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Près de la fille se trouvait Conrad Sauerabend, vêtu en Byzantin aisé.

Sauerabend roucoulait dans l’oreille de la fille. Il agitait devant son visage une petite pacotille du XXIe siècle, un pendentif à mobile ou quelque chose de ce genre. Son autre main était glissée sous la jupe de la fillette et lui tâtait visiblement les cuisses. Pulchérie fronçait les sourcils, mais ne faisait encore aucun mouvement pour repousser la main. Elle ne paraissait pas savoir très bien ce que voulait Sauerabend, mais elle était fascinée par le jouet, et peut-être les doigts qui la tripotaient ne la gênaient-ils pas.

— Il vit à Constantinople depuis un peu moins d’un an, dit Metaxas, et il retourne souvent en 2059 pour y vendre des objets. Il vient tous les jours près du mur pour épier la petite fille et sa duègne durant leur promenade de midi. La fille est Pulchérie Botaniates, et le palais des Botaniates se trouve juste là. Il y a environ une demi-heure, Sauerabend s’est approché d’elles. Il a donné un flotteur à la duègne et elle plane complètement depuis ce moment. Ensuite, il s’est assis près de la fille et a commencé à lui faire du charme. Il sait y faire avec les petites filles.

— C’est son passe-temps favori, répondis-je.

— Regarde ce qui arrive maintenant, déclara Metaxas.

Sauerabend et Pulchérie se levèrent et marchèrent vers la porte du mur. Nous nous sommes cachés dans l’ombre pour ne pas nous faire remarquer. La plupart de nos doubles paradoxaux avaient disparu, sautant certainement en d’autres points de la ligne pour vérifier les événements. Nous avons regardé le gros homme et la petite fille passer sous la porte et sortir dans la campagne environnante.

Je m’apprêtai à les suivre.

— Attends, dit Sam. Tu vois qui arrive, maintenant ? C’est Andronicus, le frère aîné de Pulchérie.

Un jeune homme d’environ dix-huit ans s’approcha. Il s’arrêta et regarda d’un air stupéfait la duègne qui gloussait près du mur. Nous le vîmes se précipiter vers elle, la secouer, la remettre sur pied. La femme retomba, sans force.

— Où est Pulchérie ? rugit-il. Où est-elle ?

La duègne continua de rire.

Désespéré, le jeune Botaniates courut dans la rue déserte et noyée de soleil, appelant sa jeune sœur. Puis il retraversa la porte.

— Suivons-le, dit Metaxas.

En passant sous la porte, je m’aperçus que plusieurs autres groupes de nous-mêmes se trouvaient déjà à l’extérieur. Andronicus Botaniates courait à droite et à gauche. J’entendis un rire de fillette sortir apparemment du mur lui-même.

Andronicus l’entendit aussi. Il y avait une brèche dans le mur, une sorte de petite grotte s’ouvrant au niveau du sol et profonde d’environ cinq mètres. Il courut dans cette direction. Nous l’avons suivi, nous bousculant avec une petite foule entièrement constituée de nos autres nous-mêmes. Nous étions peut-être une quinzaine, cinq exemplaires de chaque Guide.

Andronicus pénétra dans la brèche et poussa un cri terrible. Un instant plus tard, je regardai à l’intérieur.

Pulchérie, dénudée, sa tunique baissée sur les chevilles, se tenait dans la position classique de la pudeur, une main devant ses seins naissants, l’autre devant son pubis. Sauerabend se trouvait à côté d’elle, les vêtements ouverts. Son pénis était à l’air, prêt à l’emploi. Je pense qu’il était en train de placer Pulchérie dans une position appropriée lorsqu’on l’avait interrompu.

— C’est un outrage ! cria Andronicus. Une infamie ! On a séduit une jeune vierge ! Regardez tous ! Regardez cette monstruosité, cet acte criminel !

Et il prit Sauerabend par une main et sa sœur par l’autre, et les attira dehors.

— Regardez ! cria-t-il.

