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— J’ai certainement vu votre photographie dans un journal français, reprend Bozembo. Avant la guerre, peut-être ? Non, plus récemment ! Il sursaute : j’y suis ! l’affaire de l’ampoule[1] ! commissaire San-Antonio, hé ? Vous nous avez donné du fil à retordre et nos services n’ont pu vous liquider…

Il sourit plus tendrement que jamais.

— C’est une petite lacune qui va être complétée dans un avenir très immédiat.

Le type de l’harmonium plaque un dernier accord. Il se retourne et je m’aperçois seulement qu’il n’a pas tellement l’air d’une frappe. Il est frêle et blond, c’est ce qui m’a trompé. Seulement, lorsqu’on le regarde en face, on se rend compte tout de suite que c’est un type à la hauteur. Il a le visage un peu plus pâle que la crème Chantilly, des yeux bleuâtres, glacés comme une eau de montagne, des lèvres tellement minces que sa bouche ressemble à une simple fente.

Il est élégant, presque beau ; étrange en tout cas.

Il se lève doucement et s’avance. On dirait un félin. Les autres se taisent. Je pige seulement que le grand manitou de la clique c’est lui.

Il se fait un grand silence et je sens que si un miracle ne se produit pas illico, je finirai la nuit chez saint Pierre.

Le musicien plonge la main sous ma veste et sort mon revolver.

Il lance froidement quelques mots à ses acolytes, ça doit être un savon au sujet de l’arme qu’ils ont omis de me prendre.

Il me dit, d’une voix glacée :

— Ces messieurs ont sous-estimé votre valeur, monsieur le commissaire, ils n’ont pas jugé bon de vous désarmer.

« Alors ? On visite la Belgique ?

— Vous le voyez…

— C’est Londres qui organise des croisières ?

— Juste !

— J’ai beaucoup entendu parler de vous…

J’esquisse une courbette.

— Vous me flattez.

— Mettons que je vous rende hommage… Bien entendu, vous êtes en mission ici ?

Je ne réponds pas. Nous abordons un sujet dangereux.

— Je considère votre silence comme un acquiescement, poursuit-il. Donc vous êtes en mission. Vous devez avoir des gens à contacter ; nous aimerions les connaître.

Je bluffe :

— Écoutez, vieux, ne vous cassez pas la bouille inutilement. Puisque vous avez entendu parler de moi, vous devez savoir que je ne parlerai pas. Évidemment, vous pouvez essayer des petits trucs raffinés sur ma personne. Si vous êtes sadique, comme la plupart de vos copains, faites-le, mais soyez intimement persuadé que cela ne vous avancera à rien. Ceci dit, je la boucle définitivement…

L’homme à l’harmonium sort un magnifique étui à cigarettes de sa poche-revolver et s’offre une pipe.

Je suppose qu’il va m’en offrir une, pour souscrire à la tradition, et déjà je souris de pitié.

Mais il rengaine son étui et je suis marron.

— Je vais être beau joueur, monsieur le commissaire, dit le type blond. Je considère que vous ne parlerez pas et je vous fais grâce des petites cérémonies destinées à rendre les gens loquaces.

Il se tourne vers Arthur et le chauffeur.

— Emmenez Monsieur à la cave et exécutez-le sans brutalité.

Il me sourit encore.

— Nous sommes chevaleresques quelquefois.

— Merci, dis-je.

Avec son feu, Arthur me fait signe de me lever. Je me lève.

CHAPITRE VI

Je jette un suprême coup d’œil au jeune chef.

Il tire sur ses manchettes et s’assied devant son harmonium. Il s’apprête à remettre la sauce avec le grand Largo de Haendel, mais je l’interromps.

— Dites donc…

— Vous désirez quelque chose ?

Une pointe de mépris perce dans sa voix. Ce foie blanc pense que je vais me débâcher ! Il s’attend peut-être à ce que je lèche ses pompes en lui parlant de ma vieille mère ?

— Votre nom, fais-je.

— Ulrich, pourquoi ?

— C’est au cas où nous nous retrouverions un de ces jours.

Là, je peux me vanter de les avoir épatés. Ils me regardent tous comme si j’étais un Martien en vadrouille sur la planète Terre.

— Monsieur crâne, ricane enfin Arthur. Monsieur n’a peut-être pas compris où nous l’emmenions !

— Exécution ! tranche Ulrich en claquant des doigts avec impatience.

Exécution ! Il a le sens de l’à-propos, ce farceur…

Nous sortons de la pièce, à la queue leu leu. Le chauffeur passe devant et Arthur me pousse par-derrière avec le canon de son revolver. Décidément, c’est une manie chez ce type-là !

In petto je convoque mon ange gardien et je le supplie de passer ma bonne étoile à la peau de chamois. C’est le moment de lui faire faire un lavage express dans une station-service rapide !

Je pense à toute pompe. Je me dis qu’une fois à la cave, il sera trop tard pour agir.

Voilà précisément l’escalier.

Le chauffeur commence à descendre.

Je descends aussi. La sueur dégouline sur mon front, comme si j’étais soutier.

Ce que le temps me dure.

Soudain, un petit déclic se produit dans mon entendement.

Je vais opérer dans exactement quatre secondes. Mes chances sont aussi minces qu’une feuille de papier à cigarette, mais je vais néanmoins les courir, car c’est la dernière chose qu’il me reste à faire.

Voilà comment se goupillent les choses : je remarque que l’escalier que nous descendons donne sur un étroit couloir qui lui est perpendiculaire. Par conséquence, une fois la dernière marche passée, notre petit cortège est obligé de tourner soit à droite, soit à gauche. Vous mordez ?

Donc, vu l’étroitesse de ce couloir, au moment de tourner, je me trouverai pendant une fraction de seconde hors du champ visuel de l’un ou l’autre de mes gardiens.

Il fait sombre, comme dans la plupart des caves.

Nous parvenons au bas de l’escalier. Mine de rien, je fais un demi-pas en avant de façon à me trouver légèrement plus près du chauffeur que d’Arthur.

Et ça y est, nous tournons ! Prompt comme une langue de caméléon, je balance un gnon carabiné au chauffeur. J’ai mis toute la sauce, y a de quoi endormir un rhinocéros adulte. Il pousse une sorte de petit gloussement et s’abat en avant. Je me plaque contre le mur et, à l’instant où Arthur tourne, je lui offre un coup de pied dans les précieuses. Tout cela se déroule en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Arthur chancelle et tire. Une balle m’effleure le gosier. Deux centimètres plus à droite et j’allais me faire confectionner un pardessus en sapin.

Je me rue sur le mitrailleur, les dents serrées.

Une seconde balle traverse mon pantalon.

Ce gars-là a des dispositions pour l’artillerie en vase clos.

Je lui saisis le poignet et lui arrache son feu au moment où une autre balle sort du canon. Celle-ci, je l’ai reniflée de près ! Je vais pour me redresser, le pétard à la main, mais je m’aperçois à temps qu’Arthur, de sa pogne dégagée, tient un couteau ; si je me soulève davantage il pourra esquisser le mouvement fatal. Un rien et il me plantera tranquillement.

Je lui grogne à l’oreille :

— Lâche ce cure-dent, Arthur.

Il me répond par des noms d’oiseau.

Je sens la pointe du couteau contre ma peau. Bigre ! c’est un homme-serpent que ce garçon ; il convient de faire vite.

— Lâche ça illico ou je te mets une balle dans le cigare !

J’appuie le revolver sous son menton, mon geste lui a permis de faire progresser le canif et, cette fois, la lame mord sérieusement ma viande.

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Voir Laissez tomber la fille.