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Je tâtonne fébrilement et j’empoigne l’espagnolette. C’est une bénédiction : la fenêtre en toc s’ouvre comme une vraie fenêtre ! Nous pénétrons dans une minuscule pièce grande comme une cabine de barlu. Je repousse la fenêtre. Je découvre alors derrière elle une grande pièce de bois qui, une fois placée en travers, la ferme hermétiquement de l’intérieur. C’est bien le diable si les Fridolins viennent nous cueillir ici !

Nous n’y voyons absolument rien, et je n’ose battre le briquet, de crainte qu’un rais de lumière ne trahisse notre présence.

Laura me dit qu’elle vient de découvrir un lit. Nous nous asseyons, l’un à côté de l’autre, et nous attendons. Nos palpitants cognent si fort que nous avons l’impression d’être aux bords d’une cascade. Le temps s’écoule plus lentement que partout ailleurs dans le noir.

Enfin, un pas retentit. Un pas traînant, lourd et rassurant.

— Ouvrez, me dit l’hôtesse, c’est moi.

J’obéis.

Elle tient une torche électrique et sourit.

— L’alerte a été rude, hé ? Heureusement, ils n’étaient pas certains que c’étaient vous que des gamins aient vu circuler dans la rue… Ils m’ont questionnée ; je leur ai dit qu’il me semblait, en effet, avoir vu passer un couple correspondant à votre signalement quelques minutes auparavant. Ils m’ont crue et sont repartis.

Je lui tends la main :

— Vous êtes la plus chic bonne femme de tout le royaume de Belgique, madame ?…

— Broukère.

Je tressaille.

— Vous avez dit ?

— Broukère.

— Sapristi ! Nous sommes dans quelle rue, ici ?

— Rue de Charleroi.

Elle est raide, celle-là — comme disait une jeune mariée — le hasard est le plus astucieux des humoristes. Nous sommes à l’adresse que vient de m’indiquer Bourgeois.

— Incroyable ! fais-je.

— Qu’est-ce qui est incroyable ?

— Tout à l’heure, j’ai téléphoné à un ami pour lui dire que nous étions traqués et lui demander l’adresse d’une planque. Savez-vous ce qu’il m’a répondu ? D’aller chez Mme Broukère, rue de Charleroi, et de lui dire : « Petite pluie abat grand vent. » Et c’était de chez vous que je téléphonais !

Les deux femmes poussent les exclamations qui s’imposent. Oui, le hasard est un grand maître et tutti quanti !

— Demeurez ici le temps que vous voudrez ! nous dit la bonne grosse. Je vais aller vous chercher de quoi manger.

— Pendant que vous y êtes, apportez aussi de quoi boire.

— Ben, voyons ! s’exclame-t-elle.

Elle est tellement brave, cette vioque, que je lui saute au cou.

Des grognasses comme elle, il en faudrait des treize à la douzaine, moi je vous le dis !

Lorsque nous avons achevé l’omelette Parmentier et le veau froid qu’elle nous a montés, lorsque nous avons liquidé la bouteille de bourgogne qui accompagnait le festin, lorsqu’enfin nous avons souhaité le bonsoir à la mère Broukère, il se fait un curieux silence dans la petite chambre sous le toit.

— Dites donc, Laura, vous allez prendre le lit.

— Et vous ?

— Moi, eh bien, je… Je pagnoterai sur une couvrante, par terre.

CHAPITRE XV

Je ne sais pas s’il vous est arrivé de bivouaquer dans une pièce minuscule en compagnie d’une souris que vous ne connaissez que depuis quelques heures ? Je vous jure que cela produit un drôle d’effet.

Le sentiment de sécurité que j’éprouve me permet d’en éprouver un autre, plus complexe. Entortillé dans ma couvrante, je ne parviens pas à chasser de mon tiroir à méninges la silhouette de la petite Laura.

Comment qu’elle est fabriquée, cette poupée !

