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Théodore Gauvin, introduisit la lame de l’instrument dans la ramure du tiroir.

La besogne qu’il s’efforçait d’accomplir était malaisée, délicate, mais il s’acharnait à la réussite.

Un quart d’heure, le jeune homme fit effort, puis, enfin, il poussa une exclamation de triomphe.

Théodore venait de réussir à engager la pelle dans la rainure du tiroir. Il venait de faire sauter le placard d’acajou. Le surplus de la besogne était aisé.

Sans grande peine, Théodore achevait son cambriolage.

Un violent coup de talon arrachait la serrure, le tiroir s’ouvrait.

Théodore, alors, d’un geste enfiévré, fouillait dans le tiroir ouvert. Il y avait là une liasse de billets de banque.

— Riche affaire, murmurait-il, les yeux exorbités, une rougeur au front. Dix-huit billets de cent francs. Oh, je pourrai lui acheter une jolie bague !

Le fils du notaire, le voleur, sortit avec précaution du cabinet de travail.

« On ne m’a pas vu, se disait-il. »

Au même moment, dans l’étude, deux clercs s’esclaffaient en compagnie du caissier Robert Jollet.

— Croyez-vous, disait le troisième clerc en levant les bras au ciel, quelle crapule, que ce garçon-là !

— Quel misérable ! répéta l’autre clerc.

Pour le caissier, il affectait un air atterré :

— Surtout, recommandait-il, pas un mot là-dessus, le scandale serait abominable, naturellement, mes amis. Je vous ai prévenus. Je vous ai fait venir pour qu’il y ait des témoins de la chose. Vous comprenez, j’ai voulu me mettre à couvert d’une accusation, mais ce n’est pas une raison.

— C’est abominable, répétaient d’une même voix les deux clercs.

Et l’un d’eux demandait encore :

— Qu’est-ce que vous allez faire ? Prévenir le papa ?

— Je n’en sais trop rien, répétait le caissier. Ah, c’est bien une triste affaire. J’ai peur qu’une nouvelle pareille, ça ne le tue sur le coup. Un garçon de cet âge-là, se conduire ainsi, c’est inimaginable, et cela peut vous faire craindre pour l’avenir. Mon Dieu, que je suis donc ennuyé !

Mais, en même temps qu’il disait cela, le sournois ricanait et paraissait au comble de la satisfaction.

3 – JALOUX

Théodore sortit du cabinet de travail de son père à la façon d’un véritable voleur. Fort éloigné de penser que le caissier et les clercs de l’étude avaient été témoins de son larcin, il réfléchissait qu’il ne viendrait, à coup sûr, à l’idée de personne de le soupçonner, et, qu’en conséquence, il pouvait espérer la plus tranquille et la plus définitive impunité.

Le cœur pourtant lui battait. Théodore n’avait jamais commis d’acte aussi bas, aussi ignoble que celui-là. Il n’appartenait pas à la catégorie de ces jeunes gens qui traitent pareille chose de peccadille, il en comprenait au contraire toute la gravité et toute l’infamie, mais la passion était à ce moment plus forte que la conscience.

Rentré dans sa propre salle de travail, Théodore se rassit devant son bureau et se prit à songer.

— On n’accusera certainement pas quelqu’un de l’étude, on n’accusera pas non plus la vieille bonne, on ne m’accusera pas davantage. En somme, personne ne se doutera, ne pourra se douter de la vérité.

Mais il n’était toutefois pas tranquille lorsqu’à midi et demie la vieille Eulalie, qui était depuis dix ans au service de son père, vint le chercher pour déjeuner.

Sournois cependant, Théodore fit bonne mine aux questions et au bavardage de la domestique.

Il déjeuna vite. L’air de la maison paternelle lui paraissait étouffant.

Dans sa pensée, il revoyait perpétuellement la scène du matin, la scène heureuse qu’il avait eue avec Alice Ricard, il songeait au baiser échangé, et plus encore, il pensait que si tout allait bien, si tout se déroulait selon ses désirs, il serait le jour même à Paris, en tête à tête avec celle qu’il aimait de toute son âme.

