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« Il fallait innocenter Alice de tout soupçon et bien faire comprendre à la police que nous étions partis l’un et l’autre pour Vernon à onze heures quarante-cinq, alors que l’oncle Baraban ne pouvait avoir été assassiné qu’à partir de minuit, puisque la concierge avait affirmé qu’il était rentré chez lui à cette heure-là.

— Je sais ce que vous avez fait, interrompit Juve. En quittant la rue Richer à onze heures du soir, vous vous êtes servi d’un timbre et vous avez sonné les douze coups de minuit alors qu’il n’était en réalité que onze heures.

— C’est exact, fit Fernand Ricard. Mais comment le savez-vous ?

— Peu importe. Et les taches de sang de l’appartement ?

— C’est de mon sang à moi, déclara Fernand Ricard qui ajouta : Si ces menottes ne m’interdisaient pas tout mouvement, je retrousserais ma manche, et vous verriez que je porte au coude une cicatrice. Je me suis ouvert une veine exprès.

— Décidément, constata Juve ironiquement, vous avez pensé à tout.

— Ma foi, c’est vrai, reconnut naïvement Fernand Ricard. Vous savez, lorsque l’on combine quelque chose pendant trois ans, qu’on y pense sans interruption pour ainsi dire, il est bien rare qu’on laisse quelque chose au hasard.

— Cependant, intervint Fandor, qui se pinçait les mains pour ne pas applaudir à l’ingéniosité de cet escroc, cela ne vous a pas réussi ?

— Ah, fit Ricard, nous n’avons pas eu de chance. Des complications sont survenues que nous ne pouvions prévoir. D’abord, ça été la maladroite intervention de cet imbécile de Théodore Gauvin, qui s’est fait arrêter et inculper d’avoir assassiné l’oncle Baraban. Puis il y a eu autre chose.

Le visage de Fernand Ricard, soudain, devint grave, et Alice qui écoutait ce récit sans broncher, tressaillit dans son fauteuil.

— Et quoi donc ? interrogèrent Juve et Fandor.

D’une voix toute tremblante d’émotion, Fernand Ricard poursuivit :

— La malle verte et l’homme mystérieux.

— Fantômas, dit Juve.

Fernand Ricard eut pour le policier un long regard étonné.

— Ah ça, questionnait-il, vous savez donc tout ?

— Pas tout, fit Juve, certaines choses. Continuez.

— Oui, poursuivit le courtier en vins, Fantômas est intervenu dès lors dans nos affaires. Une première fois, il est venu nous rendre visite pour dire : « Part à deux, moitié, dans les cent mille francs de l’oncle. »

— Vous avez accepté ?

— Nous avons refusé, nous croyions que c’était quelqu’un de la police. Mais alors, Fantômas nous menace et nous dit : « Je vais vous perdre. » En effet, nous ne savons ni pourquoi, ni comment, tout d’un coup, la police arrive chez nous, on trouve dans la cheminée de la rue Richer du sable provenant de notre jardin et, dans ce sable, un mouchoir appartenant à Alice, rempli de sang. Tout cela avait été mis là par Fantômas qui voulait nous compromettre. Pour comble de malheur, M. Havard fait fouiller notre puits et il retrouve la serrure de la malle jaune que, par prudence, nous avions détruite et fait brûler dans notre fourneau. Quant à la malle verte, Fantômas nous l’a avoué, c’est lui qui l’a fait découvrir après l’avoir envoyée à Brigitte, alors qu’il avait dans l’idée de faire arrêter cette malheureuse. Nous sommes arrêtés nous-mêmes. Mais Fantômas se doute bien que nous pourrons nous innocenter, et alors, il nous compromet plus encore, en réapparaissant, déguisé en oncle Baraban. Nous sommes obligés de le reconnaître pour notre parent, et cette fois, il est certain que c’est lui qui va toucher, non pas l’assurance, puisque sa réapparition remet l’affaire en question, mais bien les deux cent mille francs gagnés par le billet de la loterie que j’avais pris sous le nom de l’oncle Baraban et confié au notaire Gauvin.

