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— Admettons.

— Et tu crois vraiment qu’on pourrait se battre contre des humains ?

— Oh, oui, assura Grimma.

— Bon… Comment ?

Grimma se mordit la lèvre.

— Hmmm, dit-elle. Le petit Sacco et ses amis. Tu crois qu’on peut leur faire confiance ?

— Ce sont de braves petits gars. Et filles, dans un ou deux cas. (Il eut un sourire.) Toujours prêts quand il s’agit de nouveauté.

— Très bien. Alors, on va avoir besoin de clous…

— Tu as déjà bien réfléchi à tout ça ; je me trompe ?

Dorcas était impressionné. Grimma était souvent de mauvaise humeur. Il avait pensé que c’était peut-être parce qu’elle réfléchissait parfois très vite et que les gens qui ne réussissaient pas à suivre son rythme l’agaçaient. Mais maintenant, elle était furieuse. On plaignait presque les humains qui allaient se trouver en travers de son chemin.

— J’ai lu pas mal de choses, expliqua-t-elle.

— Euh… Oui, oui, je vois ça. Mais je me demande s’il ne serait pas plus raisonnable de…

— On ne va pas recommencer à fuir, déclara-t-elle catégoriquement. Nous les combattrons sur le chemin. Nous les combattrons au portail. Nous les combattrons dans la carrière. Et jamais nous ne capitulerons.

— Et ça signifie quoi, capituler ? demanda Dorcas, désemparé.

— Nous ignorons le sens du mot capituler.

— En tout cas, pour ma part, c’est sûr.

Grimma s’adossa au mur.

— Tu veux que je te confie quelque chose de bizarre ?

Dorcas étudia la proposition avant de répondre :

— J’ai rien contre.

— Il y a des livres qui parlent de nous.

— Comme Gulliver, tu veux dire ?

— Non. Ça, c’était une histoire d’humain. Non, je veux parler de nous. De gens de taille normale, comme nous. Mais habillés en vert, et ils ont des tiges avec des boules sur la tête. Parfois, les humains déposent une soucoupe de lait à notre intention, et on fait tout le ménage de la maison à leur place. Et on a des ailes, comme des abeilles. Voilà ce qu’ils racontent dans les livres qui parlent de nous. Ils nous appellent des farfadets. J’ai lu ça dans Contes de fées pour les tout-petits.

— Ça ne marcherait pas, les ailes, il me semble, fit remarquer Dorcas. Ça m’étonnerait beaucoup qu’elles aient une portance suffisante.

— Et ils croient qu’on vit dans des champignons, acheva Grimma.

— Hmmm ? Ça n’a pas l’air très raisonnable.

— Et ils pensent qu’on répare les chaussures.

— Ça, c’est plus vraisemblable. Un bon travail, bien concret.

— Et, d’après le livre, on peint les fleurs pour leur donner leurs jolies couleurs.

Dorcas considéra Grimma.

— Maaaaais non, voyons ! finit-il par dire. J’ai déjà inspecté la couleur des fleurs. C’est d’origine.

— On existe vraiment. On fait des choses réelles. Pourquoi crois-tu qu’on trouve ce genre d’histoires dans les livres ?

— Là, je n’en sais rien. Moi, je ne lis que des manuels. J’ai toujours pensé qu’un vrai livre devait comporter des listes et le numéro des pièces détachées.

— Si jamais les humains nous attrapent, voilà ce qui nous arrivera. On deviendra de gentils petits, qui peignent des fleurs. Ils ne nous laisseront rien faire d’autre. On ne sera plus qu’un peuple de petits. (Un soupir.) Est-ce que tu as parfois l’impression que tu ne saurais jamais tout ce que tu devrais savoir ?

— Ça, oui. Tout le temps.

Grimma fronça les sourcils.

— Il y a une chose que je sais, en tout cas. Quand Masklinn rentrera, il faut qu’il puisse rentrer quelque part.

— Oh ! fit Dorcas.

Puis il répéta :

— Oh ! Oh ! je vois.

