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— Sous une tuile du balustre de gauche.

En quelques secondes, Selim escalada le portail et le déverrouilla.

La façade du château entièrement obscure surprit le prince car, ordinairement, on laissait briller toute la nuit la lampe du perron. Banane stoppa la voiture au bord des marches et alla carillonner. Personne ne répondant, ils utilisèrent l’avertisseur. Ils finissaient pas désespérer lorsqu’ils aperçurent une faible lueur à travers une vitre. Bientôt la porte s’ouvrit et Edouard découvrit avec incrédulité Rosine en chemise de nuit arachnéenne, tenant une bougie à la flamme vacillante.

De son côté, sa mère cria de joie en le voyant. Dans son émotion, elle lâcha le bougeoir mais, par miracle, la flamme ne s’éteignit pas.

— On a coupé l’électricité ? réalisa Edouard en étreignant la grosse femme.

— Depuis deux jours.

Elle ne cessait de le serrer et de l’embrasser.

— Toi ! Oh mon brigand ! Mon brigand chéri ! Pourquoi me laisser sans nouvelles ?

Il ne répondait pas et respirait l’odeur maternelle, odeur de nichée de lapin et d’eau de toilette commune.

Les baisers de sa mère étaient humides et lui mouillaient le cou. Il en éprouvait un certain écœurement.

— D’où viens-tu, mon Doudou ? J’étais morte d’inquiétude. As-tu su ce qui s’est passé à ton garage ? Oui, puisque tu es avec Selim.

Au lieu de répondre à la question posée, il demanda :

— Qu’est-ce que tu fais ici ?

— Je te cherchais. J’essayais de téléphoner mais ça ne répondait pas, et pour cause. La princesse semblait rassurée mais elle n’a rien voulu me dire. Tu sais qu’on lui a notifié de vider les lieux avant la semaine prochaine ? La pauvre chérie est dans le dénuement le plus complet, mon pauvre Doudou, et quant à moi, je commence à racler le fond.

Elle parlait, son bougeoir levé, dérisoire statue de la liberté.

— Tu as une pauvre gueule, le grand ! Tu t’es mal remis de ces coups de flingue, pas vrai ? Je parie que c’est pour aller te faire soigner que tu as disparu ?

— Gagné, dit Edouard. Comment se fait-il qu’elles n’aient pas été réveillées par la sonnette et le klaxon ?

— Elles prennent des cachets pour dormir ; c’est la seule occupation qui te reste quand tu as le ventre vide et pas de lumière.

— Suivons leur exemple, décida-t-il. Demain, il y aura conférence au sommet !

* * *

Il se réveilla tard et il lui sembla que l’épisode de la prison et du dernier hôpital n’était qu’un rêve de la nuit. Il recolla à sa vie d’avant, quand il passait des journées entières au lit, à rêvasser, ou dans le salon, à donner des cours de mécanique à une vieille princesse déchue. Il retrouva les bruits familiers : celui du vent dans les grosses cheminées, celui du camion des éboueurs ramassant le contenu des poubelles, ou encore les cris aigus des hirondelles qui commençaient à préparer leur grand départ annuel. Toute cette paix qu’il aimait, à laquelle il s’était si bien fait, allait cesser irrémédiablement.

Quand il descendit, Gertrude prenait le thé au salon en compagnie de la comtesse de Vlassa, sa mère. Naturellement, elle était au courant de son retour et ouvrit des ailes d’albatros pour l’accueillir. Il la trouva changée par les tracas. Elle arrivait à un âge où la mauvaise fortune achève de détruire ce qu’une longue existence a bien voulu laisser à l’individu. Elle lui parut affaissée, solitaire et courbée ; pâlie, amaigrie, avec au fond des yeux un désenchantement poignant. Son absence avait précipité les choses ; lui parti, Gertrude s’était sentie livrée sans secours aux griffes des créanciers. Elle avait mesuré sa fragilité ; la misère d’une condition de vieillarde expatriée, accueillie par un pays où elle ne pouvait vivre que par ses propres moyens. Lesdits moyens ayant cessé, elle n’était plus qu’une intruse, n’importe son rang et ses titres.

