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Rosine rougit et ne trouva rien à répondre. Elle voyait son affaire mal engagée. Déjà au niveau de leur escapade à trois. Nivolas roulait au hasard, dans les endroits les plus déserts possible. Il se comportait comme un homme aux abois et la luronne pensait qu’un mâle dans cet état n’a guère envie d’assouvir ses bas instincts. Elle voyait approcher le moment où le marchand de grains les ramènerait à leur wagon sans avoir touché Marie-Charlotte du bout d’un doigt.

La situation s’appesantissait, devenait franchement stupide. Dès lors, loin de l’aider, il lui ferait porter le poids de sa déconvenue.

Au plus cuisant de son incertitude, la gamine prit la parole. Jusqu’alors elle n’avait pas proféré un mot. Tout comme sa tante, elle voyait se détériorer la situation ambiguë.

— Tantine, dit-elle, je viens de voir une pancarte : Poissy 8 kilomètres. Pourquoi tu ne demanderais pas à ce monsieur de t’y déposer ? Tu en profiterais pour faire les commissions pendant qu’on se baladerait ?

L’intervention de la gamine détendit l’atmosphère orageuse ; Rosine et Dieudonné réalisèrent qu’elle était uniquement due à la tante. Sa complaisance n’atténuait pas l’effet désastreux de sa présence.

— Alors ? demanda Nivolas.

— Excellente idée ! admit Rosine. Je dois justement m’acheter un chemisier.

Elle fut déposée à l’orée du pont de Poissy. Marie-Charlotte demanda alors la permission de passer à l’avant de la jeep ; elle lui fut accordée.

Leur solitude les rasséréna.

— Tu as une drôle de tante, attaqua le maire.

— Je crois plutôt que c’est elle qui a une drôle de nièce, rectifia Marie-Charlotte.

— Déjà le sens de la repartie ! apprécia Nivolas.

— Je suis une enfant précoce, admit-elle.

— Précoce pour quoi ?

— Pour tout.

— Par exemple ?

— Par exemple pour ça !

Elle avança sa main sur la braguette du bonhomme, l’y promenant lentement jusqu’à ce que naisse une protubérance.

Il ne s’attendait pas à une attaque aussi catégorique.

— En somme, tu es une petite salope ? fit le maire.

— Je crois bien, et j’adore l’être avec les vieux salauds. Les jeunes sont des lapins. Toc toc et ils n’en reviennent pas d’avoir joui. Tandis qu’un homme comme vous, c’est vachement opérationnel !

— Tu en as beaucoup connu, des hommes comme moi ?

— Juste un : mon prof d’anglais. Il a une chose longue comme ça. L’autre jour, j’ai failli m’étouffer.

Nivolas sentait croître dans sa viande une folie sexuelle incontrôlable.

— Oh ! charogne, marmonna-t-il. Oh ! charogne de merde, où est-ce qu’on pourrait bien aller ?

— Vous vous noyez dans un verre d’eau, assura-t-elle. Les hommes sont stupides de vouloir se cacher pour faire l’amour. Ils s’arrêtent dans un sentier ou je ne sais quoi et sont surpris une fois sur deux. C’est sur la hauteur qu’il faut aller. (Elle désigna une colline qui surplombait un méandre de la Seine.) Vous grimpez là-haut. Une fois au sommet, vous quittez la route avec votre tout terrain et vous vous arrêtez au milieu de la lande. Pas un arbre ! Il suffit de regarder de temps à autre s’il vient quelqu’un ; c’est la solitude complète.

L’homme rugit aussi fort que le moteur surmené de sa Cherokee et partit à la conquête de ses fantasmes.

8

Les trois femmes dormaient dans le wagon. Rosine avait aménagé une couche à Marie-Charlotte avec de vieux cartons, des sacs et une couette posée sur le tout.

