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— Affaire d’habitude, disait-il. Si cela t’impressionne, ne regarde pas.

— Viens m’aider plutôt. Il faut que je casse au moins l’un des petits tiroirs.

— Pourquoi ?

— Pour le vol, parbleu.

— Tu as raison. Et la malle jaune ?

— Je m’en suis occupé.

— Alors ça va bien.

Ils s’étaient agenouillés auprès d’un bureau à l’angle de la pièce :

— Je n’ai pas beaucoup l’habitude de ces opérations-là, constata en souriant l’homme qui paraissait de plus en plus calme, mais cela ne fait rien, j’imagine que je réussirai facilement.

Il était armé d’un ciseau à froid, d’un marteau, il manœuvrait ses outils de telle manière qu’en quelques minutes la serrure du tiroir céda.

— Et voilà, concluait-il d’un ton enjoué, tu vois que ce n’est pas difficile.

En parlant, il fouilla dans le tiroir, vérifia les papiers, en jeta une partie sur le sol.

— Crois-tu que cela vaille la peine de défoncer tous les tiroirs qui restent ?

Il tenait la lampe, il examinait en connaisseur le meuble fracturé.

— Baraban qui soignait tant son mobilier ! dit-il soudain en riant encore. Et dire qu’il attrapait sa concierge lorsqu’elle faisait mal son ménage.

— Laisse donc le bureau. Il n’y a plus rien à faire dans la chambre, viens voir par ici.

L’homme reposa la lampe, suivit un couloir, se pencha encore sur le sol :

— Alice, appela-t-il, viens donc voir, il me semble qu’il y a beaucoup de sang par ici.

— Non viens, dépêche-toi, j’ai besoin de toi ici, Fernand.

Alice ? Fernand ?

Était-ce donc les époux Ricard qui se trouvaient réunis rue Richer, dans cet appartement en désordre à l’aspect sinistre, tout taché de sang, dans cet appartement qui, l’homme venait de le dire, appartenait à un certain M. Baraban ?

C’était bien eux en effet.

C’était bien Alice Ricard, la jolie Alice qu’aimait le jeune Théodore Gauvin, qui se trouvait maintenant dans la cuisine, occupée à se laver les mains dans une terrine posée sur l’évier.

— Regarde-moi bien, disait-elle. Allume le gaz si tu veux, les volets sont fermés. Je n’ai pas de sang, hein ?

Fernand – Fernand Ricard, car c’était bien le courtier qui se trouvait là avec sa femme – l’examinait soigneusement.

— Non, dit-il enfin après l’avoir fait tourner et retourner devant lui, je ne vois aucune trace suspecte, tu es nette comme un sou neuf.

Puis il arrêta sa femme d’un geste.

— Eh pas de bêtise, ne vide pas l’eau de la cuvette, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Je crois que le tuyau aboutit à la cour et coule dans une rigole jusqu’à la canalisation qui l’emmène à l’égout. De l’eau rouge comme cela, ce serait suffisant pour attirer l’attention.

— Oh, tout le monde dort.

— Je l’espère bien.

Fernand Ricard, à son tour, se lavait les mains dans l’eau déjà rougie, se curait les ongles soigneusement.

— Je n’ai rien non plus ?

— Non.

Ses mains essuyées, le courtier retournait dans la chambre à coucher.

— C’est tout à fait bien, constata-t-il d’un air satisfait. Nous ne laissons aucune trace derrière nous. Absolument aucune.

— Tu sais l’heure ? demandait-elle.

— Non.

— Dix heures vingt-cinq, mon chou.

— Bigre, il s’agit de ne pas flâner alors. Ah sapristi, j’ai dix heures dix, moi. Crois-tu, nos deux montres ne marchent pas ensemble, c’est comme cela que les malheurs arrivent.

Il manœuvrait soigneusement les aiguilles, prenant l’heure de sa femme :

— Dix heures et demie maintenant, hein ? Bon, voilà qui est fait, eh bien je crois ma chérie que tu n’as plus qu’à t’en aller.

Les deux époux parlaient toujours à voix basse. Ils n’avaient pas l’air trop émus pourtant.