— Oui, fit Juve intervenant à son tour, je comprends maintenant pourquoi Fantômas a fait gagner le numéro 6 666 et pourquoi il a assassiné ensuite le notaire Gauvin.

Atterré, Fernand Ricard bredouilla :

— Est-il donc si épouvantable ?

Fandor, de son côté, s’exclamait :

— Qu’est-ce que vous dites, Juve ? Il a assassiné Me Gauvin ?

— Oui. Il est plus cruel encore que vous ne pouvez le croire, acheva-t-il, s’adressant à Fernand Ricard.

Le policier laissait souffler quelques instants le malheureux qu’il interrogeait depuis déjà près d’une heure. Puis, il reprit ses questions :

— Qu’est-il advenu ensuite ?

— Fantômas, déclara Ricard, est venu nous trouver, avant-hier exactement. Il ne pouvait plus tenir le personnage de Baraban, nous a-t-il dit et désormais, il fallait aviser, faire quelque chose de nouveau. Cet homme a une imagination terrifiante, il nous a dicté deux lettres.

— Je les connais, fit Juve, passez.

— Nous supposions ainsi, telle était du moins l’hypothèse de Fantômas, que l’on croirait à mon suicide, que je pourrais continuer à vivre avec Alice sous le nom de Baraban et qu’en fin de compte, on me verserait les deux cent mille francs de la loterie.

— Que Fantômas, interrompit Juve, a volé chez Me Gauvin, après l’avoir pendu.

— Hélas, fit Fernand Ricard, qui ajouta cependant : Mais comment nous avez-vous retrouvés, et qu’allez-vous faire de nous ?

— Comment nous vous avons retrouvés ? déclara Juve, cela nous regarde. Quant à savoir ce que nous allons faire de vous, c’est bien simple : vous conduire en prison.

Un cri s’échappa des lèvres d’Alice Ricard dont les yeux se révulsèrent. Cependant, Fernand Ricard s’était laissé tomber à genoux devant le policier :

— Grâce, grâce, monsieur, suppliait-il, nous sommes coupables sans doute, mais je vous assure que, depuis que nous sommes aux mains de Fantômas, nous sommes si malheureux, si terrifiés, qu’il ne faut pas ajouter ce châtiment à celui que nous subissons.

— Grâce, monsieur, suppliait aussi Alice Ricard, dont la poitrine était soulevée par de violents sanglots.

La scène était pathétique. Juve et Fandor se regardèrent interdits.

Soudain, on entendit frapper à la porte de la chambre voisine, celle retenue par Fandor. Le journaliste se précipita. Il revint un instant après avec un télégramme, dont il déchirait fiévreusement le pointillé.

Mais lorsqu’il eut parcouru la dépêche, Fandor devint blême, il la tendit à Juve. Le télégramme était ainsi conçu :

Fandor,

Itinéraire changé pour motifs graves, rejoignez-moi au Natal.

Il n’y avait pas de signature, toutefois la dépêche était datée de Belgique.

— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Juve.

Fandor chancelait, se comprimait les tempes.

— Juve, Juve, murmura-t-il, je ne sais pas. Mais j’ai peur, j’ai peur pour elle !

En s’exprimant ainsi, Fandor songeait à la noble et pure Hélène, à la tragique fille de Fantômas, qu’il aimait de toute son âme, et dont il n’avait point de nouvelles depuis une quinzaine de jours.

Alice Ricard et son mari avaient profité de l’inattention momentanée de Juve et de Fandor, pour se rapprocher l’un de l’autre, et tous deux, tendrement serrés l’un contre l’autre, pleuraient doucement. Ils étaient pitoyables et touchants, ces deux pauvres petits escrocs.

On sentait qu’ils étaient tordus désormais comme des arbrisseaux sous la tempête, et que quiconque s’intéresserait à eux, pourrait en faire ce qu’il voudrait.

Juve d’un coup d’œil l’avait compris. D’une voix qu’il voulait rendre dure et sévère, mais que trahissaient cependant, certaines intonations douces, il les interrogea :

— Madame Alice Ricard et vous monsieur Fernand Ricard, dites-moi la vérité : devez-vous jamais revoir Fantômas ?