— Tu reviens à temps, mon cher garçon, dit-elle, s’efforçant d’adopter un ton enjoué qui la rendait lugubre. Cette fois le navire a bel et bien coulé, seul le pavillon émerge encore à la pointe du mât.

— Eh bien, quittons-le pour nous réfugier dans une île, mémé.

— Tu en connais une, toi ?

— Peut-être. Miss Margaret n’est pas là ?

— Elle fait des ménages chez un docteur de la région : il fallait bien que nous subsistions.

— Elle est courageuse, apprécia Rosine qui se rappelait une époque déjà lointaine où elle avait eu recours à ce triste dépannage.

Le prince s’approcha de ses trois voitures. L’Irlandaise n’avait pas eu le temps de s’occuper d’elles et la poussière semblait les uniformiser. Il frotta une aile avec son mouchoir afin de se rendre compte de l’importance de la couche et il en voulut égoïstement à Margaret de sa négligence.

Il revint entre les deux femmes, repoussa la théière et s’assit sur la caisse servant de table.

— Mémé, dit-il, puisque le mauvais sort vous oblige à quitter le château, vous allez venir en France avec nous car vous ne pensez pas quémander une place dans quelque hospice auprès d’un pays qui vous a connue fastueuse, n’est-ce pas ?

— Je vais souffrir d’abandonner la tombe de ton père, Edouard. Pourtant je ferai ce que tu veux.

— On n’abandonne jamais une tombe, assura le prince ; qu’on passe son temps à lui rendre visite ou qu’on la délaisse, c’est dans son cœur qu’elle se trouve, pas ailleurs !

Elle tamponna ses yeux secs de son menu mouchoir roulé en une boule serrée.

Tu as raison, mon petit, c’est très vrai. Et où comptes-tu nous emporter ? Car tu es bien d’accord que je ne puis me séparer de miss Margaret ?

— La chose est impensable, admit Edouard. Écoutez, vous deux : Rosine possède un vaste terrain dans une banlieue peu avenante de Paris, où sont rassemblées trois constructions un peu folles puisqu’elles se composent de wagons de chemin de fer désaffectés. On les a aménagés en bungalows.

— Ce doit être charmant, dit la princesse.

— Ça ne l’est peut-être pas tout à fait encore, mais avec de la peinture et des plantes grimpantes on fait des miracles. Nous en arrangerons un pour vous et votre dame de compagnie, mémé. Naturellement ce ne sera que provisoire ; une solution de dépannage pour attendre des jours meilleurs. Tu marches dans le projet, Rosine ?

— Et comment ! Si madame la princesse veut bien accepter notre hospitalité, j’en serai ravie.

Il lui sourit tendrement.

— J’habiterai le troisième wagon, car je compte vendre mon garage. Après ce qui s’y est passé, je n’ai plus le cœur à l’exploiter, en outre, il va nous falloir quelques capitaux pour réaliser le projet que je caresse à propos de ton terrain, maman.

— Quel projet, Doudou ?

— Je te le dirai plus tard, demain peut-être ; il faut que ça mûrisse encore là-dedans, assura-t-il en tapotant son front.

Rosine était émoustillée par l’aventure. Elle accordait une totale confiance à son fils. Quant à la princesse Gertrude, la perspective de fuir les tracasseries de Versoix lui donnait un regain d’allant.

Ils furent interrompus par le retour de Selim, qui avait quitté la demeure tôt le matin. Son sourire vainqueur et son regard brillant préparaient l’annonce d’une bonne nouvelle.

— Ça y est pour les trois bagnoles ! exulta-t-il. J’ai trouvé un grand marchand d’occases pas loin de l’aéroport ; il est O.K. pour prendre le lot et se charger des opérations de dédouanement.

Il tendit une fiche de garage au prince.

— Il pense que, sous réserve d’examen des véhicules, ça devrait aller chercher ça.