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Il n’y a pas à tergiverser ; je tire !

Le crâne d’Arthur s’éparpille dans la cave.

Je me redresse et m’approche du chauffeur. Justement, il reprend ses esprits. Il a, derrière la tête, une bosse aussi grosse qu’un œuf d’autruche. Comme je suis pour l’harmonie des formes, je lui remets une nouvelle portion — avec os — sur le devant du dôme. Illico, il se rendort tandis qu’une autre bosse se développe à toute allure, comme une hernie sur une vieille chambre à air.

À pas de loup, je retourne au salon. Avant de pousser la porte, je prête l’oreille. Ulrich musique toujours.

Je fais une entrée de théâtre, mon pétard dans la main.

Ma fausse lope de l’harmonium en paume le fa-dièse qu’il était en train de ciseler.

— Jour, Toto, lui dis-je. J’espère que je n’ai pas été trop long…

Le gros King-Kong bave de surprise sur sa cravate. Il jette des coups d’œil insistants par-dessus mon épaule.

— Te flanque pas le torticolis, Bozembo, je lui fais. Si c’est tes deux Cosaques que tu cherches, ils sont en bas. Arthur a un trou dans le caberlot, tandis que l’autre pied-plat, au contraire, a deux bosses comme les chameaux…

Il en revient pas, le gros lard.

Histoire de voir s’il est en viande ou en fonte renforcée, je lui balance un coup de crosse à la tempe. Décidément, il est bien en viande, malgré les apparences contraires, car il fait « gneufffff » avec son blair et se déguise en descente de lit.

CHAPITRE VII

Je reste en tête à tête avec le pédaleur sur harmonium. Je dois reconnaître qu’il a su revenir à toute vapeur de sa surprise. Il est très calme, presque narquois.

— Bravo, murmure-t-il. Je constate que votre réputation n’est pas surfaite, commissaire. J’aurais dû me douter que deux hommes n’étaient pas une escorte suffisante pour un type de votre trempe.

Ses grands machins redondants commencent à me faire tartir comme on ne peut pas le concevoir ! Il me court, ce pèlerin ; probable qu’il a appris à lire dans un manuel de chevalerie ; il y a eu confusion dans sa caboche et il accomplit son boulot de gangster en l’enrubannant de formules grandiloquentes. Je décide de lui dire ma façon de penser.

— Écoute, bijou, attaqué-je ; j’ai horreur de gnaces de ton gabarit. Les gars qui se frottent les crins à l’eau oxygénée ne correspondent pas à mon tempérament, et je les passe au presse-purée lorsqu’ils donnent l’ordre de me lessiver, tu saisis ? Tu te crois fortiche parce que tu t’exprimes comme sur les champs de bataille des images d’Épinal, mais ton numéro de salon ne m’impressionne pas.

Je ricane. Soudain, mon ricanement me reste coincé sur le mufle. Bozembo a digéré mon gnon et il se dresse, à l’autre bout de la pièce, une pétoire tout autour de son index droit.

C’est pas le moment de lui raconter la vie des abeilles.

Heureusement que le gars San-Antonio a un peu plus de réflexes qu’un plat de spaghetti !

Je lui mets pour cent sous de ferraille dans la poitrine et le voilà qui ouvre la bouche et tousse d’un air tout chose. Il ne pense pas plus à utiliser son feu que moi je ne pense à la marquise de Sévigné.

Il titube et s’écroule sur l’harmonium. Ça fait un drôle de concerto pour agonie, en do majeur.

Pendant que j’y suis, je donne de mes nouvelles à Ulrich.

Pan et pan !

À la guerre comme à la guerre. Tout à l’heure, c’était à lui de diriger les opérations, maintenant c’est à moi.

Un type qui fait une drôle de tranche, c’est bien le fils unique de Félicie, autrement dit le gars Mézigue, autrement dit encore le célèbre commissaire San-Antonio.

Ulrich, contrairement à toute attente, ne dégringole pas. Il se tient planté bien droit sur ses jambes, un tendre sourire sur ses lèvres minces.

Il a compris, avant moi, que le revolver est vide. Mais vide comme une salle de conférences lorsque c’est Henri Bordeaux qui est à l’affiche.

