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— Elle a dit ne vous avoir parlé de rien parce qu’elle craignait d’être grondée.

— Parler de quoi ? s’inquiéta Rosine.

— Eh bien voilà. Il y a trois jours, se promenant dans la campagne, elle aurait été abordée par Dieudonné Nivolas, le maire de Saint-Maugis, qui passait en voiture. Il lui aurait proposé une promenade que, sans méfiance, la petite aurait acceptée. M. Nivolas se serait ensuite arrêté dans un endroit escarpé et aurait abusé d’elle.

La malheureuse Rosine endurait le martyre. « Dans quelle merde cette sale petite connasse nous a-t-elle fourrées ! » songeait-elle.

Sa colère rentrée passa pour de l’indignation aux yeux du gendarme.

— Vous comprenez, madame Blanvin, au début on a cru à une affabulation, ça arrive que les gamines de cet âge se montent le bourrichon ; seulement elle a des preuves !

— Des preuves ? bredouilla Rosine.

Le militaire sortit de sa giberne une pochette de plastique contenant un mouchoir roulé. Dans l’un des angles, Nine, la mère de Marie-Charlotte, avait brodé les initiales de l’enfant (la broderie constituait son passe-temps favori). Les deux lettres M et C composaient un papillon stylisé aux couleurs variées, c’était à la fois niais et charmant.

— Vous reconnaissez le mouchoir de votre nièce ?

— Tout à fait.

— Il est fortement imprégné de sperme ; l’enfant prétend s’être essuyée avec après l’acte. Nous allons donner ce mouchoir au laboratoire de police et si l’enquête révèle que cette semence est bien celle du maire, ce sera les assises pour lui, madame Blanvin, malgré tous les appuis politiques dont il dispose.

— Quelle horreur ! s’écria Rosine, sincèrement épouvantée à la perspective d’un tel procès.

— Autre chose, reprit le brigadier. L’adolescente déclare qu’au cours de la promenade, ils se seraient arrêtés pour prendre une consommation à Potanche. Elle a prié la tenancière de lui montrer les toilettes et lui a déclaré que l’homme qui se trouvait avec elle la pelotait. La commerçante qui avait reconnu le maire l’a rassurée. Nous sommes passés chez elle, elle reconnaît les faits.

— Quelle affaire ! soupira Rosine.

Elle chercha sa nièce des yeux et la vit qui servait à boire à Rachel.

« La foutue garce ! On lui donnerait le bon Dieu sans confession ! »

Elle risqua :

— S’il y a procès, ça va être terrible pour la petite ; elle restera doublement traumatisée, vous ne pensez pas ? Sa vie sera fichue, vous savez comment sont les gens ?

— Je sais, mais on ne peut éviter ça ! Le viol d’un enfant est un délit extrêmement grave.

Il y eut un silence.

Rosine songeait qu’une fois aux assises, le maire raconterait la vérité sur l’affaire, n’ayant plus rien à perdre.

— C’est étrange, reprit-elle. Pendant ces trois jours, Marie-Charlotte a eu le même comportement que d’habitude, elle ne semblait pas tourmentée…

— Les filles cachent bien leur jeu, assura le brigadier ; j’en ai trois, je sais de quoi je parle.

Rosine crut déceler une ouverture. Elle saisit le bras du gendarme et le pétrit frénétiquement.

— Monsieur, chuchota-t-elle, avant d’être un rouage de la loi, vous êtes un homme ; si vous étiez dans ma situation, que feriez-vous ? Répondez-moi en votre âme et conscience.

L’homme considéra la superbe poitrine de Rosine et éprouva un coup de flou plutôt agréable. Lui, admirait la construction capillaire surmontant la gaillarde. Elle correspondait exactement au style de femme qu’il aimait trousser. Son œil ébréché brilla d’une lueur concupiscente.

— Moi, c’est différent, finit-il par répondre.

— Comment cela ?

— Je suis un homme. Je commencerais par défoncer la gueule du type.

— D’accord, et après ? Vous adorez vos filles, je le sens bien, vous avez le souci de leur avenir. Vous imaginez l’une d’elles à la barre des témoins, racontant qu’elle a été pénétrée par un sadique ?

