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— Oh, pour aider. Je…

Dorcas s’interrompit et se retourna lentement.

— Je veux dire, de quoi d’autre avons-nous besoin pour immobiliser complètement cet engin, dit-il avec l’inexpressivité d’un bloc de pierre. Voilà ce que je voulais dire.

— Tu n’as quand même pas l’intention de conduire ce camion ? demanda Grimma.

— Ne dis pas de bêtises. Pour aller où ? Il serait incapable de traverser les champs jusqu’à la grange.

— Bon. Très bien, alors.

— Je veux juste jeter un petit coup d’œil. On ne perd jamais le temps que l’on passe à accumuler des connaissances, poursuivit Dorcas d’un ton léger.

Il émergea dans la lumière, de l’autre côté du camion, et leva les yeux.

— Tiens, tiens, dit-il.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Ils ont laissé la portière ouverte. Je suppose qu’ils pensaient que ça n’avait pas d’importance, puisqu’ils vont revenir.

Grimma suivit la direction de son regard. La portière du véhicule était légèrement entrebâillée.

— Aide-moi ; il faut trouver un bâton assez grand, ajouta-t-il. Je pense qu’on devrait pouvoir grimper là-haut et fouiner un peu.

— Fouiner un peu ? Tu cherches quoi ?

— On n’en sait rien tant qu’on n’a pas été voir, répondit Dorcas avec philosophie.

Il jeta un autre coup d’œil sous le ventre du camion.

— Comment ça se passe, vous autres ? On a besoin d’un coup de main.

Sacco arriva en titubant.

— On a réussi à tirer le machin de batterie sous la haie, et la boîte est presque pleine. Qu’est-ce que ça pue ! Et il y en a encore plein qui coule.

— Tu peux remettre l’écrou en place ?

— Nouty a essayé et elle a été couverte de beurk.

— Alors, laissez le carburant se répandre sur le chemin, décida Dorcas.

— Hé là ! Je croyais que c’était dangereux, selon toi ? protesta Grimma. C’est dangereux jusqu’à ce que tu aies rempli ta boîte et ça n’est plus dangereux d’un seul coup ?

— Bon, écoute, tu voulais que j’arrête le camion, non ? J’ai arrêté le camion, rétorqua Dorcas. Alors maintenant, tu la fermes. D’accord ?

Grimma le regarda avec une mine horrifiée.

— Qu’est-ce que tu as dit ?

Dorcas ravala sa salive. Oh, après tout, si on doit se faire enguirlander, autant que ce soit pour un bon motif.

— Je t’ai dit : Ferme-la, répondit-il doucement. Je ne veux pas être malpoli, mais tu es tout le temps à crier après tout le monde. Désolé, mais c’est la vérité. Je t’aide. Je ne t’ai pas demandé de m’aider, mais tu pourrais au moins me laisser faire, au lieu de passer ton temps à me houspiller. Et tu ne dis jamais s’il te plaît, jamais merci. Les gens, c’est un peu comme les machines, ajouta-t-il tandis que le visage de Grimma virait à l’écarlate, et des mots comme s’il te plaît et merci, c’est exactement comme le cambouis. Ça aide à faire mieux tourner les choses. Ça va comme ça ?

Il se retourna vers les garçons, qui paraissaient très gênés d’être là.

— Trouvez-moi un bâton assez long pour atteindre la cabine, dit-il. S’il vous plaît.

Ils obéirent avec un empressement spectaculaire.

9

III. Ainsi parlèrent les plus jeunes gnomes : Que ne sommes-nous les gnomes qu’étaient nos Pères, pour voyager en ce camion ! C’était comment ?

IV. Et Dorcas leur dit : Ça faisait Peur.

V. Voilà comment c’était.

La Gnomenclature, Des Grenouilles,
Chapitre 2, Versets III-V

La cabine ressemblait beaucoup à celle du camion avec lequel ils avaient quitté le Grand Magasin. Ça leur rappela de vieux souvenirs.

— Mince, alors ! s’exclama Sacco. Et on a tous été dans un engin comme ça ?

— On était plusieurs centaines, expliqua Dorcas avec orgueil. Ton père en faisait partie. Vous étiez à l’arrière, avec vos mères. Vous tous, les garçons.

— J’suis pas un garçon, protesta Nouty.

— Pardon, ma langue a fourché. À mon époque, les filles passaient presque tout leur temps à la maison. C’est pas que j’aie quoi que ce soit contre le fait qu’elles sortent et qu’elles s’occupent, comme elles le font désormais, se hâta-t-il d’ajouter, peu désireux de se retrouver avec une nouvelle Grimma sur les bras. Je n’ai absolument rien contre.

— Ce que j’aurais aimé être plus vieille pendant l’Exode ! dit Nouty. Ça a dû être épatant !

— J’ai failli mourir de peur, répondit Dorcas.

Les autres se promenaient bouche bée dans la cabine, comme des touristes dans une cathédrale. Nouty essaya d’appuyer sur une pédale.

— Épatant, souffla-t-elle.

— Sacco, viens par ici et monte sortir ces clés, demanda Dorcas. Les autres, arrêtez de lambiner. Les humains pourraient revenir à tout moment. Nouty, arrête de faire vroum-vroum. Je suis sûr qu’une jeune fille bien élevée ne fait pas ce genre de bruits, ajouta-t-il d’une voix mal assurée.

Sacco escalada l’axe du volant et lutta pour dégager les clés de contact de leur logement, tandis que le reste des gnomes fouinaient à travers la cabine.

Grimma n’était pas avec eux. Elle n’avait pas voulu grimper dans la cabine. En fait, elle était devenue bien silencieuse. Elle était restée sur le chemin, la mine un peu renfrognée.

Mais il fallait le lui dire, se répéta Dorcas.

Il jeta un coup d’œil circulaire sur la cabine.

Voyons, se dit-il… Nous avons la batterie, nous avons le carburant, de quoi est-ce que Jekub avait encore besoin ?

— Allons, tout le monde, lança-t-il. Sortons tous de là. Nouty, arrête d’essayer de tout faire bouger ! Il faudrait vous mettre tous ensemble pour arriver à pousser ce levier. Allons-y avant que les humains ne reviennent.

Il se dirigea vers la portière et entendit un déclic derrière lui.

— Je vous ai dit de venir… Mais qu’est-ce que vous fabriquez ?

Les jeunes gnomes le considérèrent avec de grands yeux.

— On regarde si on arrive à faire bouger le levier de vitesse, Dorcas, répondit Nouty Si on appuie sur ce bouton, on peut…

— N’appuyez pas sur ce bouton ! N’appuyez pas sur ce bouton !

Le premier indice que tout n’allait pas au mieux fut pour Grimma un vilain petit bruit d’écrasement, accompagné d’une modification de la lumière ambiante.

Le camion bougeait. Pas très rapidement, parce que les deux pneus avant étaient à plat. Mais le chemin était en pente raide ; le véhicule bougeait bel et bien. Et ce n’est pas parce qu’il avait commencé à petite vitesse qu’il n’y avait pas dans son allure une certaine puissance inexorable.

Elle le contempla avec horreur.

Le chemin courait entre deux hauts accotements jusqu’à la grand-route, tout en bas – et à la voie ferrée.

— J’avais dit de ne pas appuyer ! Je vous ai dit d’appuyer ? Je vous avais dit : N’appuyez pas !

Terrifiés, les gnomes le regardaient, leurs bouches ouvertes formant une petite rangée de 0.

— Ce n’est pas le levier de vitesse ! C’est le frein à main, bande d’idiots !

Ils entendaient tous le crissement et sentaient tous la légère trépidation.