J’ai lâché sa dernière dragée dans l’estomac de King-Kong.

— Pas de chance, murmure Ulrich.

Il porte, posément, la main à sa poche intérieure.

Il me sent désarmé. Il y a l’harmonium entre nous, donc je ne puis intervenir. Il a tout son temps…

En pareil cas, le mieux c’est de ramener le pavillon et de se rappeler qu’en mettant très vite un pied devant l’autre et en recommençant, on peut obtenir des résultats intéressants.

Par bonheur, je n’ai pas fermé la lourde. Un saut en arrière et j’ai quitté la pièce. Faudra qu’un de ces jours je me trouve un emploi de lapin chez un prestidigitateur : je suis doué !

* * *

La route sent la pluie et le varech. Je cavale tant que ça peut, en jetant des regards derrière moi.

Vous me direz que ça n’est pas prudent de rester sur cette grande route, mais je vous objecterai que c’est beaucoup mieux que de me baguenauder dans les dunes, dont j’ignore les embûches et la géographie.

Tout paraît tranquille, mais pour combien de temps ?

Ulrich va sûrement déclencher un pastis maison contre ma petite personne.

Soudain, j’entre dans un village. J’aperçois un camion allemand, plein de boules de pain, arrêté devant un grand bâtiment. Je sais qu’il contient des boules de pain, parce que j’amène mon grand renifleur jusqu’à la hauteur du plateau. Le moteur du camion tourne au ralenti, preuve qu’il ne va pas tarder à foncer dans le brouillard.

Je n’hésite pas et je me hisse à l’intérieur du véhicule. Voilà un coin où les sulfatés ne penseront pas à me chercher.

Bien planqué, derrière une pile de brignolets, j’attends… Pas longtemps ; deux Chleuhs escaladent les marches de la cabine et nous démarrons.

La route suit le littoral. Nous traversons des agglomérations endormies ; toujours à bonne allure.

Ça dure un certain temps ; puis nous ralentissons.

C’est le moment de lâcher mon fiacre. Ce serait coquet si j’atterrissais au milieu d’une caserne bourrée de soldats, depuis la cave jusqu’à la girouette !

Rien que cette pensée me flanque la chair de poule…

Je me laisse pendre hors du camion et hop ! je saute.

Il se produit une forte secousse dans ma cheville gauche. Un instant, je crains de m’être fait une entorse ; mais non. Tout est O.K.

Je foule le pavé humide avec une sorte de sombre délectation.

Une plaque routière indique en énormes caractères : « Ostende, deux kilomètres ».

Je palpe mes poches pour y chercher une cigarette ; mais elles sont vides et ne contiennent que le pistolet, vide lui aussi.

C’est dommage. J’en examine le calibre à la lueur de la lune et je lâche un juron : mon feu n’est pas vide du tout, il reste encore quatre balles dans le chargeur, simplement le système de sûreté est près de la gâchette et j’ai dû le pousser sans m’en rendre compte, en tirant.

Ce damné Ulrich ne saura jamais combien il a été vergeot.

CHAPITRE VIII

Il est tard lorsque je parviens à Ostende. La pluie n’a pas cessé, on dirait au contraire qu’elle redouble de violence. Le port sent le chien mouillé, le charbon mouillé, le cambouis mouillé. Je ne perds pas mon temps à visiter la ville. Je m’engouffre dans le premier hôtel que je rencontre. C’est un établissement assez cossu. Il s’élève juste en face du terminus des tramways qui sillonnent la route Royale.

Le portier me propose une chambre à prix honnête, au troisième étage. Je dis « Ça joue » et il me refile une clé médaillée en me désignant l’ascenseur.

La piaule ne casse rien. Elle est nue et froide et j’ai l’impression qu’elle aussi sent le mouillé. Le lit est pourvu d’une couverture rouge sang qui enchanterait un peintre moderne. Comme je n’ai pas de prévention contre le rouge, je me pieute sans faire de manières et je me mets à en écraser. Je ronfle, je m’entends ronfler ! Les voisins doivent s’imaginer qu’il s’agit d’un raid américain et ils commencent à préparer leurs fringues pour descendre aux abris.