Grimma parcourut d’un pas rapide un article qui parlait de quelqu’un qui avait mis du veto sur le projet de quelqu’un d’autre.
Effectivement, sous les mots : PROBLÈMES POUR LE SATELLITE TV figurait une image floue de Richard Quadragénaire.
Elle s’agenouilla et contempla les petits mots au-dessous.
— Lis à haute voix ! lui demandèrent-ils.
— Richard Arnold, président du Groupe Arnco, basé à Blackbury, a déclaré aujourd’hui en Floride que les savants tentaient toujours de re… reprendre le contrôle d’Arnsat 1, le sat… satellite de com… communications de plusieurs millions de livres…
Les gnomes se regardèrent.
— Plusieurs millions de livres, dirent-ils. Ça en fait, de la lecture !
— Après le suc… succès du déc… déclouage en Floride, lut Grimma avec effort, tout le monde espérait qu’Arnsat entamerait aujourd’hui ses premiers essais de tr… tr… transmissions. Mais le sat… tellite émet un îlot continu de sig… signaux anormaux. « On dirait un code », a confié Richard, quadragénaire président d’Arnco…
Un murmure d’appréciation échappa à l’auditoire.
— On pourrait penser qu’il agit de façon indépendante, poursuivit Grimma.
Il y avait encore du texte, des histoires de tâtonnements inévitables, mais Grimma ne savait pas ce que c’était et ne se donna pas la peine de lire plus avant.
Elle se souvenait de la façon dont Masklinn avait parlé des étoiles, et pourquoi elles restaient en l’air. Et puis il y avait le Truc. Masklinn l’avait emporté avec lui. Le Truc savait parler à l’électricité, non ? Il pouvait l’entendre dans les fils électriques, et par ce machin dans l’air que Dorcas appelait la radio. Et si quelque chose était capable d’envoyer des signaux anormaux, c’était bien le Truc. Je risque d’aller encore plus loin que lors du Grand Exode, avait dit Masklinn.
— Ils sont vivants, dit-elle sans s’adresser à personne en particulier. Masklinn, Gurder, Angalo. Ils sont arrivés dans la Floride et ils sont toujours vivants.
Elle se souvint qu’il avait essayé quelquefois de lui parler du ciel, du Truc et de l’endroit d’où étaient venus les gnomes à l’origine, et elle n’avait jamais vraiment compris, pas plus que lui n’avait compris l’histoire des petites grenouilles.
— Ils sont toujours vivants, répéta-t-elle. Je le sais. Je ne sais Pas exactement comment, ni où, mais ils ont une espèce de Plan et ils sont toujours vivants.
Les gnomes échangèrent des regards éloquents, et le sens général était le suivant : Elle se fait des illusions, mais il faudrait avoir plus de courage que moi pour se risquer à la détromper.
Mémé Morkie lui tapota doucement l’épaule.
— Mais oui, mais oui, lui dit-elle sur un ton apaisant. Et je suis contente de voir qu’ils ont réussi leur déclouage. Ça ne doit pas être très commode, quand les affaires sont bien accrochées. Mais à ta place, ma fille, j’essaierais de dormir un peu.
Grimma fit un rêve.
C’était un rêve très confus. C’est presque toujours le cas, avec les rêves. Ils ne sont jamais proprement emballés. Elle rêva de vacarme et de grandes lumières qui clignotaient. Et d’yeux.
Des petits yeux jaunes. Et Masklinn, assis sur une branche, regardait les petits yeux jaunes en contrebas.
Je vois ce qu’il est en train de faire en ce moment, songea-t-elle. Il est vivant. Je l’ai toujours su, bien entendu. Mais je n’imaginais pas qu’il y avait tant de feuillage, dans l’espace. Ou peut-être que rien de tout ça n’est vrai et que je suis en train de rêver…
C’est alors que quelqu’un la réveilla.
Il n’est jamais bon de s’inquiéter du sens des rêves ; aussi ne s’y risqua-t-elle pas.
