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La Juvaquatre repartit bientôt. Rosine avait prodigué les caresses qui convenaient, elles constituaient des arrhes versées sur leur rencontre du lendemain.

Maintenant, elle ne pouvait s’empêcher d’admirer l’audace et le sang-froid de Marie-Charlotte.

Elle rejoignit le trio et embrassa Édouard.

— Chapeau ! lança-t-elle à la gamine, tu iras loin ! Le coup du mouchoir, c’était prémédité ?

— Qu’est-ce que tu crois, tantine ? Et l’arrêt au bistrot également. Ton sale mec ne m’inspirait pas confiance, j’étais certaine qu’il allait nous blouser.

— On me raconte ou me laisse mourir idiot ? s’impatienta Édouard.

Sa mère lui prit le bras et l’entraîna vers le chantier, ce qui déchaîna la colère de Rachel.

— Merci pour elle ! leur lança la vieille femme. J’en ai plein le cul de jouer les potiches cassées. Foutez-moi à l’hospice, bordel, que je rigole un peu !

Marie-Charlotte approcha sa bouche de l’oreille blanche de mémé. Une oreille de morte où le sang ne passait plus et qui se décomposait de l’intérieur.

— Tu la fermes, sorcière, sinon j’enfonce une betterave dans ta sale gueule, sans enlever la terre qui est après !

Foudroyée par une telle apostrophe, Rachel se tut et dévisagea l’adolescente.

— Fais pas ces yeux, espèce de vieux candélabre, fit Marie-Charlotte, et inutile de gueuler au charron pour ameuter la grosse et son grand glandeur, tu le paierais trop cher ! Tu as l’âge où, quand on n’est pas encore mort, faut savoir s’écraser ; quand on existe à peine, on se fait inexistant. C’est ma manière de voir les choses, je suis une surdouée !

Elle s’était assise au pied du fauteuil voltaire et jouait aux osselets avec des petits cailloux. Son discours ne s’adressait pas vraiment à Rachel ; c’étaient des mots qui sortaient d’elle, une extériorisation quasi involontaire du ferment de haine qui l’habitait.

— Tu pues, ajouta-t-elle. Tu pues, mais y a rien à tenter pour atténuer l’odeur. On te briquerait la carcasse à la lessive Saint-Marc, tu puerais encore. C’est pas seulement ta viande qui fouette, c’est ton âge. Un vieux, y a plus rien à espérer, plus rien à tenter ; moi, si les petits cochons ne me bouffent pas avant, à trente ans je me bute, j’ai pas envie d’aller plus loin. À quoi ça servirait d’être une surdouée si c’est pour exister aussi longtemps que les autres ?

Elle cessa de débiter ses délires en voyant revenir le couple. Édouard semblait furieux. Pour la première fois de sa vie, il venait de traiter Rosine de maquerelle.

— Utiliser une gamine perverse pour éviter de payer tes conneries, c’est inconcevable ! Tu vas voir comment tout ça va dégénérer, à présent que tu as allumé la mèche !

Profondément choqué par la basse manœuvre de Rosine, il l’imaginait dans sa cellule d’autrefois, macérant dans un univers libidineux, à parler la langue mauvaise des détenues, à rire grassement d’allusions grossières, et — qui sait ? — , se livrant peut-être à des attouchements avec sa compagne de détention pendant que les marmots dormaient ?

« Ma mère est une pute ! Une femme sans moralité ! »

Et lui-même, qu’était-il ? N’achetait-il pas des voitures à la provenance plus que douteuse afin de les maquiller ? En aurait-il fallu beaucoup pour qu’il basculât dans l’arnaque ? S’il n’avait été préservé par son hobby des tractions avant et son amour de la mécanique, où en serait-il aujourd’hui ?

Rosine restait indécise. L’affolement de Dieudonné Nivolas la rassurait, mais elle redoutait que le trop zélé brigadier, conseillé par ses supérieurs, n’enclenche le processus irréversible qui conduirait à un procès tapageur et l’obligerait à quitter la contrée.

