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— Ils voulaient le faire, mais je me suis arrangée avec le directeur.

— Qu’appelles-tu t’arranger ?

Marie-Charlotte écrasa son mégot d’herbe contre la tubulure du lit et le propulsa dans la pièce d’une chiquenaude.

— J’ai ôté ma culotte et l’ai mise dans un tiroir de son bureau.

— T’es gonflée ! s’exclama Rosine. Quelle idée ?

— Une idée comme ça ! Le surveillant se trouvait dans le bureau et appelait la police. Heureusement pour moi, la ligne était occupée. Il ne m’a pas vue agir. Le directeur était violet. Un sous-bourgeois, tu vois le genre, tante ? Il a dit à l’autre de laisser tomber et de seulement appeler ma mère. Moi j’agitais ma langue dans le dos du surveillant et le dirlo pouvait à peine parler ! Cette tête !

Elle éclata d’un rire mauvais, un peu hystérique.

— Toi, tu vas savoir manœuvrer les matous ! prédit Rosine. Tu veux que je te dise ce que nous allons faire ? Prépare ton baluchon et viens passer quelques jours avec moi, on se marrera comme des folles, je te jure !

— Mais il paraît que tu habites dans un wagon ? objecta Marie-Charlotte.

— Et alors ? T’aimes pas les voyages ?

* * *

Elle était convenue d’un forfait pour la journée avec son taxi, et il les reconduisit jusqu’au chantier. C’était un homme bourru, en veste de cuir, coiffé d’une casquette qui paraissait avoir été récupérée parmi les rossignols d’une chapellerie de province.

Quand elle l’eut réglé, il considéra l’excavation où l’eau avait cessé de monter.

— Y avait pas de flotte, autrefois ! lança-t-il à Rosine. Je venais y jouer, c’était plat et plutôt sec.

— Une canalisation s’est rompue, expliqua-t-elle.

— C’est pour cela qu’on manque d’eau en ville ! Qu’est-ce qu’on a entrepris ici comme travaux ? Je suis conseiller municipal et j’ai rien vu passer à ce sujet ?

« Un gestapiste », songea Rosine.

— Oh ! c’est un simple nettoyage de terrain, histoire de le rendre mieux vendable.

— Un nettoyage en profondeur, hé ? Il est à vous ?

— On est plusieurs héritiers, mentit Rosine Blanvin. Vous m’excuserez !

Elle l’abandonna, mais le bonhomme, au mépris de ses chaussures, descendit jusqu’au fond du cratère pour examiner la nappe d’eau boueuse.

— Je viens de tomber sur un fumier, expliqua-t-elle à sa nièce. Ils le sont tous dans ce patelin, à chercher des rognes pour ceci cela. Déjà le maire…

Poussée par un élan de confiance, et la lassitude morale l’y incitant probablement, elle raconta à la petite fille perverse ses démêlés avec Dieudonné Nivolas.

— Tiens, fit-elle en conclusion, toi qui es mariolle, Marie-Charlotte, tu devrais me chambrer ce sale mec pour qu’il me lâche un peu les baskets : c’est un gros jouisseur qui devrait perdre les pédales avec une gamine.

La gosse posa sur sa tante un long regard rusé.

— C’est pour ça que tu m’as fait venir ?

— Que vas-tu imaginer !

— Hé ! tantine, me prends pas pour une pomme ! Ton M’sieur le maire à la con, t’aimerais bien le tenir par la barbichette, hein ? Tu veux que je me fasse violer et que je gueule au charron ?

Le cynisme de l’adolescente glaça Rosine. « Mon Dieu, où va cette enfant ! Quel destin l’attend si à treize ans elle possède une pareille mentalité ? Elle est capable de tout ! »

Elle se mit à regretter de l’avoir amenée, mais il était trop tard ; Marie-Charlotte allait bien au-delà de ses espérances et prenait l’initiative.

— Ton brigand, faut que tu me présentes dès demain, déclara-t-elle. Pas ici. Il doit bien y avoir un motel quelque part ? Moi, mon prof d’anglais, c’est dans un motel qu’il me baisait. Pratique, tu paies quand on te donne la clé et tu te débines quand tu veux, sans voir personne.