— En effet, répondit Alice, je m’en vais. Cela me fait un peu peur, tout de même, de te laisser ici.

Fernand Ricard, lui, haussait les épaules :

— Moi cela ne m’effraye pas, et puis tout est si bien combiné ! Tu as prévenu la concierge ?

— Oui, tu n’as pas entendu quand je suis remontée ? J’ai dit : M. Baraban et moi, madame, nous allons vous déranger tout à l’heure vers les dix heures et demie.

— Tu es sûre qu’elle t’a entendue ?

— Oh parfaitement. Elle m’a même répondu qu’elle était habituée à être dérangée et que, pour un locataire comme M. Baraban elle tirerait bien le cordon dix fois par nuit.

Les deux époux, à ces mots, éclatèrent encore de rire.

— Le pauvre homme, déclara Fernand Ricard.

Il se hâta d’ajouter :

— Allons, dépêche-toi, il est dix heures et demie bien sonnées maintenant.

Quelques secondes plus tard, Alice Ricard était chapeautée, prête à partir, et son mari la reconduisait jusqu’à la porte de l’appartement.

— C’est bien entendu hein ? disait Fernand. À onze heures moins cinq exactement, tu sonnes ?

— À onze heures moins cinq, lui répondait la jeune femme commençant à descendre l’escalier.

Trois marches plus bas, elle se retourna.

— Et toi, n’oublie pas la malle.

— Non, non, sois tranquille, tout ira bien.

Fernand Ricard, sur la pointe des pieds, descendit jusqu’à sa femme, l’embrassa amoureusement.

— Va, répéta-t-il, et sois sans crainte. Si tout marche bien, dans moins d’un mois…

— Oui, répondait-elle, mais quelle peur d’ici là ! Ah, les journaux de demain ! Nous perdons du temps, c’est l’heure. Adieu !

Alice Ricard descendit rapidement les trois étages de la maison.

Dans le vestibule, elle heurtait à la porte de la loge :

— Le cordon s’il vous plaît. C’est nous, madame.

Immédiatement, la porte s’ouvrit. La jeune femme sortit rue Richer, ayant refermé derrière elle le battant de la porte cochère. Alice Ricard tourna vers les Folies-Bergère. Elle longea la façade du music-hall, prit la rue de Trévise, marchant vite.

Alors qu’un instant avant, la jeune femme paraissait très calme, fort tranquille, il semblait maintenant qu’un émoi désordonné s’était emparé d’elle. Elle avait les dents qui claquaient. Moite de sueur, elle évitait les endroits éclairés, traversait pour fuir l’auréole lumineuse des réverbères. De temps à autre, même, elle s’arrêtait, regardait minutieusement sa robe, ses manches, ses mains, cherchant si nulle trace suspecte ne pouvait être devinée sur elle.

Elle erra encore quelque temps aux environs du square Montholon, puis elle regarda sa montre anxieusement :

— Onze heures moins dix, allons il est temps que je revienne.

La jeune femme fit demi-tour, et, par la rue Bergère, gagna la rue Richer.

— Onze heures moins sept, murmurait-elle vérifiant sa montre, comme elle se rapprochait de l’immeuble quitté un quart d’heure auparavant.

Alice Ricard, alors, ralentit le pas. Elle regarda de seconde en seconde le cadran ouvragé de sa petite montre de dame. Il était exactement onze heures moins cinq lorsqu’elle s’arrêta devant la porte.

Alice Ricard, alors, d’un coup d’œil furtif, examina la rue. Elle était déserte. Le sergent de ville qui avait interpellé Théodore une vingtaine de minutes auparavant, avait regagné son poste au coin de la rue du Faubourg Montmartre.

La jeune femme, n’apercevant personne, parut reprendre un peu d’assurance. Elle sonna, un long coup de sonnette, puis frémissante, prêtant l’oreille, elle attendit, elle écouta.

De l’autre côté de la porte cochère, à l’instant même où le coup de sonnette retentissait, dans le silence de la maison endormie, une pendule tinta.

Lentement, à coups égaux, d’un timbre argentin, elle égrena les douze coups de minuit.

— Dix, onze, douze, allons, tout va bien, dit Alice Ricard.