Выбрать главу

Pour en revenir à mon fameux truc de resquille, il est simple : pendant le trajet, je reste dans le couloir — de préférence dans le milieu. Lorsque le contrôleur parvient à ma hauteur, je porte la main à mon portefeuille puis, me ravisant, je dis avec un petit sourire d’excuse :

— Suis-je bête, c’est ma femme qui les a…

Le type continue sa tournée après m’avoir dépassé. Alors, profitant de ce qu’il pénètre dans un compartiment, je parcours le train jusqu’au dernier wagon, ce qui me laisse un certain battement. En cours de route, je descends à la première station et je retourne dans le premier wagon.

Il est bien rare qu’un contrôleur ne se laisse pas posséder par ce système D.

En tout cas, cette fois-ci, mon truc réussit admirablement. Et, c’est avec une ferme autorité que je fourre dans la main du préposé, mon billet pour Anvers, à la sortie de la gare du Midi à Bruxelles.

Deuxième partie

CHAPITRE IX

Parkings a prévenu de mon arrivée l’un des chefs du réseau belge, aussi ce dernier n’est-il pas surpris le moins du monde lorsque, ayant pénétré dans son magasin d’ameublement, sis boulevard Anspach, je lui murmure :

— On est prié de renvoyer l’ascenseur.

Il me tend la main.

— Heureux de vous connaître, commissaire. Cela fait très longtemps que j’entends parler de vos exploits.

Je fais un petit geste, plein d’une charmante modestie, et je le suis dans son arrière-boutique.

Le magasin est immense et renferme une foule de meubles. Il y a là des salles à manger, des chambres à coucher, des divans, des bahuts, ainsi qu’il est normal dans un magasin spécialisé dans l’aménagement du home ; mais certains de ces meubles offrent des particularités que je ne tarderai pas à découvrir et dont la principale est qu’ils ne sont pas à vendre.

Le propriétaire se nomme Bourgeois et il est d’origine française par un ami de son père. C’est un type de quarante berges environ, à l’air calme et énergique. Parkings m’a parlé de lui en termes élogieux. C’est Bourgeois qui s’est aperçu qu’il se produisait des « fuites » importantes au sein de son organisation et qui a prévenu Londres.

— J’espère que vous pourrez découvrir le traître, me dit-il en débouchant une bouteille de champagne.

— Je ferai mon possible.

Je lui narre les péripéties de ma première journée en territoire belge.

— Slaak assassiné ! balbutie-t-il.

— Comme un lapin ! Je ne sais pas si c’est l’esprit de d’Artagnan qui a fait le coup, mais je vous avoue n’avoir jamais vu de type assaisonné à l’épée…

Je récapitule l’affaire.

— On a dû découvrir son cadavre plus tôt que je ne le supposais ; l’enquête a été rondement menée. Comme un idiot, j’étais descendu, à Ostende, à l’hôtel situé à l’arrêt du tramway. Les flics ont commencé par là… Bref, je m’en suis tiré tout de même. Mais il y a eu de la casse et, à l’heure présente, mon signalement doit être diffusé copieusement. Si je ne prends pas garde à mes os, il va leur arriver quelque chose d’ici peu de temps.

— Peut-être vaudrait-il mieux que vous regagniez l’Angleterre, suggère Bourgeois. Il me paraît difficile que vous puissiez travailler en étant traqué par la police. D’autre part, cela n’est pas prudent.

J’admets son point de vue.

— Écoutez, cher ami, San-Antonio ne s’est jamais dégonflé. J’ai été envoyé ici pour mettre la main sur le gars qui joue au petit soldat et je remplirai ma mission. N’ayez aucune crainte ; ni vous ni vos compagnons ne risquez quoi que ce soit de mon chef.

« Lorsque je serai sorti d’ici, vous ne me reverrez plus. La seule chose que je vous demande, c’est une boîte postale pour Londres ainsi que la liste complète de vos collaborateurs avec leurs adresses.

