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Thismet retint son souffle.

— Des rumeurs, dis-tu ? D’où viennent-elles ?

— Il n’a rien dit. Cette idée n’existe très probablement que dans son imagination fiévreuse. Ce serait tout à fait son genre d’imaginer de telles atrocités barbares. J’ai dit que c’était une idée stupide, ridicule et méprisable et je lui ai demandé de ne plus jamais m’en reparler. Thismet considéra son frère avec gravité.

— Si j’étais à ta place, Korsibar, déclara-t-elle au bout d’un moment, je prendrais cette affaire un peu moins à la légère. Qu’il ait vraiment entendu des rumeurs ou que l’idée ait germé dans son propre cerveau, ce que t’a dit le Procurateur n’est pas dépourvu de bon sens.

— Quoi ? fit Korsibar, stupéfait. Toi aussi ?

— Absolument. Cela ne manque ni de logique ni de fondement.

— J’ai de la peine à le croire.

— Tu ne peux pas ignorer que nombreux sont ceux qui te préféreraient à Prestimion comme Coronal.

— Oui, je sais. Le comte Farquanor s’en est ouvert à moi il n’y a guère, le jour où tout le monde était réuni dans la Salle des Banquets, juste avant l’ouverture des Jeux. En fait, il a proposé de fomenter un complot en ma faveur.

— Ma nouvelle chambrière, la jeune Aliseeva, fit Thismet avec un petit rire, serait de ce complot, si jamais il était formé. Et bien d’autres avec elle. Elle m’a confié, pas plus tard qu’hier, qu’elle trouvait regrettable que tu ne sois pas le Coronal, car tu avais infiniment plus de prestance et de charme que Prestimion. Et qu’elle souhaitait que Prestimion, d’une manière ou d’une autre, soit écarté à ton profit.

— Elle a dit cela ?

— Et elle n’est pas la seule.

— Me croient-elles toutes totalement dépourvu d’honneur et de décence ? lança Korsibar avec véhémence. Aliseeva ? poursuivit-il d’un ton totalement différent. La rousse à la peau très pâle ?

— Je vois que tu l’as déjà remarquée. Cela ne devrait pas m’étonner, j’imagine… Qu’as-tu répondu au comte Farquanor dans la Salle des Banquets ?

— Que lui ai-je dit, à ton avis ? Il prônait la trahison !

— Vaut-il mieux rester comme un imbécile et se faire assassiner afin que Prestimion puisse devenir Coronal ?

— Tu sembles vraiment croire, reprit Korsibar en lui lançant un regard scrutateur, qu’il convient de prendre au sérieux cette idée absurde de Dantirya Sambail.

— Il est parent de Prestimion, ne l’oublie pas.

Peut-être est-il dans le secret. En effet, je pense qu’il pourrait fort bien être dans l’intérêt de Prestimion de te faire disparaître dès qu’il aura pris possession du trône. Ou même avant.

— Prestimion est un homme décent, un homme d’honneur !

— Il est capable, j’imagine, de simuler la décence et l’honneur de la même manière que tout le reste.

— Tu es très dure avec lui.

— Peut-être.

Korsibar leva les mains et tourna la tête.

Le bouffon avait quitté le pas de tir pour laisser la place à l’un des fils du prince Serithorn, un grand échalas qui tirait avec une efficacité et une adresse proches de celles de Prestimion. Mais le jeune homme n’atteignait pas, lui non plus, à sa suprême précision et la dernière flèche s’égara excessivement, frôla le bord de la cible et ricocha sur le sol, ce qui lui ôtait toute chance de victoire. Il se retira, les joues brillantes de larmes. Le neuvième archer fit son entrée, puis vinrent le dixième, le onzième et encore un autre concurrent. Korsibar et Thismet les regardèrent tirer sans échanger un mot ni même un regard.

Quand le dernier archer prit place sur le pas de tir, Korsibar se tourna brusquement vers sa sœur.

— Imaginons, mais ce n’est qu’une hypothèse, qu’il soit dans les intentions de Prestimion de se débarrasser de moi. Que me conseillerais-tu de faire ?

