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— Il faut arrêter ce combat ! lança le duc Svor en serrant avec force le bras de Prestimion.

— Oui, c’est aussi mon avis.

Prestimion se tourna vers la loge royale et cria au Coronal de mettre fin au combat. Lord Confalume acquiesça de la tête et fit un signe en direction de Gonivaul.

De la loge opposée s’éleva la voix grinçante de Dantirya Sambail.

— Laissez-les continuer, cousin Prestimion, je vous en conjure ! C’est un tel plaisir de voir deux hommes robustes et courageux y aller de si bon cœur !

Le prince Gonivaul, de son côté, considérait la scène d’un regard détaché, presque absent, comme on observe des animaux nageant dans une cuvette, tout au fond d’une vallée. Il lissait pensivement sa barbe touffue, laissait courir ses doigts dans l’épaisse chevelure qui lui tombait sur le front ; mais il ne réagissait pas à l’ordre du Coronal. Le prince Gonivaul donnait l’impression d’un homme venant seulement de remarquer qu’il se passait quelque chose sur le ring.

Tandis que Gonivaul hésitait, les deux combattants revinrent lentement l’un vers l’autre, d’un pas lourd. Ils arrivèrent ensemble au centre du ring, le souffle court, et levèrent une main hésitante, tâtonnant l’un vers l’autre.

On eût dit deux ivrognes ayant bu la coupe de trop. Toute vitalité avait disparu de leurs mouvements. À l’évidence, ils étaient tous deux sur le point de s’effondrer. Gialaurys posa délicatement le bout des doigts sur la poitrine de son adversaire et poussa ; Farholt chancela, sembla presque perdre l’équilibre et fit deux pas mal assurés en arrière.

Il revint pesamment vers Gialaurys et leva le bras pour le pousser avec aussi peu de conviction. Ce fut au tour de Gialaurys de vaciller sur ses jambes. Les deux hommes semblaient sonnés, au bord de l’épuisement. Gialaurys exerça une nouvelle poussée, sans y mettre plus de vigueur ; Farholt, cette fois, s’affaissa immédiatement. Gialaurys se laissa tomber sur lui, pesant de tout son poids sur la poitrine de Farholt, l’air à peine conscient, dans un simulacre d’étreinte.

Hayla Tekmanot s’agenouilla près d’eux et indiqua à Gialaurys d’une tape sur l’épaule qu’il avait remporté cette reprise. Puis l’arbitre leva la tête vers la loge du prince Gonivaul.

Une manche pour Gialaurys, une pour Farholt, annonça-t-il, et la première était nulle. Les deux concurrents sont à égalité et hors d’état de poursuivre le combat.

— C’est votre décision ? demanda gravement Gonivaul.

Hayla Tekmanot montra les deux corps pêle-mêle, immobiles au centre du ring.

— Vous pouvez le constater vous-même, prince.

Gonivaul donna l’impression de s’interroger sur la possibilité de poursuivre le combat.

— Très bien, déclara-t-il après un silence. La victoire est partagée. Les deux champions sont à égalité au terme de cet assaut.

Gialaurys se releva en vacillant ; Farholt fit de même un moment plus tard. Ils demeurèrent chancelants au centre du ring, battant des paupières, tandis que Hayla Tekmanot leur faisait part de la décision du Maître des Jeux. Ils se touchèrent la main, visiblement à contrecœur, se retournèrent et partirent chacun de son côté, d’un pas hésitant, comme s’ils risquaient encore de tomber de tout leur long.

Gialaurys se faisait recoudre par un chirurgien quand Prestimion et ses compagnons pénétrèrent dans le vestiaire. Il avait le visage meurtri, le nez de travers et l’air abattu, mais il avait repris ses esprits et il esquissa un pauvre sourire à leur entrée.

— Es-tu sérieusement blessé ? demanda Prestimion d’une voix inquiète.

