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Ouvrez vos riflards, les potes, m’est avis qu’il pleuvra de l’acier calibré d’ici peu !

CHAPITRE XIII

Une balle ricoche sur le minuscule volant de notre voiture électrique. D’où vient-elle ? Nous ne le saurons sans doute jamais. C’est vraisemblablement un policier allemand qui vient de lâcher sa bave en fer travaillé car, depuis son coup de sifflet, Thierry n’a pas bronché. Il me regarde avec des yeux chargés de haine et tout brillants d’une joie sadique. Si nous tombons vivants entre ses pattes, nous la sentirons passer.

— Tout est perdu, balbutie Laura.

C’est miraculeux ; dans les moments ultra-critiques, il y a toujours une belle gosse comme elle qui prononce les mots susceptibles de vous fouetter le sang.

Perdu ! Ma foi, nous n’avons pas plus de chance nous tirer de là qu’un mec passé au four crématoire n’a de chance de mourir de froid. Seulement IL FAUT tenter quelque chose. Il le faut lorsqu’on s’appelle San-Antonio et que l’on a pour compagne d’infortune une souris de la classe de Laura.

La balle tirée sur nous a produit un effet sensationnel ; en un clin d’œil, tous les mecs qui essayaient de rigoler à cette fête foraine se sont trissés. Nous demeurons seuls au milieu des sulfatés.

J’empoigne la pétoire qui est sur mes genoux et je descends les deux soldats qui se tiennent devant moi.

— Presto ! dis-je à Laura.

Elle saute de la petite voiture et s’élance à mes côtés. Un grand Chleuh s’interpose. Je le foudroie d’un coup de crosse. C’est inouï ce qu’on se sert de la crosse de ce revolver depuis un moment !

Nous filons jusqu’au grand huit. Parvenu devant la palissade de ce manège, je pousse un juron tellement retentissant qu’il a dû être entendu jusqu’au Maroc. Nous sommes cernés. Une bonne douzaine de mitraillettes sont braquées en demi-cercle devant nous. Il n’y a plus qu’à lever les pognes.

Thierry, qui réapparaît, jette un ordre en allemand.

— Qu’est-ce qu’il dit ? grommelé-je.

— Il nous veut vivants ! me répond Laura, qui comprend l’allemand.

— Sans blague ! Il compte peut-être faire du blé en nous exhibant dans un cirque !

Je prends une fois de plus la main de ma compagne. Cela ne fait pas une heure que nous nous connaissons, et pourtant j’ai l’impression d’avoir passé la moitié de mon existence à ses côtés.

Je l’entraîne vers la petite porte qui commande l’entrée du grand huit. Nous entrons. Cela ne fait pas une grande marge de sécurité, car une simple et fragile barrière de bois nous sépare des mitraillettes allemandes.

— Halte ! crie Thierry.

— Et ta sœur ! je lui réponds.

Nous faisons front à nos agresseurs, mais nous reculons pas à pas. Il n’y a plus un matou dans le secteur et les petits chariots du grand huit continuent à démarrer seuls. Lorsque nous sommes à proximité de l’un d’eux, je fais signe à la petite et nous sautons dedans. Aussitôt, des clameurs s’élèvent chez les Frizous. Ils se ruent dans l’enceinte de l’attraction et entourent les piliers de bois de la construction.

Remarquez que notre effort est stérile, puisque le chariot accomplit un circuit fermé et qu’il reviendra à son point de départ. Mais puisque nous n’avons pas d’autre moyen pour reculer l’instant de la capture…

Nous dominons la fête ; cette perspective plongeante fait une curieuse impression sur une bande de soldats et de flics chargés de vous appréhender. Pour le moment, c’est nous qui appréhendons ! Et comment ! Nous sommes à deux mètres du faîte de cette rampe lorsque le chariot à crémaillère s’arrête. Thierry a ordonné au patron du manège de baisser la manette de l’interrupteur et nous voici coincés à vingt-cinq mètres de hauteur.