J’imagine son beau corps rompu de fatigue, sa poitrine qui se soulève… J’ai dans l’idée qu’elle a la plus belle paire de roberts de Bruxelles. Son souffle me fait évoquer sa bouche… Elle a des lèvres sensationnelles. Tout en elle est sensationnel !

Je tourne et je me retourne par terre.

— Vous ne dormez pas ? chuchote-t-elle.

— Non.

— Vous êtes mal sur ce plancher !

— J’en ai vu d’autres…

Il y a un silence. Un silence qui grince dans nos oreilles comme une poulie mal graissée.

Je me mets à genoux et je m’approche du lit. Je me guide à sa chaleur. Doucement j’avance mes mains ferventes.

Elle tressaille.

— Que faites-vous ?

Alors, croyez-moi si vous voulez, mais moi, San-Antonio, le gros dur, le caïd des caïds, le tombeur des tombeurs, je me liquéfie comme un collégien. Je me mets à bêler :

— Laura, Laura.

D’une voix tellement mal assurée qu’elle se coince dans mon corgnolon.

Elle balbutie :

— San-Antonio ! je vous en prie. Je vous en prie…

Et elle me repousse fermement.

Sans doute je ne suis pas son genre. Peut-être aussi qu’elle a dans le palpitant un Valentino auquel elle entend demeurer fidèle.

Navré du haut en bas je balbutie :

— Excusez-moi, Laura.

Et je retourne sur ma couvrante comme un clébard.

Je me mets en chien de fusil et je tâche d’en écraser. Chose étrange, j’y parviens sans difficulté.

Je ne sais depuis combien de temps je roupille lorsque quelque chose me fait sursauter.

Ce quelque chose c’est une paire de lèvres posées sur ma bouche.

« Tiens ! je me dis, la belle Andalouse a changé d’idée. » Ne croyez surtout pas que j’en sois surpris ; je sais par expérience que les bonnes femmes fondent, comme la vérole sur le clergé, sur les types qui n’insistent pas.

Suivez bien mon conseil, les potes : n’insistez jamais ! Voyez moi : je n’ai pas poussé ma sérénade à Laura, aussi elle n’a plus pu s’endormir et la voilà qui s’entortille après moi comme du lierre autour d’un tronc.

Je ne sais pas si la mère Broukère a sa chambre au-dessous de la nôtre. Si oui, elle doit se dire que les agents secrets ne sont pas si secrets que ça.

Quel chabanais, madsème !

* * *

Il est tard, le lendemain matin, lorsque nous nous éveillons. Quelqu’un frappe à la porte.

Je reconnais la voix de Bourgeois qui dit :

— C’est moi, les enfants, ouvrez !

Je passe un grimpant et je tire le drap sur la nudité de Laura.

Je fais basculer la barre de bois et Bourgeois apparaît. Il regarde d’un air hébété nos fringues jetées pêle-mêle sur le plancher. Le désordre ambiant ne laisse aucun doute sur ce qui s’est passé dans le secteur.

— Eh bien ! fait-il.

Laura détourne la tête, rouge de confusion. Moi je me marre autant que le gars qui fait de la réclame pour la poudre hilarante.

— Salut, Bourgeois, je dis. Ne faites pas ces yeux-là, mon bon, vous allez me faire croire que votre papa ne vous a rien dit lorsque vous avez atteint l’âge de la puberté.

— Laura ! murmure-t-il d’un ton incrédule. La chaste Laura !

Il paraît vraiment interloqué.

Si nous étions seuls, lui et moi, je l’affranchirais une bonne foi sur la soi-disant chasteté des gonzesses. Mais je crains de passer pour un mufle, aussi je prends le parti de jouer le jeu et je soupire :

— Que voulez-vous, lorsqu’on a passé des instants comme ceux d’hier, on se sent liés par une sorte de chaîne invisible…

Le Bourgeois, c’est peut-être un superman de la Résistance, mais question amour il a l’air aussi évolué qu’une portion de gruyère. Ma petite phrase qui sent pourtant son Écho de la mode de loin le fait chialer.

Il nous serre la main.