez-vous pas ? répéta-t-elle en quêtant l’approbation du Su-Suheris.

— Je ne dirai pas le contraire, princesse, répondit-il d’un ton mielleux, en inclinant successivement ses deux têtes.

— Assurément, cela ne fait aucun doute, dit Thismet d’une traite, le sourire aux lèvres.

Elle s’enflammait, le visage empourpré, la poitrine haletante.

— Il ne peut y avoir pour moi d’autre voie vers la grandeur. Comment y parvenir autrement que grâce à Korsibar ? Et il est établi que je suis destinée à accomplir de grandes choses. Vous l’avez dit vous-même. À moins que vous ne souhaitiez rétracter cette prophétie ?

— Je n’en retire pas un seul mot, princesse, fit posément le Su-Suheris. Votre destinée est écrite dans les astres ; l’obscurité et l’isolement ne sont pas présents dans la trame de votre avenir. C’est une certitude. Il en va de même de l’horoscope de votre frère. « Vous ébranlerez le monde, prince Korsibar. » Ce sont mes propres paroles, qui remontent à quelques mois. Ne vous en a-t-il jamais fait part ?

— Non, répondit Thismet, avec une pointe d’étonnement. Il ne s’en est jamais ouvert à moi.

— Quoi qu’il en soit, je le lui ai annoncé. Et, ces derniers jours, les devins de votre père ont, de leur côté, prédit la même chose.

— Dans ce cas, fit-elle, tout devient clair. Les présages convergent et se confirment les uns les autres ; tous les indices nous conduisent au trône. La tradition cédera devant la raison ; le meilleur des deux sera choisi. Je vais, dès aujourd’hui, en parler avec Korsibar.

À ces mots, une étrange expression passa fugitivement sur les visages de Sanibak-Thastimoon, comme si ses deux têtes avaient échangé un regard, même si Thismet n’avait pas vu ses yeux bouger du tout.

— Y a-t-il de l’imprudence à cela ? demanda-t-elle.

— Je crois, princesse, qu’il serait plus sage d’en parler à ses amis avant d’aborder directement le sujet avec lui.

— Vous pensez à Mandrykarn ? à Venta ? à Navigorn ?

— Pas à ceux-là. Ils feraient plus de mal que de bien. Je pense aux autres, à ces deux frères si mal assortis, le géant et le petit serpent. Ils feront bien mieux l’affaire, j’en suis convaincu.

— Farholt et Farquanor, fit Thismet après un moment de réflexion. Oui. Oui, peut-être. Je crois que je vais me retirer dans mon boudoir, ajouta-t-elle en se tournant vers Melithyrrh. Va chercher les deux frères ; dis-leur que je les y recevrai.

6

— Nous voilà donc d’accord, déclara Korsibar.

Il regarda la liste qu’il tenait à la main avant de parcourir des yeux l’assemblée des seigneurs. Ils étaient réunis dans l’Ancienne Salle des Banquets, une salle du secteur impérial du Labyrinthe dont les angles en biseau diminuaient et s’élargissaient curieusement d’une extrémité à l’autre et dont les murs portaient nombre de tentures bizarrement peintes, pour accentuer le malaise créé par les illusions d’optique.

— Pour commencer, reprit Korsibar, la course à pied et le duel au bâton. Ensuite, les haies, les cerceaux, le lancer de marteau, pour les hommes et les femmes. Le tir à l’arc suivra, puis la joute ; enfin, la parodie de bataille et les rencontres de boxe et de lutte, la course de chars terminant le programme. Après cela, la parade solennelle remontera les différents niveaux de l’Arène à la Cour des Globes, où le Maître des Jeux remettra les prix en présence de lord Confalume. Ensuite…

— J’avais cru comprendre que la lutte aurait lieu plus tôt dans le programme, lança avec irritation Gialaurys qui n’était arrivé que depuis quelques minutes. C’est écrit sur la feuille de papier que je tiens à la main. La lutte après les bâtons et avant les haies.

L’air perplexe, Korsibar lança un regard hésitant à Farholt qui avait participé de plus près que lui à l’établissement du programme.

— C’était au début, dit Farholt en s’avançant pour prendre la liste des mains de Korsibar. Le changement a été effectué il y a deux heures, pendant que vous sirotiez votre bière de midi.

Farholt tapota la feuille en lançant à Gialaurys un noir regard de défi.

— Les épreuves faciles pour commencer, puis celles qui sont réservées aux plus costauds.

— Je n’ai pas été consulté, insista Gialaurys. Je préférais l’ordre d’avant.

Il y avait dans sa voix une sorte de grondement lourd de menace. Il fit deux pas dans la direction du musculeux Farholt, déjà hérissé, qui se dressa de toute sa taille. Ils dominaient l’assemblée comme deux montagnes, Farholt plus grand, mais Gialaurys encore plus massif que lui.

— Je préfère gagner mes lauriers le plus tôt possible.

— Êtes-vous donc si sûr de gagner ? demanda Farholt. Et si le contraire se produisait, s’il vous fallait attendre piteusement la fin des Jeux dans l’ignominie de la défaite, tandis que les lauriers iront couronner d’autres têtes ?

— Voilà donc pourquoi, Farholt, vous préféreriez garder la lutte pour la fin ? lança Gialaurys, les yeux étincelants de fureur.

— Ce n’est pas moi qui ai pris cette décision, riposta Farholt dont la face rougeaude était devenue cramoisie. Mais si vous voulez insinuer que…

— Un instant, mes amis, fit Prestimion en s’avançant entre les deux hommes, juste au moment où il semblait que la véhémence croissante de leurs paroles allait dégénérer sur-le-champ en pugilat.

Bien qu’écrasé par la taille des colosses, il posa le bout des doigts sur la poitrine des deux hommes et les écarta délicatement l’un de l’autre.

— Faisons en sorte, je vous en prie, que la paix règne en ce lieu où un Pontife va rendre le dernier soupir. Une affaire de si peu d’importance ne mérite pas une querelle. Qu’en pense le prince Korsibar ?

— Je pense que s’il y a désaccord, la décision appartient au Maître des Jeux.

— Très juste, fit Prestimion en jetant un coup d’œil dans la direction du Grand Amiral, le prince Gonivaul, qui l’avait emporté de peu, le matin même, sur le seul autre candidat, le Procurateur Dantirya Sambail.

L’Amiral, un des plus grands seigneurs du royaume, descendait de la famille d’Amyntilir, le Pontife qui avait précédé Prankipin de trois règnes. Le prince Gonivaul était un homme à la mine austère, d’un naturel obstiné et parcimonieux, dont le somptueux domaine s’étendait à peu de distance des remparts de grès orange brûlé de Bombifale, la cité aux hautes flèches, considérée unanimement comme la plus belle du Mont du Château. Il avait la mâchoire longue et étroite, comme son célèbre ancêtre, et on ne voyait guère que du poil au-dessus de ses épaules, car une barbe noire, dense et rude, épaisse comme une fourrure, lui dévorait le menton et les joues, remontant presque jusqu’à la paupière inférieure, et cette pilosité débordante dégringolait le long du cou pour disparaître dans son col ; quant à ses cheveux, aussi rêches et touffus, portés très longs, ils couvraient son front presque jusqu’aux sourcils. Son titre de Grand Amiral était purement honorifique ; le commerce portuaire relevait officiellement de ses attributions, mais il était de notoriété publique qu’il n’avait jamais pris la mer, pas même pour la traversée jusqu’à Zimroel que la plupart des princes du Mont effectuaient au moins une fois dans leur vie.