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Les nouvelles sont trop mauvaises pour laisser place à de l’espoir.

— Sacrebleu, hurlé-je, vous avez l’air de me prendre pour Tartarin. Si je vous dis que je vais risquer le paquet pour vos potes, c’est que je vais le faire, et tout de suite encore.

« Bourgeois, vous m’avez dit que votre frangin est curé. Quelle est sa paroisse ?

Le chef me l’indique.

— Ça se trouve où ?

— Dans la banlieue nord.

— O.K., rendez-vous chez lui dans une heure.

— Hein !

— Quoi !

— Il veut sortir !

Toutes ces exclamations me lapident.

— Vous ne pensez pas que je vais jouer au petit bonhomme du baromètre jusqu’à la fin de la guerre, non ? Vous avez un pétard à m’offrir ?

La mère Broukère passe la main à l’intérieur de son poste de radio et en ramène un 6,35 modèle courant.

— Ça peut vous rendre service ?

J’examine l’arme.

— Sans vous fâcher, la mère, cet outil ne vaut pas un bon tire-bouchon, mais je saurai m’en contenter.

Je glisse le petit feu dans la poche de mon pantalon.

— Parfait, dis-je, et maintenant il me faut un sac de charbon.

— Un quoi ?

— Un sac de charbon, vous savez ce que c’est ?

— Plein ?

— Bien entendu, plein !

— À la cave, dit la grosse femme.

Je descends dans ce sanctuaire et je jette un regard de sympathie aux rangées de bouteilles.

« À bientôt, mes chéries », leur chuchoté-je.

Je me précipite sur le tas de charbon. Je me roule dessus, j’y plonge mes paluches, mon visage. Puis j’emplis un sac et je remonte.

En passant devant une des glaces du bistrot, je me marre. J’ai vraiment l’air d’un charbonnier. Il faudrait être plus malin qu’un Frizou pour reconnaître San-Antonio sous cette couche de poussière.

— Allons, ouvrez la lourde ! Bourgeois ! dans une heure à l’église. Je pense que vous arriverez le premier. Dites à votre frangin qu’il ne s’émotionne pas.

Je sors.

* * *

Je crois que j’ai eu une bonne idée de me camoufler de la sorte, car les rues sont pleines de patrouilles.

Les Frizous ont dû recevoir des instructions expresses, cela se voit à la manière dont ils dévisagent les passants. J’ai idée qu’un pégreleu qui s’amuserait à crier « À bas Adolf ! » serait illico transformé en passoire. Je coltine mon sac de charbon à travers la ville en m’enguirlandant intérieurement pour l’avoir tant rempli. C’est qu’il ne fait pas chiqué du tout, ce sac !

Trois quarts d’heure plus tard je parviens sans encombre à l’église indiquée par Bourgeois. Je cherche la porte du presbytère et j’ai d’autant moins de peine à la dénicher que Bourgeois se tient debout dans l’encadrement.

Je pose enfin mon sac de charbon. Ouf ! J’ai l’épaule droite complètement paralysée.

Présentations. Je serre les salsifis du curé. C’est un bonhomme aussi sympa que son frère. Ils doivent être jumeaux, parce qu’ils se ressemblent comme deux nègres à poil dans un tunnel.

— M’sieur l’abbé, je lui dis, vous seriez gentil de me prêter une soutane.

Ma requête ne le déconcerte pas trop.

Sans mot dire, il passe dans une pièce voisine où je l’entends ouvrir une garde-robe qui, soit dit en passant, réclame de tous ses gonds une goutte d’huile.

— Celle-ci vous irait-elle ? demande-t-il. C’est celle de mon vicaire qui est sensiblement de la même taille que vous.

Il a pigé tout de suite, le brave homme.

Avant toute chose, je fais une virée dans son cabinet de toilette, histoire de me démaquiller un brin.

Lorsque je suis propre et luisant comme un… curé, je passe la soutane. C’est la première fois que je me déguise en ecclésiastique ; d’ordinaire je réprouve les déguisements, je préfère jouer franc-jeu, mais nous vivons une époque où les coups bas sont permis.