— Jetez votre revolver ! crie l’homme au pardessus à carreaux.

— Viens le chercher !

— Vous êtes pris, rendez-vous !

— Monte jusque-là respirer le bon air !

Mes reparties ne sont pas tellement spirituelles, mais elles asticotent la patience de Thierry.

— Ce mec-là doit être une huile chez les doryphores ! dis-je à Laura.

— Pourquoi ?

— Dame ! Il paraît avoir carte blanche pour conduire les opérations !

— Tout est fini ! dit-elle tristement.

— Il faut toujours dire peut-être.

— Voulez-vous me rendre un service ?

— Plutôt cent, ma douceur. Je suis prêt à faire n’importe quoi pour vous, dans la mesure où la situation le permet.

— Tirez-moi une balle dans la tête.

— S’il vous plaît ?

— Je vous demande de m’abattre. Je ne tiens pas à tomber vivante dans les mains de la Gestapo. Je sais trop de choses et… j’ai un peu peur de la torture ! ajoute-t-elle en baissant la tête.

— Ne dites pas de conneries, Laura. Un petit lot comme vous n’a pas le droit de tenir de pareils propos. Je me suis trouvé déjà dans des situations tout aussi périlleuses, et j’ai toujours réussi à m’en tirer, vous savez, comme dans les romans policiers.

Je suis le héros sympathique, et un héros sympathique ne calanche jamais dans une histoire bien construite. Cela peut vous paraître idiot, cette petite conversation tenue tout au haut d’une attraction foraine, alors qu’une troupe d’hommes en armes vous cerne et que quelque deux mille badauds vous regardent.

Et pourtant, c’est la pure vérité. Nous discutons le bout de gras bien paisiblement, comme si nous nous trouvions à la terrasse d’un quelconque café « du commerce et de l’Abyssinie réunis ».

— Vous attendez quoi ? je crie à Thierry. Qu’on vous pète un singe ?

— Jetez votre revolver et nous vous permettrons de descendre en rendant le courant.

Évidemment, ça les énerve, ces braves gens, de se donner en spectacle à la paisible population bruxelloise. Comme attraction, la nôtre enfonce toutes celles de la fête !

Je regarde derrière moi, c’est-à-dire un peu plus haut. Le sommet du grand huit se termine par une très brève plate-forme, ensuite c’est la descente vertigineuse.

Après quelques minutes de contemplation, je baisse la tête.

Alors je m’aperçois d’une chose grâce, je le répète, à la vue d’ensemble que nous avons d’ici : tous les Allemands qui nous traquent sont à l’intérieur de la palissade. Ce qui fait que, si nous parvenions à descendre par un des piliers de soutien qui sont plantés sur le cours, en dehors de cette enceinte, les cornichons seraient obligés de ressortir par la petite porte d’entrée pour se lancer à nos trousses.

— Mettez-vous devant moi ! ordonné-je à Laura.

D’en bas, nos poursuivants peuvent tout juste apercevoir nos têtes. Et encore bien mal, car il fait nuit.

Je quitte subrepticement mon imperméable, je le roule en boule et j’étrangle le milieu de cette boule au moyen de la ceinture, de façon à former un paquet en forme de huit. Je tiens l’autre extrémité de la ceinture. Si ça boume comme je le veux, on va se marrer d’ici peu de temps !

En bas, les Frizous se concertent.

— Une dernière fois, jetez votre arme ! crie Thierry. Sinon, nous ouvrons le feu !

C’est fou ce que mon feu les tracasse, ces oiseaux couleur bouse de vache ! Ils ont vu que je savais m’en servir, et ils ne tiennent pas à tenter une nouvelle expérience.

— O.K. ! dis-je. Le voilà !

Je lance mon revolver dans le tas, en souhaitant que l’un des types le prendra sur le groin et qu’il lui poussera une bath aubergine sur le croûton.

Rapidos, j’expose mon projet à Laura :