Rosine l’écoutait avec épouvante.

— Tu as déjà vécu ça ? murmura-t-elle.

— Ça et le reste, fit Marie-Charlotte. Qu’est-ce que tu crois ? L’enfant prodige, ma vieille ! Ils m’ont assez cassé les couilles avec Mozart, eh bien, je suis Mozart ! Tu m’as voulue, tu m’as. Laisse-moi m’occuper de tes problos, tantine. Avec toi, tout baigne ; avec ma mère c’était comme un enterrement qu’on suivait jour après jour ; jusqu’à présent, ma vie c’était de marcher derrière un corbillard. Mais c’est fini ; et quand tu en auras marre de moi, dis-le franchement, j’irai voir ailleurs si j’y suis !

Cet échange avait eu lieu dehors.

Elles entrèrent enfin dans le wagon. Rachel cuvait au milieu d’une flaque de déjections.

— Quelle horreur ! s’écria Rosine. Tu vois ce qui arrive dès que je tourne le dos ?

— Pourquoi tu la fous pas dans un hospice ? Moi, ma vieille, je peux te dire que ça lui pend au nez si un jour elle est à ma charge. Ils sont faits pour ça, les hospices.

— Ça ne serait pas possible, assura Rosine, choquée. J’aime ma mère.

La gamine hocha la tête.

— Si on se fait chier avec les gens qu’on aime, on finit par ne plus les aimer.

* * *

Le lendemain, elle déclara qu’il fallait acheter une jolie robe à Marie-Charlotte en vue de la « rencontre ». Elle s’attira les sarcasmes de la gamine :

— Qu’est-ce que tu t’imagines ? Qu’il a envie de tripoter les petites filles modèles ? T’es loufe, tante ; ton vieux crabe, ce qui l’excite, c’est la gamine qu’il voit dans la rue avec un jean élimé, des tennis cradoches et une chemise d’homme !

— Tu crois ? demanda Rosine, tout de suite vaincue.

— Toi, t’en es restée aux petits livres d’or ; y a qu’à voir le tas de choucroute que tu te trimbales sur la tronche pour s’en rendre compte.

Tantine se sentit bafouée. Elle avait trop le culte de sa chevelure élaborée pour la laisser moquer par l’impertinente.

— Écoute, ma fille, je t’ai pas attendue pour savoir comment je dois me coiffer.

— Non, et c’est dommage, déclara l’effrontée. Enfin, comme on dit : chacun sa merde, hein ?

Rosine sut qu’elle allait devoir avaler pas mal de couleuvres avec sa nièce et qu’il lui faudrait tenir bon.

Rachel était souffrante de sa muflée de la veille, et ne quitta pas son lit. Rosine lui prépara un bouillon de poireaux en l’engueulant de première. Le père Montgauthier ne vint pas au chantier, terrassé lui aussi par les libations. Lorsque Rosine entendit bourdonner l’engin, elle crut à son retour. En réalité, Marie-Charlotte était parvenue à mettre le monstre en marche et faisait joujou dans le terrain vague. Ayant participé à de nombreux vols de voitures avec les garnements de son quartier, elle avait acquis suffisamment de notions en mécanique pour affronter les engins les plus hétéroclites. Invisible dans la cabine vitrée, elle arpentait la terre défoncée et, sûre de ses chenilles, se risquait sur des buttes et dans des creux, ce qui lui procurait des sensations de fête foraine.

— Quelle idée t’a prise de ramener cette petite ici ? grommela Rachel entre deux aigreurs stomacales. Tu trouves qu’on n’est pas suffisamment à l’étroit ?

— Nine n’en pouvait plus d’elle, répondit Rosine ; elle est dure !

— Et c’est toi qui vas la dresser ?

— Cette gosse a besoin de la campagne pour se calmer un peu les nerfs.

— Parce que t’appelles ce bourbier de bidonville la campagne ?

— Au moins, il y a de l’espace ; pendant qu’elle s’amuse avec le bouteur, elle ne pense pas à mal faire.