— Ça colle, comme ça ?

— Oui, fait le prêtre, ça… collera, à la condition toutefois que vous abandonniez votre parler pittoresque.

CHAPITRE XVII

Il faut que je vous dise, les gars, je suis comme un boomerang : je reviens toujours à mes moutons.

Le major Parkings m’a fait éjecter d’un avion avec un bath drap de lit dans le dos pour trouver le gars qui jetait la perturbation dans le réseau de Bourgeois et lui régler son compte. Je l’ai identifié, mais la seconde partie de ma mission n’est pas encore terminée. Thierry doit être abattu et il le sera, à moins qu’un de ces truands en vert prairie ne me fasse déguster auparavant mon extrait de naissance. Je suppose que, si l’on a conduit les compagnons de Laura dans cette école désaffectée, c’est que le pseudo-Thierry y a son P.C. Je peux tirer cette conclusion du fait que c’est lui qui s’est chargé de l’affaire jusqu’ici.

Je parviens à l’école et je prends les mesures du terrain où va se jouer la partie. Il s’agit d’un grand bâtiment de brique, très récent, que les sulfatés ont entouré de chevaux de frise. Il y a des sentinelles devant toutes les portes et un poste de garde à l’entrée principale.

Une grande animation règne aux abords du bâtiment. Des voitures cellulaires et des conduites intérieures entrent et sortent. Il me sera difficile de repérer Thierry au milieu de ce va-et-vient. Mais je compte sur la chance et mon œil de lézard.

La chance me sert admirablement car, en face de la vraie école servant de prison, se trouve une bâtisse à l’allure de prison qui est une école. C’est même un internat religieux ; la présence d’un curé devant sa façade n’attirera donc pas l’attention de ces messieurs.

L’abbé Bourgeois m’a muni d’un bréviaire. Je le potasse ardemment en allant et venant devant le pensionnat.

Il y a dessus un tas de prières et je les lis depuis la lettrine jusqu’au cul-de-lampe. P’t-être que ça amadouera mon ange gardien. En voilà un qui n’aura pas volé son auréole lorsqu’il prendra sa retraite !

Les minutes passent, puis les heures. Je prends de sérieuses crampes dans les tiges. Si j’attends encore longtemps, il va me pousser de la mousse sur les pieds.

Le crépuscule descend lentement sur la ville. L’air devient plus humide. Les passants ont le col de leur pardessus relevé. Ils descendent du trottoir pour passer devant la Gestapo. Ils ne regardent même pas la boîte ; elle leur flanque visiblement les jetons.

J’ai vu déjà deux fois les factionnaires changer.

J’ai peur que l’un d’eux, plus dégourdi que ses copains, ne trouve un peu suspectes mes allées et venues.

Ça n’est pas toujours marrant d’être agent secret, je vous le garantis sur facture.

Dire que des types s’imaginent que nous faisons un turf à la Nick Carter. Mes choses, oui ! Le dernier privé venu attaché à une maison spécialisée dans le bidet ferait l’affaire en ce moment.

Je décide de compter jusqu’à cent afin de donner une limite à mon calvaire. À cent, je regagnerai la crèche de maman Broukère.

Je n’ai pas compté jusqu’à douze qu’une voiture sort de l’école, pilotée par Thierry. Je la suis des yeux et je la vois stopper cent mètres plus loin devant un bureau de poste. Alors il se produit en moi comme un élan irraisonné. Je presse le pas en direction de l’auto, je jette un coup d’œil à la porte du bureau de poste, puis j’ouvre celle de l’auto et je m’accroupis à l’arrière, mon petit pétard à la main.

C’est là l’acte d’un zigue vachement bas de plafond, direz-vous ? Sans doute, mais je vous ferai respectueusement observer, bande de pieds plats, que les types pantouflards ne se sont jamais taillé une réputation de casseurs de gueule dans les services secrets.