Il faisait un froid terrible dans l’antre de Jekub. Les autres gnomes n’y venaient jamais parce qu’il y avait plein de courants d’air et que ça sentait mauvais. Ce qui convenait à merveille à Dorcas.

Le bruit de ses pas traversa le hangar et Dorcas pénétra sous l’immense bâche où vivait Jekub. L’escalade jusqu’à son perchoir favori sur le monstre lui demanda un certain temps, même en se servant des échelons de bois et de corde qu’il avait laborieusement mis en place sur l’engin… sur le monstre.

Il s’assit et attendit de retrouver son souffle.

— Je veux juste aider les gens, dit-il à voix basse. Leur donner des choses comme l’électricité, par exemple, pour leur faciliter la vie. Mais tu sais, ils ne disent jamais merci. Ils m’ont demandé de peindre des panneaux ? J’ai peint des panneaux. Et maintenant, voilà Grimma qui veut se battre contre les humains. Elle trouve des tas d’idées dans les livres. Je sais bien qu’elle fait ça pour oublier Masklinn, mais il n’en sortira rien de bon, souviens-toi de ce que je te dis. Seulement, si je ne l’aide pas, les choses vont tourner encore plus mal. Je ne veux pas qu’il y ait le moindre blessé. On ne répare pas les gens comme nous aussi facilement que les gens comme toi.

Il tambourina des talons contre le… À quoi cela correspondait-il ? La nuque de Jekub, probablement.

— Oh, pour toi, c’est facile, poursuivit-il. Tu dors ici à longueur de journée. Tu te reposes bien…

Il regarda Jekub un grand moment. Puis, d’une voix très douce :

— Je me demande si…

Cinq longues minutes s’écoulèrent. Dorcas apparaissait et disparaissait dans le labyrinthe d’ombre, marmonnant tout seul des choses comme :

— Celle-là est morte, rien à faire, il faut une batterie neuve.

Ou :

— Ça semble en ordre, un bon récurage et ça repart.

Et :

— Hmmm, ton réservoir m’a l’air plutôt vide…

Finalement, il émergea de sous la bâche poussiéreuse et se frotta les mains.

Tout le monde a un but dans la vie, se dit-il, un but qui le pousse à continuer.

Nisodème veut que les choses redeviennent ce qu’elles étaient. Grimma veut que Masklinn revienne. Quant à Masklinn… Personne ne sait vraiment ce que cherche Masklinn, mais c’est quelque chose d’énorme.

Quoi qu’il en soit, ils ont tous un but. Avec un but dans la vie, on se sent grand, comme si on mesurait quinze centimètres de haut.

Et maintenant, j’ai trouvé le mien.

Saperlipopette !

L’humain revint plus tard, et il ne revint pas seul. Le petit camion était accompagné d’un camion beaucoup plus gros, sur le flanc duquel était inscrit Pierres et graviers de Blackburyn S.A. Ses pneus changèrent la neige scintillante en boue luisante.

Il remonta le chemin en cahotant, ralentit en arrivant sur l’espace dégagé en face du portail et s’arrêta.

Ce ne fut pas un arrêt artistique. L’arrière du véhicule dérapa et faillit percuter la haie. Le moteur toussota avant de se taire. On entendit un sifflement. Et, très lentement, le camion commença à s’affaisser.

Deux humains en descendirent. Ils firent le tour du camion, en inspectant les pneus l’un après l’autre.

— Ils sont seulement plats en bas, chuchota Grimma de son poste de surveillance dans les fourrés.

— Ne t’inquiète pas, siffla Dorcas. Avec les pneus, la partie aplatie tombe toujours en bas. Étonnant, ce qu’on arrive à faire avec quelques clous, non ?

Le plus petit des camions s’arrêta derrière le premier. De celui-là aussi descendirent deux humains. L’un d’eux portait à la main la plus longue pince qu’ait jamais vue Dorcas. Tandis que les autres humains se penchaient autour d’un des pneus plats, il se dirigea vers le portail, plaça les dents de la pince sur le cadenas et exerça une pression.