— Prends les devants et débarrasse-toi de lui, répondit aussitôt Thismet.

— J’ai du mal à croire que de telles paroles sont sorties de la bouche de ma sœur, fit Korsibar, frappé de stupeur. Tuer Prestimion, dis-tu ?

— Qui a parlé de tuer ? J’ai dit se débarrasser de lui.

— Comment ferais-je ?

— En te proclamant Coronal avant qu’il ne ceigne la couronne. Il ne pourra plus rien faire contre toi. L’armée et le peuple te soutiendront.

— En me proclamant Coronal, répéta pensivement Korsibar.

— Oui ! Oui ! Écoute tes amis, Korsibar ! Ils pensent tous comme moi.

Les mots, si longtemps refoulés, jaillissaient maintenant sans retenue.

— Tu es fait pour être Coronal, poursuivit Thismet. C’est ton destin ; nous ferons en sorte que tu l’accomplisses. Tu es un prince pétri de qualités, comme il y en a rarement eu dans l’histoire de notre planète. Tout le monde le sait : tout le monde le dit, de tous côtés. Et tout le monde te soutiendra, dès que le signal sera donné. Nous frapperons fort, en une seule journée. Farquanor rassemblera tes partisans dans la noblesse du royaume. Farholt et Navigorn rallieront les troupes autour de toi. Sanibak-Thastimoon est prêt à soumettre toute opposition par de puissants sortilèges. Dès l’instant où Prankipin meurt, tu passes à l’action. Tu te proclames Coronal ; tu te présentes devant le peuple comme son nouveau roi et tu te fais acclamer ; puis tu mets notre père devant le fait accompli, en lui montrant que tu n’avais pas d’autre solution pour éviter de te faire assassiner.

— Tais-toi, Thismet ! Ce sont des propos indignes !

— Non ! Non ! Écoute-moi ! Tous les présages parlent en ta faveur ! Sanibak-Thastimoon ne t’a donc pas dit ce qu’il…

— Si. Tais-toi. Pas un mot de plus, je t’en prie.

— Tu seras lord Korsibar !

— Suffit, Thismet !

Korsibar serra violemment les deux poings sur son ventre. Les muscles de sa mâchoire étaient si contractés qu’ils paraissaient le faire souffrir.

— Je ne veux plus rien entendre d’autre ! Plus un mot !

Il se retourna de nouveau, son dos et ses épaules formant un mur devant Thismet.

Mais il fléchissait, elle le savait. Elle avait perçu dans ses yeux, comme le comte Farquanor précédemment, l’éclat fugitif de la tentation, au moment où elle lui avait donné le titre de lord Korsibar. Était-il près de céder ? Un dernier effort suffirait-il ?

Peut-être. Mais pas tout de suite. Elle connaissait la versatilité du caractère de son frère ; elle savait quand le moment était propice pour l’inciter à passer à l’action et quand il allait se retrancher dans un immobilisme total. Dans l’immédiat, elle était allée aussi loin qu’elle osait le faire.

— Regarde, fit-elle, Prestimion revient. Je me demande pourquoi. Pour recevoir son prix, j’imagine.

— Les prix seront remis lors de la cérémonie de clôture.

— Alors, pourquoi est-il revenu ? Et on dirait qu’il s’apprête à tirer de nouveau.

Elle avait raison. Prestimion avait son arc à la main et un carquois rempli sur l’épaule. Un des juges se leva pour faire une annonce : le vainqueur de la compétition de tir à l’arc, déclara-t-il, était le prince Prestimion de Muldemar qui, à la demande générale, allait maintenant faire une nouvelle démonstration de son talent.

— C’est très inhabituel, observa doucement Korsibar.

— Purement politique, à l’évidence, fit Thismet. Tu vois bien qu’ils cherchent à le mettre en valeur. À donner au bon peuple une nouvelle occasion d’admirer son merveilleux futur Coronal. C’est pour la galerie, Korsibar !

Pour toute réponse, Korsibar émit un grognement d’approbation.