Le sommeil de l’enfant était perturbé par les ronflements de Rachel qui, comme presque toujours chez les vieillards, faisaient songer à des râles d’agonie. Elle s’éveillait fréquemment et mettait du temps à se rendormir. Elle haïssait sa grand-tante qu’elle jugeait pestilentielle et grincheuse. Pour stopper son insupportable bruit nocturne, elle sifflait, mais la vieille recette ne donnait pas grand résultat : c’est tout juste si Rachel s’interrompait le temps de trois ou quatre aspirations avant de repartir avec plus d’acharnement.

Marie-Charlotte commençait à trouver son séjour au chantier suffisant. N’eût été le bulldozer qui la distrayait, elle s’ennuyait ferme. La séance galante avec Dieudonné Nivolas ne l’avait même pas amusée. Ce type était commun, sanguin et privé de toute fantaisie. Il s’était assouvi prestement, de manière animale, sans préludes d’aucune sorte. Elle l’avait subi avec une résignation quasi professionnelle de putain. Aussitôt après, il n’avait plus eu qu’une hâte : se débarrasser des deux femmes et, à Poissy, il avait remis de l’argent à la petite en lui demandant de rentrer en taxi.

Malgré tout, il avait cédé à ses instances lorsqu’elle lui avait demandé de s’arrêter dans un bistrot de campagne, pour boire un Coca et aller aux toilettes.

Il avait commencé par alléguer qu’il était pressé, mais la colère de Marie-Charlotte lui avait fait peur. Ils avaient bu au comptoir d’une boulangerie-estaminet tenue par une petite femme à l’aspect méditerranéen. Elle avait guidé l’adolescente aux toilettes qu’elle prétendait ne pas trouver. Depuis cette sortie, on n’avait plus revu M. le maire.

Trois jours plus tard, le garde municipal était venu apporter un document à Rosine Blanvin lui enjoignant de se rendre dans les plus brefs délais à la mairie pour être entendue à propos des déprédations que ses travaux avaient causées aux canalisations d’eau. La femme au théâtral chignon éructait devant la vilenie du maire qui, loin de tenir ses engagements, la bafouait. Elle lui avait téléphoné de chez le garde-barrière. « J’ignore à quoi vous faites allusion, madame Blanvin, mais je crains que vous ne vous mettiez dans une fâcheuse situation en formulant contre moi de graves accusations accompagnées d’un odieux chantage. »

Puis il avait raccroché.

Quand, désespérée, elle revint au chantier, Marie-Charlotte ne s’y trouvait plus. Rachel lui dit qu’elle était partie sans emporter ses effets personnels, après avoir pris un peu d’argent dans la vieille boîte à biscuits où l’on serrait le fric courant.

Elle soupira, bien consciente que sa petite pensionnaire ne pouvait s’attarder longtemps dans cet endroit sinistre et remit au lendemain la corvée de téléphoner à Nine pour lui apprendre cette nouvelle fugue.

Trois heures plus tard la gosse réapparut en compagnie de deux gendarmes. Elle n’avait rien d’une prévenue et semblait, bien au contraire, être très à l’aise avec eux.

Rosine fut frappée par l’expression gentille de la petite garce. Tout en elle reflétait l’innocence, la soumission, l’acceptation de ses misères d’enfant.

— Mon Dieu, qu’est-ce que tu as fait ? s’écria sa tante en la découvrant en pareil équipage.

Le plus vieux des gendarmes la calma d’un geste.

— Si vous aviez un instant, madame Blanvin…

Il l’attira à l’écart et Rosine n’eut que le temps d’enregistrer le clin d’œil rusé que lui décochait sa nièce.

Le pandore avait une tête de brave homme, père de famille à n’en pas douter. Il sentait le cuir, le drap militaire, l’eau de Cologne d’épicier. L’une de ses paupières, abîmée par un accident, déviait du côté de la tempe.

— C’est une histoire délicate, fit-il. Vous êtes la tutrice de l’enfant ?

— Seulement sa tante, rectifia Rosine ; elle est en vacances.