— J’ai des contusions partout et tout est un peu tordu, mais il n’y a rien de cassé, pas de lésion définitive à craindre, répondit Gialaurys, la langue pâteuse et les lèvres gonflées. Mais je me suis déjà fait chatouiller les côtes avec moins de brutalité. Quelles sont les nouvelles de Farholt ? Il s’en sortira ?

— Il semblerait, répondit Septach Melayn.

— C’est grand dommage. Il se bat d’une manière extrêmement discourtoise. Ce n’est pas la conception du sport que l’on m’a enseignée.

— Dis-moi, Gialaurys, fit Prestimion à voix basse, en se penchant vers lui, qu’est-ce que Farholt t’a murmuré, quand tu étais face à lui, au début de la première reprise ? Ses paroles ont semblé t’étonner grandement, avant de te rendre furieux.

— Ah ! fit Gialaurys, ça…

Son visage aux larges pommettes se rembrunit, son front se plissa douloureusement. Il secoua lentement la tête.

— Farholt m’a tenu des propos très curieux, Prestimion. Il a dit que j’étais un de tes fidèles – c’est on ne peut plus vrai – qu’il détestait tout ce qui se rapporte à toi et qu’il allait me massacrer. Il a bien failli réussir, mais je me suis dit que nous n’étions là que pour pratiquer la lutte. Je pense lui avoir rendu coup pour coup, peut-être même un peu plus.

— Il a dit ça ? Qu’il détestait tout ce qui se rapporte à moi ?

— Oui, ce sont ses propres termes. Et qu’il allait me massacrer, parce que j’étais un de tes fidèles.

— Deux camps se sont déjà formés, le camp de Korsibar et celui de Prestimion, déclara le duc Svor d’un ton lugubre. Si la lutte s’est passée ainsi, qu’en sera-t-il de la boxe et du tournoi ? Nous nagerons dans le sang avant la fin des Jeux.

— C’est étrange, reprit Prestimion, en s’adressant à Gialaurys, comme si Svor n’avait pas ouvert la bouche. Profondément étrange que Farholt ait tenu ces propos.

Il se tourna vers les autres. Le visage de Septach Melayn était plus sombre qu’à l’accoutumée et sa main gauche caressait nerveusement le pommeau de la dague d’apparat qu’il avait choisi de porter ce jour-là. Quant au duc Svor, ses yeux s’étaient fait durs et froids, et le regard qu’il posait sur Prestimion trahissait les pressentiments les plus noirs.

— Comme c’est étrange ! répéta encore une fois Prestimion.

9

Les Jeux approchaient de leur moitié et le vieux Pontife était toujours de ce monde quand Korsibar rendit visite au Coronal dans ses appartements.

— Il s’est écoulé dix-huit jours depuis que je suis venu vous voir, père, et vous m’aviez dit que Prankipin mourrait dans les dix-neuf jours à venir.

— Il traîne, il traîne, je sais, fit lord Confalume.

— Je ne mets pas en doute votre capacité à prédire ce que sera l’avenir. Même les plus grands savants peuvent faire des erreurs de calcul. Mais que se passera-t-il s’il doit vivre encore dix ou vingt jours ?

— Eh bien, dans ce cas, nous continuerons à attendre.

— Et les Jeux ? Nous en sommes presque à la moitié. Demain, aura lieu le tir à l’arc ; après-demain, l’escrime ; ensuite, le tournoi ; puis ce sera la boxe et enfin la course de chars. Viendront ensuite les festivités de clôture des Jeux, avec le banquet et la remise des prix. C’est le problème qui m’est apparu depuis le début, père. Comment organiser ces festivités, le banquet, la parade et le reste, si Prankipin est encore sur son lit de mort ? Nous avons dit, en prenant la décision de commencer les Jeux, que nous ferions en sorte de tirer les choses en longueur afin que les épreuves ne soient pas terminées avant la mort du Pontife. Il se pourrait que cela ne se passe pas comme prévu.