Théodore se leva de table à une heure un quart.

Il ne fallait pas songer, il le comprenait, à partir immédiatement, cela eût donné l’éveil. Me Gauvin obligeait son fils à travailler chaque jour jusqu’à quatre heures. Il resterait donc tranquillement jusqu’à ce moment dans sa salle de travail. Même, il feindrait une application soutenue, de façon à pouvoir s’en aller à quatre heures moins le quart, prétendant avoir fini sa tâche, et courir à la gare pour l’express de quatre heures qui l’emmènerait vers Paris.

Théodore, fidèle à son plan, ne leva pas la tête de dessus le manuel jusqu’à trois heures et demie.

À ce moment, comme Me Gauvin n’était toujours pas de retour, Théodore jugea les précautions inutiles.

— Zut, marmotta-t-il, zut pour ceux qui s’occuperaient de moi maintenant.

Et avec une hâte fébrile, il bondit dans sa chambre, bouleversa ses tiroirs, s’emparant d’un col propre, d’une cravate neuve, changeant de veston, soignant la raie de sa chevelure, se campant devant la glace pour vérifier le bon ordre de sa tenue.

À quatre heures moins vingt, il descendit l’escalier de la maison, et sursauta en se trouvant nez à nez avec la vieille Eulalie.

— Seigneur Jésus ! s’écriait la servante. Comme vous descendez vite, monsieur Théodore, et où donc courez-vous comme cela ? Vous allez vous mettre tout en nage !

Théodore fut sur le point de tempêter. Il se contint cependant et répondit avec bonne humeur :

— Bah, voyez-vous, Eulalie, j’en avais assez de travailler. L’immobilité, moi ça me pèse, mais j’ai tout de même fini ce que j’avais à faire. Si papa rentre, vous lui direz que j’ai été passer la fin de la journée chez Victor. Même, si papa vous le demande, vous lui direz que sans doute je resterai coucher au château des Ifs.

Et sans donner d’autres explications, Théodore ouvrait la porte, se jetait dans la rue, prenait sa course vers la gare.

« Bon sang, je vais manquer mon train, pensa-t-il. »

Il n’avait pas fait vingt mètres qu’une voix bien connue, familière, le hélait :

— Théodore, Théodore, où vas-tu ?

Théodore s’immobilisa net et devint blême.

Il se trouvait en face de son père qui rentrait enfin et bien mal à propos.

En un instant, le jeune homme imagina les pires catastrophes. N’allait-il pas être obligé de retourner à la maison ? Son père ne trouverait-il pas devant lui le tiroir fracturé ? Que dire ? Que faire ?

— Papa, répondit Théodore d’un ton de voix qui lui semblait étrange, tremblant, et qui cependant était le ton ordinaire de sa voix, papa, j’ai fini tout mon travail, et si vous me le permettez, je vais me rendre chez mon ami Victor. J’ai l’intention de coucher au château car je sais que demain Victor prend une répétition avec son professeur de mathématiques et je voudrais lui demander l’explication d’un théorème de géométrie que je ne comprends pas.

Me Gauvin, fort éloigné, bien entendu, de soupçonner les intentions véritables de son fils, de deviner le mensonge qui lui était fait, interrogea simplement :

— Tu as fini tout ton travail ?

— Oui, père.

— Va alors. Mais si tu reviens demain matin, fais en sorte d’être là pour onze heures. Tu sais que tu as toi-même une répétition.

Théodore inclina la tête en signe d’assentiment, et, sans demander son reste, reprit sa course.

Il en était quitte d’ailleurs pour allonger un peu son chemin.

Ne voulant pas risquer que Me Gauvin s’aperçût de la direction qu’il prenait, il tournait sur la droite comme s’il eût eu réellement l’intention de se rendre chez son ami Victor.

Cent mètres plus loin, par exemple, il se faufilait par une ruelle en prenant garde d’être vu et rejoignait la route de la gare.