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À côté d’elle Sanibak-Thastimoon dispensait des prédictions à mesure qu’elles lui venaient à l’esprit ; mais elles étaient formulées avec les généralités brumeuses propres à ceux de sa profession. Il parlait en termes nébuleux de mouvement rétrograde de planètes, de serpents cuivrés dévorant leur propre queue, de tel aspect, telle conjonction laissant supposer tel événement et tel corollaire, à moins, naturellement, qu’ils ne fussent démentis par les indices contradictoires que l’on relevait ici ou là, tout ce jargon étant exprimé sans clarté ni détails.

Prestimion montrait des signes croissants d’inattention manifeste. Mettant à profit une interruption dans le discours du Su-Suheris, il le remercia très gracieusement pour ses conseils et prit congé. Puis, se tournant vers Thismet, il lui décocha un sourire éblouissant accompagné d’un regard étonnamment intime qui la flatta et la rendit furieuse en même temps. Et il s’éloigna.

De son côté, Farquanor était en train de revenir vers elle.

Elle avait des élancements d’appréhension derrière le front ; son cerveau tournoyait dans son crâne.

— Alors ? lança-t-elle avec vivacité.

Farquanor avait l’air épuisé, flétri, comme une plante laissée trop longtemps en plein soleil. Thismet ne l’avait jamais vu aussi secoué. Il leva la main pour prévenir d’autres questions. Saisissant une coupe de vin sur le plateau d’un domestique, il la vida d’un trait avant de répondre. Elle s’arma de patience et le regarda reprendre des forces et son calme, jusqu’à ce qu’il soit redevenu le Farquanor qu’elle connaissait, courageux, ingénieux.

— Ce fut très difficile, déclara-t-il enfin. Mais je pense que nous avons marqué un point.

— Vite ! s’écria-t-elle en le saisissant par le bras. Racontez-moi tout !

— J’ai commencé, reprit Farquanor après un silence interminable, par faire part à votre frère qu’il n’était bruit que de la remarque du Procurateur, d’après laquelle il pourrait éprouver de l’hostilité envers Prestimion et s’opposer à tout ce qui vient de lui. À quoi votre frère, princesse, a répondu ceci : si les paroles du Procurateur signifiaient qu’il pensait que votre frère brûlait de devenir Coronal à la place de Prestimion, il l’accusait à mots couverts de trahison, une accusation ignoble qu’il réfute totalement.

— Je vois, fit Thismet, qui sentait le découragement la gagner. Trahison. C’est le mot qu’il a employé ? Et vous avez répondu… ?

— J’ai dit que si lui-même n’estimait pas mériter le trône plus que Prestimion, nombreux étaient ceux qui le pensaient et que j’étais fier de me compter parmi eux. Il a répliqué que c’était aussi de la trahison et s’est emporté.

— Mais, à part ce mouvement de colère, rien n’a indiqué dans son attitude qu’il était flatté d’apprendre que des gens importants l’estimaient digne du trône ?

— Pas à ce moment-là, répondit Farquanor.

— Ah ! Pas à ce moment-là ?

— Ensuite, poursuivit Farquanor, j’ai dit que j’implorais son pardon, si je l’avais offensé, et je l’ai assuré que je ne désirais nullement cautionner une trahison, pas plus que le Procurateur, et que je n’avais pas la moindre intention de lui attribuer de telles pensées. Mais j’ai demandé au prince votre frère de considérer que la trahison est en réalité un concept qui varie selon les circonstances. Que nul n’oserait qualifier quelque chose de trahison si le résultat en vaut la peine. Cela l’a fait sortir de ses gonds, princesse ; j’ai cru qu’il allait me frapper. Je l’ai supplié de se calmer, j’ai répété qu’ils étaient nombreux à croire en son droit à hériter du trône et que tous avaient le sentiment que la loi de succession est injuste. J’ai parlé de ces glorieux princes de notre histoire, à qui la couronne du Coronal avait échappé à cause de cette loi et j’en ai nommé quelques-uns. Tous des grands noms ; j’ai fait leur éloge et comparé leurs qualités à celles de Korsibar. Petit à petit, j’ai vu l’idée faire son chemin en lui. Il a commencé à jouer avec elle, si je puis dire, à la tourner et à la retourner dans son esprit, comme si elle était entièrement nouvelle. « Oui, Farquanor, a-t-il enfin dit, quantité de grands princes ont dû renoncer au pouvoir à cause de cette coutume. »

— Alors, il a mordu à l’hameçon ?

— Peut-être, princesse.

— Et comment cela s’est-il passé quand vous vous êtes quittés ?

— Vous n’avez pas vu ? Là-bas, la fin de notre conversation ?

— J’étais occupée, au même moment, à m’entretenir avec le prince Prestimion.

Un muscle se contracta sur la joue maigre de Farquanor et ses yeux trahirent le souvenir d’un moment douloureux.

— Il se peut, à ce moment-là, que je sois allé un peu trop vite en besogne. Je lui ai dit que j’étais satisfait de voir que nous étions d’accord et que nous pourrions revenir utilement sur ce sujet. J’ai ajouté que certaines personnes seraient heureuses de le voir dans l’après-midi pour élaborer une ligne de conduite et se fixer des objectifs constructifs.

Thismet se pencha vivement en avant, si près que les narines de Farquanor palpitèrent en sentant son souffle parfumé.

— Le prince a mal réagi, reprit-il. Cette dernière proposition, je le crains, était prématurée. Votre frère m’a lancé un regard terrible, il a avancé les mains et posé le bout de ses doigts de chaque côté de mon cou – de cette manière, princesse –, très délicatement, de sorte que, de loin, on pouvait prendre cela pour un geste amical. Mais j’ai senti à la force et à la pression de ses mains qu’il lui aurait suffi d’un petit coup de poignet pour me briser les vertèbres cervicales comme on casse une arête en deux et qu’il était capable de le faire. C’est alors qu’il m’a dit qu’il ne participerait pas à un complot contre Prestimion et que je ne devais jamais lui en reparler ; puis il m’a congédié.

— C’est ce que vous appelez marquer un point ?

— Je le crois, princesse.

— Cela me paraît très négatif.

— Il était furieux à la fin, c’est vrai, au début aussi. Mais, dans l’intervalle, il a pris l’idée en considération. Je l’ai vu. Il oscille entre deux positions, princesse ; c’est sa nature.

— Oui. Je connais la nature de mon frère.

— L’idée est implantée dans son esprit. Il s’efforcera de résister à son attrait ; tout le monde sait que le prince votre frère n’est pas homme à se dresser contre l’ordre établi. Mais, en son for intérieur, il est ravi de constater que certains voient en lui un roi. C’est quelque chose qu’il ne se serait peut-être pas laissé aller à croire, mais, venant d’autrui, les données du problème sont différentes. Il peut changer d’avis, princesse, j’en ai la conviction. Il devrait vous être facile de le constater par vous-même. Il suffit d’aller lui parler ; complimentez-le pour la noblesse que vous voyez en lui ; observez sa réaction. Son visage s’est mis à briller d’un éclat rosé quand je lui ai parlé de cette manière. Oui, princesse, oui, oui. Il peut changer d’avis.

7

Le premier jour des Jeux Pontificaux, les grands du royaume se présentèrent cérémonieusement au chevet du Pontife, toujours à l’article de la mort, refusant obstinément de gagner l’autre monde pour rejoindre la Source de Toutes Choses. Comme s’ils avaient éprouvé le besoin de demander sa permission pour commencer ces jeux qui, selon la tradition séculaire, étaient censés marquer son trépas.