Nous nous sommes écartés avant que Sauerabend puisse nous reconnaître, mais je crois qu’il était trop terrifié pour pouvoir reconnaître quiconque. La pauvre Pulchérie, essayant de cacher complètement sa nudité, n’était plus qu’une masse affalée aux pieds de son frère ; mais celui-ci s’efforçait de la relever, de l’exposer en hurlant :

— Regardez cette petite putain ! Regardez-la ! Regardez, regardez !

Une foule considérable se forma pour regarder.

Nous nous sommes mis à l’écart. J’avais envie de vomir. Ce sale maniaque, ce fumier d’agent de change… montrer son gros machin rouge à Pulchérie, l’entraîner dans ce scandale…

Andronicus avait maintenant tiré son épée et tentait de tuer Sauerabend ou sa sœur, ou les deux à la fois. Mais les témoins l’en empêchèrent, se jetant sur lui et lui arrachant son arme. Pulchérie, désespérée d’être ainsi exhibée devant tant de gens, saisit la dague de quelqu’un d’autre et tenta de se donner la mort, mais fut arrêtée juste à temps ; un vieillard jeta finalement son manteau sur elle. C’était un désordre épouvantable.

— Nous avons suivi ce qui s’est passé ensuite, dit calmement Metaxas, puis nous sommes revenus t’attendre. Voilà ce qui est arrivé : la fille était fiancée à Léon Ducas, mais il lui était évidemment impossible de l’épouser après que la moitié de Byzance l’eut vue toute nue. De plus, elle était considérée comme souillée, bien que Sauerabend n’ait pas eu le temps de la pénétrer. Le mariage fut annulé. Sa famille, pour la punir d’avoir laissé Sauerabend la séduire au point de lui retirer ses vêtements, la renia. En attendant, Sauerabend dut choisir entre épouser la fille qu’il avait déshonorée ou subir la peine prévue pour son crime.

— Qui est ?

— La castration, répondit Metaxas. Et c’est ainsi que Sauerabend l’épousa sous le nom d’Héraclès Photis, changeant la trame de l’histoire au point de te priver de ta propre généalogie. Ce que nous allons maintenant corriger.

— Pas moi, dit Jud B. J’en ai vu plus que je n’en peux supporter. Je retourne en 1204. Je dois y être à trois heures et demie du matin pour dire à ce gars de venir ici voir tout ça.

— Mais…dis-je.

— Ne cherche pas à résoudre les paradoxes, dit Sam. Nous avons du travail.

— Viens me relever à quatre heures moins le quart, dit Jud B, et il sauta.

Metaxas, Sam et moi avons coordonné nos chronos.

— Remontons la ligne d’exactement une heure, dit Metaxas. Pour mettre un terme à toute cette comédie.

Nous avons sauté.

60.

Avec une grande précision et un énorme soulagement, nous avons mis un terme à cette comédie.

Voici comment :

Nous avons sauté à midi, par cette chaude journée d’été de l’an 1100, et avons pris position le long du mur de Constantinople. Nous avons attendu, essayant vivement d’ignorer les autres versions de nous-mêmes qui passaient furtivement dans les environs, accomplissant leur propre mission.

La jolie petite fille et la duègne attentive approchèrent.

Mon cœur battait douloureusement d’amour pour la jeune Pulchérie, et j’avais aussi mal en d’autres endroits en pensant à la voluptueuse Pulchérie qu’elle deviendrait, celle que j’avais connue.

La jolie petite fille et la duègne confiante passèrent devant nous, l’une à côté de l’autre.

Conrad Sauerabend/Héraclès Photis apparut. Des bruits discordants dans l’orchestre ; des tortillements de moustaches ; des sifflements. Il examina la fillette et la femme, et tapota son gros ventre. Il sortit un petit flotteur dont il vérifia la pointe. Le regard concupiscent, il s’avança vers elles, ayant l’intention de planter le flotteur dans le bras de la duègne et, en la faisant planer pendant une bonne heure, de s’approcher librement de la petite fille.