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Nous avons quitté le bâtiment du Service Temporel et remonté jusqu’au troisième niveau de New Orleans Inférieur. Sam ne paraissait pas avoir la moindre direction précise à l’esprit. Nous nous sommes arrêtés dans un bar et avons commandé une douzaine d’huîtres chacun ; nous avons également descendu quelques bières et lancé des œillades aux touristes.

Nous sommes arrivés ensuite dans la rue Bourbon Inférieure et j’ai soudain compris pourquoi Sam avait choisi de revenir à cette nuit particulière ; je sentis le picotement de la peur sur mon scrotum et je me mis soudain à suer à grosses gouttes.

Sam me dit en riant :

— Les nouveaux sont toujours saisis quand nous arrivons à cet instant, mon petit Jud. C’est là que la plupart des froussards abandonnent.

— Je vais me rencontrer moi-même ! m’exclamai-je.

— Tu vas te voir toi-même, corrigea-t-il. Et tu ferais mieux de faire bien attention à ne jamais te rencontrer toi-même, ou tu pourrais le regretter. La Patrouille du Temps te démolirait si tu essayais de faire un coup pareil.

— Et si mon précédent moi-même m’apercevait quand même ?

— Alors, terminé ! Ce test concerne ton système nerveux, mon gars, et je te conseille de bien faire attention. Nous y voilà ! Tu reconnais ce mec à l’air minable qui arrive au bout de la rue ?

— C’est Judson Daniel Elliott III.

— Ouais ! As-tu déjà vu quoi que ce soit d’aussi stupide ? Recule dans l’ombre, mon gars. Recule dans l’ombre. Il y a un petit Blanc, là, et il n’est pas aveugle.

Nous nous sommes recroquevillés dans un coin obscur et j’eus mal au ventre en regardant Judson Daniel Elliott III, arrivant tout droit de Newer York, qui remontait la rue d’un pas hésitant, la valise à la main, en se dirigeant vers le palais de la renifle au coin de la rue. Je remarquai sa nonchalance très stricte et sa démarche de rustaud. Ses oreilles me semblèrent extraordinairement grandes et son épaule droite était un poil plus basse que l’autre. Il avait l’air gauche ; on aurait dit un paysan. Il nous dépassa et s’arrêta devant le palais de la renifle, observant avec attention les deux filles nues dans le bac de cognac. Sa langue vint caresser sa lèvre supérieure. Il se balança sur la pointe des pieds et se frotta le menton. Il se demandait quelles chances il avait d’écarter les jambes de l’une ou l’autre de ces beautés dénudées avant la fin de la nuit. J’aurais pu lui dire que ces chances étaient plutôt élevées.

Il pénétra dans le palais de la renifle.

— Comment tu te sens ? me demanda Sam.

— Tout tremblant.

— Au moins, tu es honnête. Ça secoue toujours, la première fois qu’on remonte la ligne temporelle et qu’on se voit. On s’y fait, au bout d’un moment. Comment t’a-t-il paru ?

— Un vrai bouseux !

— Ça aussi, c’est normal. Sois gentil avec lui. Il ne peut pas s’empêcher d’ignorer tout ce que tu sais. Après tout, il est plus jeune que toi.

Sam eut un petit rire. Pas moi. J’étais encore sous le choc de m’être vu moi-même remonter cette rue. J’eus l’impression d’être mon propre fantôme. Désorientation préliminaire, avait dit Hershkowitz. Ouais !

— Ne t’en fais pas, dit Sam. Tu t’en tires bien.

Sa main glissa d’une façon familière dans le devant de mon pantalon et je sentis qu’il effectuait un petit réglage sur mon chrono. Il fit de même pour lui, puis il déclara :

— Remontons la ligne.

Il disparut. Je le suivis sur la ligne temporelle. Le temps d’un bref brouillard et nous étions de nouveau côte à côte, dans la même rue, à la même heure de la nuit.

— À quel moment sommes-nous ?

— Vingt-quatre heures avant ton arrivée à New Orleans. Tu es ici et, en même temps, un autre toi-même se trouve à Newer York, prêt à filer vers le Sud. Tu prends ça comment ?

— De travers, répondis-je. Mais je commence à m’adapter.

— Mais il y a mieux. Allons chez moi, maintenant.