— Eh oui, je sais bien, murmura le brigadier. Ici, nous avons affaire à un notable ; il devrait réparer un peu son crime en dotant la petite par exemple ?

Bien qu’il eût la voix rude, Rosine crut entendre un chant d’oiseau.

— Écoutez, fit le bonhomme, on va dormir dessus pour se donner le temps de la réflexion.

— D’accord.

— Je reviendrai demain.

Elle lui flanqua un regard de mille volts dans la figure.

— Dites-moi à quelle heure, je m’arrangerai pour être seule.

Il eut quelque mal à avaler sa salive.

— Vers dix heures, ça joue ? Je viendrai seul, aussi.

Elle eut un doux sourire plein d’indulgence et de promesses.

— D’ici là, il y a une chose que je vous demanderai de faire, c’est de téléphoner au maire pour le mettre au courant ; qu’il commence à faire dans son froc, ce fumier.

— Comptez sur moi. Vous voulez qu’on l’appelle de la voiture ?

— Vous êtes un amour, ça ne me déplairait pas d’assister à ça !

Ils prirent place dans la Juvaquatre bleue frappée aux armes de la Gendarmerie Nationale.

Pendant qu’ils téléphonaient à Nivolas, Édouard survint au volant de la nouvelle 7 B. Il eut un haut-le-corps en découvrant Rachel et Marie-Charlotte en « douteuse » compagnie d’un jeune gendarme. Il stoppa son véhicule à bonne distance, le laissant derrière un transformateur et s’avança. Cela faisait des années qu’il n’avait vu Marie-Charlotte et il conservait le souvenir d’une fillette pénible, au regard effronté.

— Comment se fait-il que tu sois ici ? lui lança-t-il de loin.

Elle vint au-devant de lui, déjà chatte, enveloppante, œil de velours.

Ils s’embrassèrent. Marie-Charlotte expliqua à son cousin que Rosine avait décidé de la prendre quelque temps au chantier pour la changer d’air. Édouard qui avait entendu parler de ses frasques, demanda, montrant le gendarme :

— Tu as des problèmes ?

— On te racontera quand ils seront partis !

Il vint embrasser Rachel qui présentait un visage de bois. Elle le voulait inexpressif, mais il trahissait cependant une vive hostilité. La présence de la petite pécore lui gâchait la vie. Elle avait espéré qu’elle s’était enfuie, mais en la voyant réapparaître avec les gendarmes, elle comprenait que des maléfices s’accumulaient sur Rosine et sur elle.

Le jeune pandore eut un bref salut militaire.

— Je suis Édouard Blanvin, le fils de la maison, se présenta l’arrivant en désignant le wagon. Quelque chose ne va pas ?

L’interpellé hocha la tête sans répondre. Il ôta son képi pour essuyer avec son mouchoir le cercle de cuir garnissant le bord intérieur.

Édouard s’accroupit devant les genoux de la vieille femme.

— Tu n’as pas l’air en forme, mémé ?

— T’as déjà vu des vieillardes infirmes qui soient en forme, toi ?

Elle fit une grimace en direction de Marie-Charlotte pour signifier à son petit-fils que c’était la présence de l’adolescente qui la contrariait.

Rosine sortit de la Juvaquatre, rouge et ravie. Elle avait pris un pied d’enfer à entendre les vociférations du maire, ses protestations et puis ce brusque silence quand le brigadier avait parlé du mouchoir. Comme il ergotait pauvrement, avant que sa nature de père fouettard ne reprenne le dessus ! Il gueulait au coup monté, à la calomnie, jurait qu’il ne se laisserait pas faire et qu’il aurait la peau de tout le monde ! Conseillait au brigadier de penser à sa carrière qu’une affaire aussi tordue risquait de faire capoter. Il l’avait en sympathie et ça lui ferait mal aux seins qu’il se cassât les reins sur une telle ignominie. Il conjura le gendarme de ne souffler mot de l’histoire à quiconque avant d’avoir eu une conversation avec lui.