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Elle se dirigea vers l’escalier de bois.

— C’est là qu’il habite ?

En la voyant s’y engager, Banane craignit qu’elle ne se livrât à quelques représailles et lui emboîta le pas. Pourtant son attitude ne trahissait rien de belliqueux.

Elle examina le petit logement avec le sourire.

— Oui, fit-elle, je l’imagine bien là-dedans : c’est propre, pauvre mais coquet ; tu ne sais pas, ton patron ? Il me fait penser à un séminariste. Je le verrais bien agenouillé sur le tapis pour prier.

— Là, vous mettez à côté de la plaque : c’est pas son style.

— Si ! Dans sa tête, c’est son style ; tu peux me faire confiance quand je juge quelqu’un : je suis infaillible. Tu ne me crois pas ?

Il souriait.

— Pourquoi pas ? fit-il.

Elle s’approcha.

— Si tu te laissais pousser la moustache, tu ressemblerais à Omar Sharif jeune. Tu l’as vu dans Docteur Jivago ? Superbe.

Banane ne l’avait pas vu.

— Embrasse-moi ? ordonna-t-elle.

Il eut l’air tout à coup si godiche qu’elle prit le fou rire.

— C’est mon jeune âge qui te paralyse ? Te fie pas aux apparences : j’ai mille ans !

Elle se dressa sur le bout des pieds pour atteindre sa bouche et lui donna un baiser ardent, frétillant, incisif, qui bouleversa le jeune Maghrébin. Tout en l’embrassant, elle vérifiait, plus bas, si son émoi se « diffusait » bien.

— Je savais que t’en avais une de première ! murmura-t-elle lorsque les nécessités respiratoires les contraignirent à se séparer.

D’un grand geste expert, elle écossa la salopette sur toute sa hauteur, puis dégrafa le pantalon.

Selim était confondu par sa hardiesse et sa maîtrise. Il prit le voluptueux parti de s’abandonner aux initiatives de Marie-Charlotte, et connut un moment de grande qualité.

— C’est vrai que tu peux me prêter une mobe ? demanda-t-elle quand ce fut terminé.

— Puisque je te le dis !

— Pourquoi ne s’en sert-elle plus, ta sœur ?

Il lui raconta l’accident et le gros traumatisme crânien qui en avait résulté. La fillette repensa au chauffeur de taxi qu’elle avait enterré. Elle entendait le choc de l’appareil contre la tempe du bonhomme. Un seul coup avait suffi, violent, mais inattendu. Elle n’avait pas voulu l’estourbir. Un accident ! Ç’avait été stupide comme un accident. Il y a l’instant normal qui précède, et puis la chose qui intervient et modifie tout. Un passage immédiat du quotidien au drame ; de la vie à la mort.

— Elle va mieux ? questionna Marie-Charlotte distraitement.

— Oui, elle récupère. Ça s’opère par paliers. Depuis sa sortie du coma elle redevient lentement elle-même.

Ils redescendirent. Le Solex était resté au garage, derrière une pile de pneus. Sa roue arrière avait perdu deux ou trois rayons dans l’accident et le garde-boue ne tenait plus.

— Si vous avez un quart d’heure, je le répare tout de suite, assura Banane.

— O.K., mais pourquoi tu ne me tutoies pas ?

Il fit la moue.

— Peut-être parce que vous êtes très jeune.

— Ça ne m’a pas empêchée de te pomper comme une grande ! Tu as aimé ?

Il acquiesça.

— On recommencera ?

Nouveau signe de tête « emprunté ».

— T’es sympa, beau et sympa. Je voudrais que la France devienne arabe.

— Quelle idée !

— Pour que les Français en finissent avec leur con de passé ! On ne fait rien de bon sur du vermoulu. Tu m’aimes déjà un peu ?

— Je crois.

— Ça te fait quoi ?

— Peur.