Il m’emmena jusqu’à son appartement. Il n’y avait personne, car le Sam de ce moment travaillait dans la boîte. Nous avons pénétré dans la salle de bains et Sam régla de nouveau mon chrono, le plaçant sur trente et une heures dans le futur. « On saute », dit-il, et nous avons descendu la ligne ensemble pour nous retrouver dans sa salle de bains, la nuit suivante. Des rires éméchés s’entendaient dans la pièce d’à côté ; j’entendis des cris rauques et sensuels. Sam ferma vivement la porte de la salle de bains et tira le verrou. Je me rendis compte que j’étais dans l’autre pièce, en train de copuler avec Betsy ou Helen, et je sentis la peur me gagner de nouveau.

— Attends-moi là, me dit Sam d’une voix rapide, et ne laisse entrer personne s’il ne frappe pas deux coups longs et un court. Je reviens tout de suite, peut-être.

Il sortit. Je fermai la porte de la salle de bains derrière lui. Deux ou trois minutes passèrent. On frappa deux coups longs et un court, et j’ouvris la porte. Sam me dit avec un grand sourire :

— On peut regarder sans crainte. Personne n’est en état de nous remarquer. Viens par-là.

— Est-ce que je dois vraiment ?

— Si tu veux entrer dans le Service Temporel, il le faut.

Nous nous sommes glissés hors de la salle de bains et avons été regarder l’orgie. Je dus faire des efforts pour m’empêcher de tousser quand la fumée pénétra dans mes narines. Je vis dans le salon de Sam des acres de chair nue et agitée. J’aperçus à ma gauche le grand corps noir de Sam qui martelait la blancheur luisante d’Helen ; on ne voyait d’elle que son visage, ses bras (qui étreignaient le large dos de Sam) et une jambe (repliée sur les fesses de Sam). À ma gauche, sur le sol, je vis mon propre moi antérieur qui enlaçait Betsy-la-belle-poitrine. Nous étions dans une posture genre Kama Sutra, elle appuyée sur la hanche droite, moi sur la gauche, sa jambe gauche arquée par-dessus mon corps plié obliquement vers le sien. Avec une sorte de frayeur glacée, je me regardai la posséder. Bien qu’ayant déjà vu de nombreuses scènes de copulation, dans les films en tridi, sur les plages, parfois durant des soirées, c’était la première fois que je m’observais moi-même pendant l’acte, et je fus frappé par le grotesque de tout ça, les halètements idiots, les contorsions, les sueurs. Betsy poussait des bêlements passionnés ; nos jambes agitées changèrent plusieurs fois de position ; mes doigts agrippaient avec force ses fesses charnues dans lesquelles ils s’enfonçaient profondément ; les mouvements mécaniques se poursuivirent longtemps. Ma terreur s’apaisa tandis que je m’habituais à cette scène, et un détachement froid et clinique s’empara de moi. Mes suées de frayeur s’évanouirent et je finis par rester là, les bras croisés, observant calmement les actes qui se déroulaient sur le plancher. Sam sourit et hocha la tête comme pour me dire que j’avais passé le test avec succès. Il régla mon chrono une fois de plus et nous avons sauté ensemble.

Il n’y avait plus dans le salon ni fornicateurs ni fumée.

— À quel moment sommes-nous, maintenant ? lui demandai-je.

— Nous sommes revenus en arrière de trente et une heures et trente minutes, répondit-il. Dans quelques instants, toi et moi allons entrer dans la salle de bains, mais nous n’allons pas attendre cela. Allons à l’extérieur.

Nous remontâmes jusqu’à l’Ancienne New Orleans, sous le ciel étoilé.

Le robot qui note les allées et venues des excentriques aimant se balader nous enregistra, et nous sortîmes dans les rues tranquilles. Là se trouvaient la véritable rue Bourbon et les ruines des maisons de l’authentique quartier français. Des caméras-espion placées sur les grilles ouvragées des balcons nous observèrent car, dans cette zone désertée, l’innocent est à la merci des méchants, et les touristes sont protégés par une surveillance permanente contre les maraudeurs qui écument la ville de surface. Mais nous ne sommes pas restés assez longtemps pour avoir des ennuis. Sam regarda les alentours, l’air attentif, et nous conduisit vers un mur. Tandis qu’il ajustait mon chrono pour une autre dérive, je lui dis :