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— Eh bien ! laisse-la pendre mais fous le camp !

Il redescendit, vaincu comme toujours par l’impitoyable autorité de son amie.

— Tu comptes rester longtemps ? demanda Couleuvre avant de le suivre.

— Ça dépendra.

— De quoi ?

— Tu me fais chier, toi aussi emporte-toi !

Une fois seule dans le petit logis désert, elle retourna dans la chambre, se jeta à plat ventre sur le lit et se mit à pleurer.

37

Deux détenus occupaient la cellule où on l’enferma. Le maton qui l’avait réceptionné avait ri de sa triste mine.

— Eh bien ! monsieur Blanvin, vous traînez une de ces tronches ! Vous êtes parti en java toute la nuit, pas vrai ? Ils font presque tous ça quand ils débarquent pour une peine légère.

Édouard ne l’avait pas détrompé ; il trouvait l’homme plutôt sympathique et appréciait qu’il l’appelât « monsieur ».

Ses deux compagnons l’accueillirent sans enthousiasme. L’un d’eux était un Noir très noir, au visage marqué de cicatrices rituelles ; l’autre un petit quinquagénaire chauve et rondouillard qui semblait prostré.

Édouard leur lança un bref salut et s’effondra sur la couche qui restait disponible. Une odeur d’eau de Javel et d’Africain s’imposait dans la pièce ; de crésyl aussi, à cause des latrines.

Le prince releva le col de son veston pour essayer de lutter contre la sensation de froid qui le gagnait. Dérisoire protection. Le Noir lâcha un formidable rot aussi violent qu’un feulement de tigre.

— Amen ! fit le chauve.

Blandin ferma les yeux. Sa lente déambulation dans les couloirs de l’établissement avait constitué un cauchemar, non à cause du lieu, mais de la fatigue qu’elle lui causait.

« Mon chemin de croix. »

Lors de sa préparation au baptême, l’évêque, auquel il faisait part de ses doutes, lui avait expliqué que notre vie est un chemin de croix conduisant de la naissance à la mort et que les seuls moments de repos étaient constitués par nos chutes. C’est quand le poids de la croix nous écrase, nous forçant à nous allonger, que nous récupérons un peu afin de pouvoir aller plus loin.

La prison représentait l’une de ces chutes, ou « station ». Il devait se reprendre et poursuivre. Le lieu du supplice serait sa délivrance.

Le détenu chauve se pencha sur lui.

— T’es camé ou quoi ? lui demanda-t-il.

— Comment ? fit Édouard à demi inconscient.

— Tu pousses des plaintes comme si tu te faisais mettre par un gail !

— Excusez, balbutia Édouard, je ne savais pas.

— Tu es ici pour longtemps ?

— Un mois !

— De la broutille ; ça se fait sur une patte ! C’est la première fois que tu tombes ?

— Oui, fit le prince.

Il réfléchit et ajouta :

— Non : c’est la seconde.

— Tu te rappelais plus avoir fait de la taule ?

— La première fois, j’avais un peu plus d’un an.

— À tirer ?

— Non, d’âge !

Le chauve à moustache haussa les épaules.

Il s’écarta du lit d’Édouard et dit au Noir :

— C’est bien ce que je pensais : il s’en est fourré jusqu’aux sourcils.

L’interpellé ne réagit pas ; son indifférence faisait peine à voir.

— Vous parlez d’une joyeuse équipe ! se lamenta le rondouillard.

Il retomba dans sa morosité.

Le prince entrouvrit les yeux et regarda la cellule. Elle ne comportait pas de fenêtre, mais une espèce de meurtrière oblique au ras du plafond. Elle était peinte en vert d’eau, sauf la porte qui était vert très foncé, de la couleur dont il avait repeint la Rolls de Gertrude juste avant qu’on ne la saisisse. Un judas ogival et un gros œilleton cerclé de laiton la perçaient. La pièce exiguë comportait trois lits, une lunette de cabinet, un lavabo, deux tablettes rabattantes et deux étagères. Des posters représentant des pin-up nues, coiffées de sombreros mexicains, jaunissaient depuis longtemps sur les murs.

Édouard tenta de se rappeler sa première cellule. Elle ne devait pas ressembler à celle-ci ; mais il se convainquait que la même ambiance déprimante y régnait. C’était une cellule de femmes où l’on tentait d’élever des bébés, donc elle jouissait d’une humanité beaucoup plus chaleureuse, voire colorée et bruyante.

Comment se prénommait la petite fille qui avait été sa camarade de détention ? Un prénom pas de chez nous, un prénom de romans noirs américains dont sa mère se montrait friande. Eva ? Laura ?

Il se souvint : Barbara !

Quelle carrière avait-elle faite avec ce nom artificiel ? Était-elle voleuse, ou pute, ou épave dans un bar de nuit ? Plus grand-chose ne l’intéressait à ce moment de sa vie, cependant il aurait aimé voir la fillette de jadis, sans espoir de la reconnaître, certes, mais seulement pour constater ce qu’elle était devenue, de quelle sale façon l’existence l’avait traitée.

Il eut une quinte de toux et un flot de sang emplit sa bouche.

Sale con qui l’avait tué ! Mais n’était-ce pas le destin des princes et des rois que de subir des attentats ? Son grand-père, Henri IV, Alexandre II de Russie, qui encore ?

Il perdit conscience.

* * *

Marie-Charlotte ne se rappelait pas avoir vécu un tel moment de détente, de presque félicité. Seule dans l’appartement d’Édouard, il lui semblait avoir atteint un objectif secret.

Quand elle eut bien pleuré, elle s’endormit sur le lit du « grand », car sa nuit de guet l’avait épuisée.

En s’éveillant, elle souffrit de la faim et se mit à explorer la cuisine. Elle découvrit un reste de ragoût de mouton aux haricots et une quantité de yaourts dans le réfrigérateur. Elle mangea voracement. Quand elle eut achevé le mouton, elle poursuivit ses recherches. Le placard contenait nombre de conserves : sardines, thon, petit pois, raviolis, biscuits. Elle grignota un paquet de biscuits en fredonnant. Lorsque Doudou rentrerait, elle essaierait de lui expliquer ce qu’elle ressentait, loyalement. Seulement, étant au courant de ses meurtres, Édouard ne la considérerait plus jamais autrement que comme une criminelle ou une folle. Peut-on éprouver autre chose que de la peur ou du dégoût pour une meurtrière ou une folle ? Non ! Le mieux ce serait d’accomplir ce qu’elle avait primitivement décidé. Le seul acte d’amour qui demeurait possible entre eux, c’était de le tuer.

Elle chercha dans le logis une cachette possible car elle envisageait d’agir par surprise. Très vite, elle la dénicha. Au fond de la chambre, à droite du lit, se trouvait une penderie sommairement fermée par un rideau. Quelques effets d’Édouard s’y trouvaient accrochés à la planche supportant le linge de corps. La penderie n’avait pas de fond, sinon une partie mansardée terminée par la pente du toit. Se dissimuler là serait un velours. Elle s’y coula pour essayer la planque et n’eut aucun mal à se lover dans l’étroit volume conique.

Lorsqu’elle sortit, Marie-Charlotte buta sur un objet qui, quand elle l’eut amené à la lumière, se révéla être un carton à chaussures. Il contenait une quantité d’enveloppes blanches, sans mention de destinataire, que l’on avait numérotées.

L’adolescente s’installa sur le lit, assise en tailleur, avec la boîte d’enveloppes entre ses genoux. Elle éventra sans vergogne l’enveloppe n° 1, retira le message qu’elle renfermait : une lettre bien calligraphiée, mais d’une écriture renversée.