— Je comprends. Eh bien ! moi, je ne t’aime pas ; je n’aimerai jamais personne !

— Vous ne pouvez pas dire cela à votre âge.

— Si. Je n’aimerai personne parce que je veux rester forte toute ma vie.

— Vous n’aurez jamais d’enfants ?

— Surtout pas ! Ces minables qui te chient dessus quand ils sont petits et qui te pissent contre quand ils sont grands, merci bien !

Il se mit à réparer le Solex en conscience. Elle admirait son habileté. Il semblait donner du génie aux outils.

Bientôt, il fit tourner le pédalier en tenant l’engin soulevé. La roue produisait un frisson de mécanique bien réglée.

— Vous savez vous en servir ?

— Quelle question ! Tu me prends pour une fille de plouc ! Tu ne veux vraiment pas que je te le paie ? Il a raison, Édouard : probable que tu ne le reverras jamais. Avec moi, tu sais…

— Si vous le perdez, vous me le paierez car il est à ma sœur.

— D’accord, on dit ça.

Elle enfourcha le Solex, lui adressa un clin d’œil salace et disparut.

* * *

En fin de journée, Édouard acheta du céleri rémoulade, un poulet froid, des cornichons et des flans dans des barquettes d’étain avant de se rendre chez Édith Lavageol. Il ne l’avait pas revue depuis sa nuit chez elle et il fantasmait sur le sexe aux lèvres généreuses de l’institutrice. Rien ne le comblait davantage qu’un désir puissant, c’était déjà le début de l’acte de chair et cette période obsessionnelle préparait la rencontre.

Lorsqu’il parvint chez elle, il vit une voiture immatriculée dans la Loire devant la grille de son pavillon. Discret, Édouard attendit près d’une demi-heure à distance, puis, comme personne ne se montrait, il alla appeler Édith d’une cabine publique. Elle lui apprit, d’un ton qui celait mal son embarras, que sa mère et son beau-père venaient de débarquer chez elle à l’improviste et qu’elle ne pouvait le recevoir.

— J’avais tellement envie de te bouffer le cul ! déplora Édouard.

Sachant qu’elle ne pouvait entrer dans la conversation, il se mit à lui dresser le programme pornographique des réjouissances qui eussent été les leurs si elle l’avait accueilli.

À chaque description hard qu’il faisait, elle répondait par des « je regrette, je suis navrée, quel dommage » guindés qui consolaient Édouard de sa déconvenue physique. Après avoir raccroché, il décida de se rabattre sur le chantier et acheta L’Humanité pour Rachel.

Les trois femmes allaient passer à table quand il arriva. Au menu : un reste de choucroute réchauffée et du gruyère en sueur. Bien que grassouillette et gourmande, Rosine se mettait rarement en frais pour la cuisine, d’autant que la précarité de leur installation n’incitait pas à confectionner des repas élaborés.

— Je tombe à point ! s’écria Édouard en brandissant les paquets.

Rachel exultait, Rosine embrassait son grand à tout propos, seule Marie-Charlotte demeurait dans un coin, silencieuse, hostile.

— Elle t’a fait faux bond ? demanda-t-elle quand ils prirent place autour de la table.

— De qui parles-tu ?

— De la gonzesse avec laquelle tu comptais manger cette boustifaille. Il n’y a pas suffisamment de céleri pour quatre et t’apportes seulement deux gâteaux.

Il lui décocha un regard furieux, mais tempéré par l’admiration.

— Doudou, murmura Rachel, tu pourrais pas me débarrasser de cette chiasse ? J’ai plus très longtemps à vivre et elle me pompe l’air.

— Moi, je boufferai de la choucroute ! annonça Marie-Charlotte comme si elle n’avait pas entendu.

— Écoute, maman, intervint Rosine, je suis assez grande pour savoir ce que j’ai à faire vis-à-vis de Marie-Charlotte. C’est à moi que sa mère l’a confiée.