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La motocyclette de Banane rugissait en traversant les localités. Édouard se laissait caresser par le vent de la vitesse et « bouffait l’air » voracement.

Dans le couloir, Banane le prévint :

— Te formalise pas si elle t’envoie aux quetsches ; depuis qu’elle a repris connaissance, je suis le seul être qu’elle tolère à peu près. Elle fait une fixation contre nos vieux et mon frangin qui n’osent plus venir la voir. Elle leur hurle après et leur a même balancé sa tasse de tisane !

On avait transféré Najiba de la salle de réanimation dans une chambre à quatre lits. Elle occupait celui qui se trouvait le plus près de la porte. Édouard qui ne l’avait pas revue de quelques jours la trouva profondément changée. Elle avait des traits émaciés et un immense regard brûlant dans lequel on lisait comme une sauvagerie rentrée.

La rude chemise d’hôpital montait jusqu’à sa glotte, mais restait dénouée par-derrière et elle avait le dos entièrement nu.

Elle se tenait assise dans le lit, en biais, mal calée contre deux oreillers. La poignée d’assistance tombant de la potence arrivait au niveau de son front.

— Bonjour, Naji, fit Édouard en s’avançant. Ça boume ?

Il fut impressionné par la transformation qui s’opérait sur le visage de la jeune fille. Son regard dur s’éteignit et une sorte de sourire heureux décrispa ses lèvres pâles.

— Je t’attendais, murmura-t-elle.

Là encore, Édouard fut surpris car elle ne l’avait jamais tutoyé. Il se pencha pour l’embrasser chastement sur la joue, mais sa bouche chercha violemment la sienne et s’y colla. Il sentait son souffle un peu âcre, plutôt écœurant, et domina sa répulsion.

— C’est bien ! fit-il gauchement. C’est très bien.

Il ne trouvait rien de mieux à dire et se sentait niais. Banane, interloqué lui aussi, se tenait à distance, n’osant troubler ces retrouvailles.

— Je t’attendais, répéta Najiba. Pourquoi n’es-tu pas venu ?

— Je suis venu, seulement tu ne t’étais pas encore remise du choc.

— Je ne me souviens de rien.

— C’est toujours ainsi, dans les traumatismes de la tête. Par la suite, ça revient petit à petit.

— Embrasse-moi encore !

Édouard hésita, affreusement gêné. Il regarda Banane, Banane lui sourit, fit une mimique de compliment et brandit le pouce de la victoire. Édouard se pencha sur la blessée et ils échangèrent un vrai baiser d’amoureux, interminable, avec pénétration de langue. Plus que lors du premier, la mauvaise haleine de la jeune fille lui fut pénible.

— Pourquoi m’embrasses-tu comme ça ? demanda-t-il.

— Parce que je suis ta femme !

Elle avança sa main menue vers la poitrine d’Édouard, défit le bouton du haut et la coula dans les poils fournis qui la tapissaient.

— Tu es fort ! balbutia-t-elle.

Elle se dressa davantage dans son lit afin d’interpeller une vieillarde en mauvais état qui gisait dans le lit voisin.

— Madame Orion ! appela-t-elle.

La malade tourna vers elle un visage supplicié.

— Je vous présente mon mari ! lui annonça Najiba.

L’autre gardait la bouche ouverte, une bouche privée de son dentier. Elle eut un acquiescement indifférent et se remit à considérer le plafond où s’inscrivaient les ultimes présages de sa vie.

La chemise de la blessée s’était tordue dans son mouvement pour héler sa voisine. L’un de ses seins était nu, de même qu’une partie de son ventre et une fesse.

— Tu te découvres, fit Édouard. Remets-toi dans une position normale.

Il rajusta la chemise, ensuite les draps, en se disant que ce devait être cela des gestes d’époux.

Un yaourt non terminé voisinait avec une coupe de verre emplie de compote sur la table à pied coudé.

— Tu n’as pas l’air de manger beaucoup, fit Édouard. Il faut que tu te remplumes, ma chérie ; je parie que tu as dû perdre près de cinq kilos !

— Je dois maigrir encore pour te plaire, assura Najiba.

— Quelle sotte idée ! Je déteste les miss Gras-d’os !

Elle se rembrunit.

— Tu vois d’autres femmes ?

— Je ne t’ai pas dit ça !

Elle lui fit une scène de jalousie, à voix basse, puis se prit à pleurer en le suppliant de lui rester fidèle. Il jura tout ce qu’elle voulut et ne la calma qu’avec des baisers passionnés. Au plus fort de ces échanges, elle saisit sa main, l’entraîna sous le drap pour le forcer à caresser son sexe.

— Tu es folle ! protesta Édouard en s’écartant. Il y a du monde !

— Je m’en fous !

Ils la quittèrent sans que son frère se soit approché du lit ; seul Blanvin l’intéressait.

Une fois dans le hall, Édouard s’arrêta.

— Si je m’attendais à ça ! soupira-t-il.

— Et moi donc ! renchérit l’apprenti. Elle se croit ta femme !

— Sais-tu pourquoi ? Parce que pile avant votre accident, je lui ai parlé amour et mariage. C’est resté dans son subconscient pendant son coma prolongé et à son réveil, elle croit que la chose est arrivée. Si elle envoie promener les siens, c’est toujours à cause de notre ultime discussion où je regrettais son attachement à l’Islam.

— Quelles que soient les raisons de cette transformation, la balle est dans ton camp, grand ! conclut Banane.

Édouard prit mal la réflexion.

— Tu ne te figures pas que je vais abuser de la situation ! explosa-t-il. J’ai pas besoin qu’une gonzesse s’éclate la tête pour la séduire !

* * *

Un méchant climat régnait dans la voiture haute sur pattes du maire. Rosine se tenait à son côté tandis que la gosse prenait ses aises à l’arrière. Elle s’était vêtue selon son goût, d’un jean effrangé et troué habilement, de santiags neufs, et d’un pull marine à col roulé déniché dans les effets de sa tante.

En début d’après-midi, Dieudonné Nivolas était venu les chercher au chantier, avec la mine inquiète d’un trafiquant de drogue prenant livraison de la marchandise. Il avait la parole haletante et c’est tout juste s’il avait jeté un coup d’œil à Marie-Charlotte lorsque Rosine la lui avait présentée.

En conduisant, il l’observait dans son rétroviseur, lui dérobant son regard sitôt qu’elle lui confiait le sien.

Pendant qu’il pilotait, Rosine se pencha sur lui et interrogea :

— C’est bien ce que vous souhaitiez ?

Il répondit d’un grognement qui ne signifiait rien.

Comme le silence s’épaississait dangereusement, il finit par lâcher d’un ton acerbe :

— Un type qui fout la merde, c’est Élie Mazureau !

— Connais pas, répondit Rosine.

— C’est un de mes conseillers municipaux, il fait le taxi. La tête de lard dans toute son horreur. Il est venu me demander des explications au sujet de votre putain de chantier. J’ai tenté de calmer le jeu, mais ce con est du genre fouille-merde. Il promet de constituer un dossier qu’il soumettra au prochain conseil !