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La nuit se soude à la mer. Le vent charrie toujours des tombereaux de sable. Il n’y a pas une lumière visible alentour ; seule, la grosse rumeur des flots et du vent emplit cet univers vide et triste.

Je respire à pleins poumons lorsque les bourrasques s’interrompent. Je donnerais tout le mur de l’Atlantique pour me trouver dans un petit coin de France, en tête à tête avec une bouteille de vin vieux, un fin gueuleton, ou une souris confortable du côté des roberts.

— Pardon, monsieur, avez-vous du feu ?

Je sursaute et me retourne. C’est une phrase banale mais que je n’aime pas entendre prononcer dans le noir lorsque je suis seul.

J’aperçois une jolie silhouette de femme et, malgré l’obscurité, j’ai l’impression que le visage qui l’agrémente doit être plus agréable à contempler qu’un kilo de pommes de terre.

— À votre service, dis-je.

Je sors mon briquet et présente sa flamme vacillante à mon interlocutrice. Seulement, avec le vent qui souffle de plus en plus fort, j’aurais plus vite fait de traverser la Manche sur un pédalo que d’allumer sa cigarette. J’entrouvre mon pardessus et elle se blottit contre moi. Cette môme à un parfum qui ferait danser le swing à un couvent de moines. Je la respire à plein pif. C’est du sérieux comme odeur, si ça ne sort pas de la rue de la Paix, moi je suis le cousin germain de Goering !

La môme me remercie et s’éclipse. Le temps que je trouve quelque chose à lui dire pour la rambiner et elle a évacué mon horizon.

Je continue ma promenade en reniflant ce parfum subtil avec une pointe de mélancolie. Déjà cette brève rencontre se désagrège dans ma mémoire. Il ne reste en moi que ce vague sentiment triste et mélodieux, que cette silhouette imprécise, que cette douce odeur…

Je remets le briquet dans ma poche. Alors ma main touche un objet insolite qui ne s’y trouvait pas cent vingt secondes auparavant.

Je le palpe curieusement avant de l’extraire de ma profonde. C’est de la dimension d’une grosse boîte d’allumettes et c’est assez lourd. Je le prends et l’approche de mes yeux. Il s’agit d’un petit appareil photographique.

Décidément, ça se corse (chef-lieu Ajaccio).

Les événements se précipitent. Il n’y a pas une heure que je suis arrivé à La Panne et, déjà, j’ai découvert un cadavre embroché et j’ai allumé la cigarette d’une souris qui a su glisser un appareil photo dans ma poche, sans que je m’en aperçoive !

Je crois que c’est ce second incident qui m’épate le plus. Rappelez-vous qu’il faut être drôlement fortiche pour batifoler, à mon insu, dans les fringues de San-Antonio.

CHAPITRE II

Je pense que cette plage m’a apporté suffisamment de surprises comme cela et je retourne dans la rue principale. Elle doit être coquette, cette artère, lorsque ce n’est pas la guerre. Les magasins sont frais et pimpants comme des costumes de mariés, il ne leur manque que des denrées et des lumières pour se montrer vraiment engageants.

J’avise la boutique d’un photographe et je pousse son bec de cane.

Le commerçant s’empresse. C’est un petit bonhomme frileux qui ne doit jamais quitter sa chambre noire.

Je lui demande combien de temps il lui faut pour développer un rouleau de pellicule. Il me répond que si je lui confie un travail de ce genre maintenant, je pourrai revenir le chercher demain matin.

Ça ne fait pas mon affaire. S’il y a en ce moment sous le ciel de Belgique un mec qui n’est pas sûr de son lendemain, c’est le gars que j’appelle Bibi dans l’intimité.

Je regarde ma montre.

— Voici ce que nous allons faire, dis-je, je vous laisse mon appareil et vous faites le boulot illico. Je vous paierai le tarif double, mais il me faut les photographies dans une heure au maximum.

Il me regarde pensivement. Il paraît commotionné par mon ton autoritaire. Je jette un coup d’œil à ma physionomie, dans une glace, et je constate qu’avec mon imperméable et mon chapeau mou à bord rabattu, j’ai tout du Frizou en civil.

— Très bien, monsieur, murmure-t-il.

Je quitte sa boutique et vais m’installer à la terrasse d’hiver d’un café proche. Je m’envoie un « formidable d’Export » et je passe une revue détaillée des récents événements.

J’avoue, à ma grande honte, ne pas y entraver grand-chose. Cette partie qui se joue au nez et à la barbe des Fritz me déconcerte. Deux importantes questions me mangent la cervelle : qui a buté Slaak ? Qui est la môme à l’appareil photographique ?

En ce qui concerne la fille, s’il s’agissait de quelqu’un de chez nous, elle se serait fait connaître. À moins qu’elle n’eût été suivie et que…

Oui, c’est une idée qui se défend.

Je commande un double genièvre pour pousser la bière et un cognac triple pour me passer le goût du genièvre.

C’est un bon système à appliquer en matière de boissons. Vous pouvez être assurés que, sur ce chapitre, je suis un technicien, un virtuose. Je représente, dans les services secrets, le prix Nobel de la biture, le Paganini de la cuite en tout genre.

Mais pour l’instant, là n’est pas la question, comme disait le bourreau au condamné qui se trompait de porte.

L’heure convenue avec le champion de l’hyposulfite s’écoule. Je règle mes consommations et retourne chez le photographe.

Il est assis derrière sa banque, plus frileux que jamais.

Il me regarde d’un air à la fois stupéfait et inquiet. Je frémis en pensant brusquement que les images qui sont apparues sur la pellicule que je lui ai confiée sont peut-être de nature à l’épouvanter. Aussi, est-ce d’une voix mal assurée que je lui demande :

— Vous avez mon petit travail ?

Sans mot dire, il décroche une photographie épinglée à un fil.

— C’est… c’est tout ? fais-je.

— Oui. Le reste n’était pas impressionné. J’ai remis d’office une bobine neuve dans l’appareil.

Je me penche sur l’image. Si je m’attendais à un spectacle ahurissant je suis volé. Et comment ! La photo représente une partie de la façade d’un magasin et un pan de pardessus d’homme, une jambe de pantalon et un soulier. C’est tout ce que l’objectif, mal centré, a pu capter de l’individu pris pour cible.

C’est drôlement tartouze comme résultat !

— Avez-vous une loupe ? demandé-je au petit photographe.

Il fouille dans un tiroir et me tend l’objet réclamé.

J’examine attentivement l’image. Et, tout à coup, je fais une découverte du tonnerre de Dieu. Le morceau de vitrine que l’on aperçoit sur la photo appartient à L’Albatros. Je reconnais, sur la vitre, l’aile peinte en blanc d’un de ces volatiles qui servent d’enseigne à l’établissement.

Qu’est-ce que cette photo signifie ?

Et d’abord quand a-t-elle été prise ?

Je passe aux petits détails. En y regardant de près, on distingue une boîte d’allumettes vide sur le trottoir. Une idée lumineuse éclate sous mon dôme, comme une enseigne au néon. Je paie grassement le petit boutiquier et je cavale à L’Albatros. Je regarde par terre, la boîte d’allumettes vide s’y trouve. Donc la photo a été tirée quelques instants auparavant. Il est bien rare, en effet, qu’un objet léger comme une boîte d’allumettes demeure longtemps au même endroit.

Je continue à observer la photographie et je vais me placer au point approximatif où se trouvait la personne qui l’a prise. Ce point est situé sous une porte cochère. Et je pige vite la raison pour laquelle une faible partie seulement de l’homme visé est apparente : il y a un poteau de fer dans le champ de vision.