— Ta petite pute de nièce ressemble à une vipère, avec ses yeux pincés de chaque côté de son nez. Tu vas la rembarquer d’urgence, au besoin je la reconduirai chez Nine. C’est de la saloperie en branche, cette gosse. Tout en elle sue la malfaisance. Tu t’en rends compte ou pas, Rosine ?

Elle restait immobile, silencieuse mais donnait raison à son fils intérieurement.

— Drôle de complice que tu es allée pêcher là, reprit le garçon qui ne parvenait pas à se vider de sa rancœur. Ma parole, tu perds la tête au bord de ton trou plein de flotte ! Tu peux enfin me dire ce que tu maquilles dans ce terrain ?

Elle s’obstina dans son silence et sa grise mine.

— Tu pourrais parler, soupira Édouard.

Elle dit :

— Il paraît que tu as frappé Fausto, l’autre jour, pendant mon absence ?

Il ne put s’empêcher d’admirer le tranquille machiavélisme des femmes qui se dérobent aux questions brûlantes en en posant d’autres sur un sujet différent.

— Oh ! une tarte !

— Qu’est-ce qu’il t’a fait ?

— Toujours la même chose : il baise ma mère et ça me gonfle.

Un grondement de moteur les fit taire. La Cherokee noire de Dieudonné Nivolas surgit dans un nuage de terre sèche, fonça sur le groupe et s’arrêta de justesse à deux mètres des Blanvin.

Le maire en jaillit, apoplectique, le regard fou.

Il ne regarda personne d’autre que Rosine et se rua sur elle.

— Bougre de truie ! Pourriture ! Vérolée !

Édouard s’interposa et saisit Nivolas par les revers de sa grosse veste de velours.

— Moment ! C’est ma mère ! dit-il d’une voix blanche.

— T’as pas de quoi être fier ! repartit le maire.

Blanvin rejeta son buste en arrière, puis abattit de toutes ses forces son crâne dans la figure de Nivolas. Le choc fut sourd. Le maire poussa une plainte et tituba avant de tomber assis devant son antagoniste.

Édouard attendit calmement la suite. Le maire raclait le sol du talon. Son nez éclaté pissait le sang. Il émettait des cris pareils aux jappements d’un chien. Rage et douleur mêlées lui faisaient perdre toute dignité. Il suffoquait dans son besoin de lancer des injures.

— Flanquez-lui un seau d’eau dans la gueule ! conseilla Rachel, ça le ravigotera.

Ce fut la péronnelle qui souscrivit à sa requête. Elle revint avec un récipient de plastique dans lequel on avait mis à tremper des haricots secs, le propulsa au visage de Dieudonné. La douche froide accrut son étouffement. Les soissons blancs s’accrochaient à sa tignasse rêche, glissaient par l’échancrure de sa chemise ainsi qu’à l’intérieur du veston. Une fève restait collée dans le sang tapissant son menton.

Quand il put parler, il lança à Édouard :

— Tu ne me fais pas peur, fils de pute !

— Je vais te massacrer si tu t’obstines, avertit Blanvin. Tu comparaîtras aux assises dans un fauteuil roulant.

— Après toi ! grinça le maire.

— Seulement moi j’aurai été acquitté, bougre de sadique. Déglinguer un violeur d’enfants, c’est pas cher, crois-moi ! Tout le monde est avec lui.

— C’est un coup monté, balbutia le maire.

— Tu raconteras ça aux jurés.

Soudain, la voix acide de Marie-Charlotte s’éleva :

— Levez-vous, monsieur le maire, il faut que je vous parle en tête à tête.

— Toi, tu t’écrases ! intervint Édouard.

Elle mit ses mains sur ses hanches.

— Je m’écraserai pas et je lui parlerai. J’ai le droit, grand con ! Qui est-ce qui a été violé ? Toi ou moi ?