Il rougit un peu et, assez sèchement, me dit :

— Si vous pensez que je redoute quelque chose pour moi, vous vous trompez. Lorsqu’on a entrepris la tâche que j’accomplis, on ne se soucie pas de sa peau. Seulement j’ai des responsabilités écrasantes et je ne dois rien laisser au hasard…

— Allons, allons, fais-je en lui administrant une bourrade, je vois que nous sommes deux mecs pétardiers. Vous me plaisez, Bourgeois, et je suis certain que nous ferons de la bonne besogne.

Il me verse une troisième coupe de champagne et me demande :

— Je suppose que vous avez une mémoire suffisamment bonne pour apprendre sept noms et sept adresses ? Cette fameuse liste que vous me demandez, je ne puis vous la donner par écrit, ce serait par trop dangereux.

— Évidemment !

Il me récite la fameuse liste de ses compagnons. Elle comporte deux femmes et cinq hommes. Tous habitent Bruxelles. Il va pour me donner des détails sur leurs existences respectives, mais je l’interromps.

— Inutile, Bourgeois, je tiens à me faire, moi-même, une opinion sur ces gens.

— C’est peut-être mieux, en effet, convient-il.

— J’aurais deux photos à faire développer, est-ce possible ?

— Parbleu !

Il me fait un petit signe et m’entraîne vers un grand bahut ancien ; il en ouvre les portes et, à ma profonde stupeur, pénètre dans le meuble. Je le vois tirer sur une corde.

Le fond du bahut coulisse et laisse apparaître une petite pièce sans portes ni fenêtres.

Je pousse une exclamation de surprise. Je tire mon chapeau au marchand de meubles. Comme planque, on ne peut trouver mieux. Quelle cervelle chleuh se douterait qu’un des meubles de ce capharnaüm est, en réalité, un passage secret ?

Je pénètre à mon tour dans le bahut, puis, de là, dans la pièce et tout se remet en ordre derrière nous.

— Compliments ! dis-je. Votre cachette est all right.

— Elle est à votre disposition en cas de coup dur, affirme Bourgeois. Vous ne seriez pas le premier à l’utiliser, je vous assure…

La petite pièce contient un appareil émetteur de radio et tout ce qu’il faut pour développer des photos. Je confie mon appareil à mon hôte et j’admire la dextérité avec laquelle il opère.

— Je doute que ce soit fameux, lui dis-je, car l’éclairage n’était pas sensationnel.

Il ne répond rien. À la faible lueur de la lampe rouge, je le vois plonger ma pellicule impressionnée dans un bain. Puis il fixe le négatif sur du papier sensible.

J’attends en réfléchissant. Je souhaite ardemment que la photo soit, sinon bonne, du moins suffisamment claire pour que ma petite môme-caméra puisse être identifiée. Cette gosseline me tracasse comme une grippe de printemps. Je voudrais être rancardé à fond sur elle. Pourvu qu’elle ne calanche pas ! Ce serait dommage ; un bath châssis comme ça ! Moi je suis un grand sensible, voyez-vous, j’aime ce qui est beau, depuis le Clair de lune de Werther jusqu’au père Noël, en passant par les girls de Tabarin.

Bourgeois donne la lumière, ce qui a pour résultat de me faire battre des paupières.

— Pas si mal que cela, dit-il.

Il me passe un morceau de carton glacé, humide.

— Regardez !

En effet, je peux être fier de mes talents de photographe.

On distingue assez distinctement la blessée, flanquée de la bonne grosse infirmière. À propos de celle-ci, elle a dû baver des pendules, hier au soir, en découvrant que je n’étais pas à son rendez-vous nocturne. Bast ! La désillusion c’est le chemin de l’expérience.

— Bon boulot, dis-je à mon compagnon. Y a-t-il un moyen d’envoyer cette photo à Londres ?

— Bien sûr…

Je saisis l’image et j’écris au dos, au moyen d’un crayon fuschine : Qui est-ce ?