Il neigea à nouveau pendant la nuit, sur les ailes d’un vent glacial. Plusieurs gnomes explorèrent les abords des hangars et revinrent porteurs de quelques légumes passés inaperçus, mais la quantité en était piteuse. L’humain ligoté finit par s’endormir et se mit à ronfler comme quelqu’un qui s’attaque à une très grosse bûche avec une toute petite scie.
— Les autres viendront le chercher demain matin, prévint Grimma. Il ne faudra plus être là. Nous devrions peut-être…
Elle s’arrêta. Tout le monde dressa l’oreille.
On entendait des mouvements sous les lattes du parquet.
— Il reste encore quelqu’un là-dessous ? chuchota Grimma.
Les gnomes qui étaient à ses côtés secouèrent la tête. Personne ne serait resté sous le parquet, dans le froid, alors qu’on pouvait profiter de la chaleur et de la lumière du bureau.
— Et ça ne peut pas être des rats, compléta-t-elle.
Puis quelqu’un appela, sur ce ton, mi-cri, mi-chuchotement, des gens qui veulent se faire entendre tout en restant aussi discrets que possible.
Le quelqu’un se révéla être Sacco.
Ils écartèrent la latte que les humains avaient détachée et l’aidèrent à monter. Il était couvert de boue et titubait, à bout de forces.
— Il n’y avait plus personne ! hoqueta-t-il. J’ai regardé partout ; impossible de trouver quelqu’un ; et puis on a vu les camions venir ici, et puis j’ai aperçu les lumières dans la pièce, et puis je croyais que les humains étaient encore là, et puis j’ai entendu vos voix, et puis il faut que vous veniez, à cause de Dorcas !
— Il est vivant ? demanda Grimma.
— Je crois, oui, parce que sinon, il a un drôle de langage, pour un mort, dit Sacco en se laissant tomber à terre.
— Nous vous avons tous crus mo…
— On va tous bien, sauf Dorcas. Il s’est fait mal en sautant du camion ! Venez, je vous en prie !
— Tu ne m’as pas l’air en état d’aller où que ce soit, dit Grimma. (Elle se leva.) Dis-nous simplement où il est.
— On a réussi à l’amener à la moitié du chemin et on était si fatigués que je les ai laissés derrière pour partir en reconnaissance. Ils sont sous la haie, et…
Ses yeux se posèrent sur la masse de l’humain qui ronflait. Il regarda Grimma.
— Vous avez capturé un humain ? (Il tituba.) J’ai besoin d’un peu de repos, je suis tellement fatigué, répéta-t-il d’une voix indistincte.
Puis il s’écroula en avant.
Grimma le rattrapa au vol et l’étendit par terre avec toute la douceur possible.
— Installez-le au chaud et voyez s’il reste de quoi manger, lança-t-elle à la cantonade. Et je veux que quelques volontaires viennent m’aider à chercher les autres. Allons ! Il ne fait pas un temps à passer la nuit dehors.
L’expression sur certains visages laissait entendre qu’ils étaient parfaitement d’accord avec ce point de vue et qu’ils se comptaient au nombre de ceux qui ne devraient pas passer une telle nuit dehors.
— Il neige beaucoup, fit l’un d’entre eux sur un ton hésitant. On ne les retrouvera jamais dans tout ce noir et toute cette neige.
Grimma lui jeta un regard assassin.
— C’est une possibilité. On pourra éventuellement les retrouver dans le noir et la neige. Mais on ne les retrouvera certainement pas dans la chaleur et la lumière, ça, je vous le garantis.
Plusieurs gnomes se frayèrent un chemin à travers la foule. Grimma reconnut les parents de Nouty, et ceux de quelques-uns des garçons. Ensuite, on entendit un remue-ménage sous la table, où les gnomes les plus âgés s’étaient regroupés pour se tenir chaud et ronchonner à loisir.
— Je viens, moi aussi, déclara Mémé Morkie. Ça va me faire du bien, un peu d’air frais. Qu’est-ce que vous avez tous à me regarder comme ça ?