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— Salut, Gustou ! lança Rosine.

Il fit coulisser la vitre de son habitacle.

— Bonjour, madame Blanvin. Vous avez trouvé vos commissions devant la porte ?

— Oui, merci.

— Y avait plus de clémentines à l’épicerie, la saison se termine, alors j’ai pris des oranges.

— Vous avez bien fait. Dites, vous avez vu, l’eau ? Elle continue de monter.

— Je sais. Elle finira bien par s’arrêter.

— Et si elle ne s’arrêtait pas ?

Le vieux hocha la tête.

— Alors faudrait voir…

— Et voir quoi, mon pauvre Gustou ? Si toute cette cuvette se remplit, mon projet est foutu !

— Y aurait une solution, assura le bonhomme, ce serait de creuser une tranchée pour la dévier ailleurs à partir d’un certain niveau.

— Ailleurs, c’est chez les voisins, remarqua Rosine ; ils n’ont sûrement pas envie de voir couler tout à coup un ruisseau sur leurs terres. C’est le genre de visite qui surprend.

— Une source, c’est une source, trancha Montgauthier. Vous en êtes la première lésée, les autres devront se soumettre également, la nature a ses caprices.

— La nature, ronchonna-t-elle. Dans le cas présent, c’est quand même nous qui l’avons dérangée.

Elle contempla l’étang qui s’était formé et montait à l’assaut des pentes du cratère. Au début, elle avait pris l’incident avec enjouement, trouvant que l’eau est un élément décoratif dont elle saurait tirer parti ; mais maintenant l’inquiétude la poignait. Elle avait déclenché avec son bull une force incoercible qui pouvait tourner à la catastrophe.

Le père Montgauthier descendit de sa cage et vint contempler l’eau montante.

— C’est tout de même joli !

— Un incendie aussi est joli dans son genre, maugréa-t-elle. Cette tranchée que vous suggérez, vous la voyez comment ?

Il ne répondit pas tout de suite, sondant le relief d’un œil connaisseur.

— Voilà ce que je pense, annonça Gustou, parvenu au bout de ses supputations. Cette gorge, faut que je l’attaque un mètre au-dessus du niveau actuel et que je la conduise droit au fossé de la départementale ; de la sorte la flotte s’écoulera par le fossé ; après tout il est fait pour, non ? Ça offre l’avantage de ne pas passer sur les terrains des voisins et ainsi donc d’éviter les sacs d’embrouilles.

— C’est peut-être une solution, en effet, convint Rosine. Il va vous falloir longtemps pour creuser cette tranchée ?

— Bof, la journée ; on est pas loin de la route.

— Alors vous devriez vous y coller sans tarder, Gustou !

Il lui sourit radieux. Montgauthier se trouvait sous le charme depuis que la rusée lui avait empoigné la braguette en déclarant : « Je parie qu’il y a encore du monde, là-dedans. » Il suffit souvent d’un geste et d’une phrase pour annexer un individu.

— Vous avez de quoi boire ? lui demanda-t-elle en montrant la cabine.

Il hocha la tête.

— Ma petite bonbonne se tarit plus vite que cette putain de source, madame Blanvin.

— Je vais vous apporter une recharge, promit-elle.

* * *

Rachel restait au lit, alléguant un début de grippe. Chaque fois que sa fille l’abandonnait dehors afin de se livrer à ses ébats amoureux avec le cycliste, elle prétendait avoir pris froid, pour la culpabiliser. Mais Rosine qui la connaissait ne s’inquiétait nullement et la rabrouait. Quand elle entendit s’arrêter une voiture à proximité du wagon, elle crut à une nouvelle visite d’Édouard et s’en réjouit. Elle fut dépitée en voyant s’inscrire dans l’ouverture la silhouette massive d’un gros homme portant un costume de velours vert, une chemise grise et une cravate vert pomme. Il avait les tempes grisonnantes, une calvitie rougeoyante et un regard de salaud rassuré par sa saloperie.

Il salua la vieille femme d’un hochement de tête.

— Mme Blanvin est là ?

— Je suis madame Blanvin, répondit Rachel.

— Alors c’est votre fille que je voudrais voir.

— Elle est sur le chantier.

Il ricana :

— Le chantier !

Puis, avec une rudesse inattendue questionna :

— C’est quoi, ce chantier ?

— Je n’en sais fichtre rien, assura Rachel. Demandez-le-lui, peut-être qu’à vous elle le dira !

Il s’en fut à la recherche de Rosine, les mains au dos, tel un gros propriétaire arpentant son domaine.

Au bout de quelques pas, il la vit qui ressortait de l’excavation, les bottes crottées. Elle portait une jupe noire à plis, assez courte, et un blouson Lacoste rouge. Il songea qu’elle ressemblait à un personnage de cirque ; le wagon-roulotte renforçait son impression.

— Par exemple ! Monsieur le maire ! Quel bon vent ? s’écria-t-elle.

— Le vent du large ! ricana le maire en désignant l’étang.

Elle gloussa avec un faux enjouement :

— Vous avez vu ? Nous avons trouvé une source en aménageant mon terrain.

— Drôle de source, répondit-il.

Rosine subodorait que la visite du maire était motivée par ses travaux ; elle en ressentait quelque crainte. Ayant opté pour l’innocence et la bonne humeur, elle s’obstina dans cette voie :

— C’est fou comme de l’eau adoucit tout de suite un paysage, vous ne trouvez pas ? Je ferai planter des saules autour de l’étang.

Elle lui décochait un sourire qu’elle espérait désarmant. Il n’y fut pas sensible. Dieudonné Nivolas restait massif, hostile ; barricadé dans ses instincts fumiers. De vilaines touffes de poils jaillissaient de ses narines, sa lèvre inférieure, lippue, restait humide en permanence.

En s’installant au pays, Rosine Blanvin avait rendu visite au bonhomme pour lui demander la permission d’aménager son terrain sans avoir à formuler de demandes officielles, aux résultats toujours longs et incertains.

« — Aménager en vue de quoi ? » lui avait-il demandé.

Elle connaissait les regards salaces des mâles de son espèce, et comme elle se montrait complaisante lorsqu’il y allait de son intérêt, s’était faite provocante.

Ils étaient seuls, ce jour-là, dans son minuscule bureau de la mairie. Elle croisa haut les jambes et, à la dérobée, défit deux boutons de son corsage.

Elle haussa les épaules à la question, fit la bête. Expliqua qu’ayant hérité de ce vaste terrain vague sans goût ni grâce et souhaitant le rentabiliser plus tard, elle désirait lui donner un aspect plus engageant en le défrichant et en le nivelant, voire même en goudronnant certaines parties, histoire de créer une ambiance propice à un futur lotissement. Elle comptait d’ailleurs lui demander conseil, et même de collaborer avec elle quand le moment serait venu.

Bien qu’il ne fût pas complètement dupe, Nivolas accorda la permission verbale qu’elle sollicitait.

« — Il faut que je vous embrasse ! » exulta la commère dans son enthousiasme.

Elle lui donna un baiser au coin des lèvres ; il le lui rendit à pleine bouche, une main dans son corsage, l’autre dans sa culotte. S’ensuivit une minutieuse fellation qui remplit d’aise le maire. En homme brutal, il se trouvait en état de soumission lors de ces pratiques amoureuses, alors que l’étreinte catégorique décuplait son côté macho. Au cours de cette savante ponction, il donna libre cours à ses fantasmes, subissant ces délices tout en rêvant à d’autres plus intenses parce que carrément sadiques. Il les psalmodiait d’une voix haletante, le regard fixe, les dents serrées, ce qui rendait son élocution plus rauque.