Выбрать главу

Il s’arrêta, prenant conscience du silence de Grimma.

— Quelque chose ne va pas ? s’enquit-il.

— Mais qu’est-ce que c’est ?

— J’étais en train de t’expliquer. C’est captivant. Tu vois, les tuyaux pompent je ne sais trop quoi, ce qui fait bouger les parties là-bas, et les pistons sont forcés de sortir, et l’espèce de bras, ici…

— Je ne t’ai pas demandé ce que ça faisait, je t’ai demandé ce que c’était, s’impatienta Grimma.

— Je ne te l’ai pas dit ? demanda Dorcas sur un ton innocent. Eh bien ! son nom est peint ici. Juste là-haut, regarde.

Elle leva les yeux vers l’endroit qu’il indiquait. Son front se rida.

— J… C… B… lut-elle. Jcb ? Jekub ? Mais il n’y a pas de voyelles. C’est pas un nom, ça !

— Chaipas. Je m’y connais pas trop en noms. Mais ça sonne bien. Viens de ce côté.

Elle le suivit comme dans un rêve et contempla une nouvelle fois les ombres sous la bâche.

— Là, fit Dorcas. On ne peut pas se tromper sur leur rôle à elles, je présume ?

— Oh, miséricorde ! souffla Grimma en levant les mains à sa bouche.

— Oui, c’est ce que j’ai pensé, moi aussi. Quand j’ai trouvé ça, au début, j’ai pensé : Oh, c’est une espèce de camion, tiens, tiens, et ensuite, je suis venu jusqu’ici et j’ai découvert que c’était un camion qui avait…

— Des dents, compléta Grimma à mi-voix. D’énormes dents de métal.

— Exact, se rengorgea Dorcas. Jekub. Une espèce de camion. Un camion avec des dents.

PA-POUUUMM !

— Et… Et il marche ?

— En théorie, en théorie. J’ai vérifié tout ce que j’ai pu. Les principes de base sont ceux d’un camion, mais il y a plein de leviers et de bidules supplémentaires et…

— Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé plus tôt ?

— Chaipas. Parce que je n’étais pas obligé de le faire, sans doute.

— Mais il est immense ! Tu ne peux pas garder un truc comme ça pour toi tout seul !

— Tout le monde a quelque chose qu’il garde pour soi tout seul, répondit Dorcas d’un ton léger. Et puis ce n’est pas la taille qui importe. Il est tellement… tellement parfait, tu comprends ? (Dorcas tapota un des pneus bosselés.) Tu te souviens, quand tu as dit que pour les humains, le monde a été construit en une semaine ? La première fois que j’ai vu Jekub, je me suis dit : D’accord, et c’est avec ça qu’on l’a construit.

Il leva les yeux vers les ombres.

— Première chose à faire : retirer cette bâche, déclara-t-il. Elle est très lourde, il nous faut donc beaucoup de monde. Tu ferais mieux de les prévenir : Jekub est parfois assez effrayant, la première fois qu’on le voit.

— Je n’ai pas eu peur une seconde, fit Grimma.

— Je sais. Je regardais ta tête.

Les gnomes attendaient que Grimma parle.

— L’important, dit-elle, c’est de se souvenir qu’il ne s’agit que d’une machine. Une espèce de camion. Mais la première fois qu’on la voit, elle peut paraître un peu effrayante, alors tenez bien les petits enfants par la main. Et dépêchez-vous de reculer quand la bâche tombera.

Il y eut un chœur d’approbations.

— Très bien. Prenez la bâche.

Six cents gnomes crachèrent dans leurs mains et empoignèrent le bord de la lourde toile.

— Quand je dirai Tirez, tirez tous.

Les gnomes se mirent en position.

— Tirez !

La tension gomma les plis de la bâche.

— Tirez !

La toile commença à bouger. Puis, tandis qu’elle glissait sur le corps anguleux de Jekub, son propre poids se mit à l’entraîner.

— Courez !

La bâche s’effondra comme une avalanche verte et grasse, s’abîmant en montagnes de plis, mais personne ne s’en soucia, car le soleil, brillant à travers les carreaux poussiéreux et couverts de toiles d’araignées, fit luire Jekub.

Plusieurs gnomes laissèrent échapper un cri. Les mères prirent leurs enfants dans les bras. Il y eut un mouvement général vers les portes.

On dirait vraiment une tête, se dit Grimma. Au bout de son long cou. Et il en a une autre à l’autre extrémité. Mais qu’est-ce que je raconte ? Ce n’est qu’une machine.

— Je vous ai dit qu’il n’y avait rien à craindre ! cria-t-elle pour couvrir la rumeur qui enflait. Regardez ! Il ne bouge même pas !

— Hé ! cria une autre voix.

Elle leva les yeux. Nouty et Sacco avaient grimpé le long du cou de Jekub et, assis à califourchon, faisaient de joyeux signes de bras.

Ce spectacle emporta la décision. La marée de gnomes atteignit le mur et s’arrêta. On se sent toujours un peu bête quand on s’enfuit devant quelque chose qui ne vous poursuit pas. Ils hésitèrent puis lentement, très lentement, revinrent sur leurs pas.

— Tiens, tiens, fit Mémé Morkie, clopinant de l’avant. C’est donc à ça que ça ressemble ! Je m’étais toujours posé la question.

Grimma la regarda.

— À quoi ressemble quoi ? demanda-t-elle.

— Oh, ben, les grands creuseurs, répondit Mémé. Ils avaient tous disparu avant ma naissance, mais mon papa les avait vus. De grandes bestioles toutes jaunes avec des dents qui dévoraient la terre, qu’il disait. Moi, j’ai toujours cru qu’il me faisait marcher.

Jekub persistait à ne dévorer personne. Certains gnomes parmi les plus hardis commencèrent à l’escalader.

— C’était quand on a construit l’autoroute, continua Mémé, appuyée sur sa canne. Y en avait partout, qu’il disait, papa. De grands machins jaunes avec des dents et des pneus tout bosselés.

Grimma la considérait avec le genre d’expression qu’on réserve aux gens qui, contre toute attente, s’avèrent avoir des secrets fascinants dans leur vie.

— Et il y en avait d’autres, aussi, poursuivait la vieille femme. Des machines qui poussaient la terre pour en faire de grands tas, et tout et tout. C’était… Oh, y a bien quinze ans de ça, maintenant. J’aurais jamais cru en voir.

— Tu veux dire que les routes ont été faites ? s’ébahit Grimma.

Jekub était couvert de jeunes gnomes, maintenant. Grimma apercevait Dorcas dans la cabine, en train d’expliquer la fonction des différents leviers.

— C’est ce qu’il m’a raconté, fit Mémé. Tu pensais quand même pas que c’était d’origine naturelle ?

— Oh, non, non ! Bien sûr que non, protesta Grimma. Ne dis pas de bêtises.

Et en son for intérieur, elle se demandait : Et si Dorcas avait raison ? Et si tout avait été fabriqué ? Certaines parties en premier, d’autres plus tard. On commence par les collines, les nuages et tout ça, et puis ensuite on rajoute les routes et les Grands Magasins. C’est peut-être à ça que servent les humains : ils ont pour tâche de fabriquer le monde, et ils continuent. Voilà pourquoi les machines sont adaptées à leur taille.

Gurder aurait compris ce genre de chose. J’aimerais qu’il soit revenu.

Parce que alors, Masklinn serait de retour, lui aussi.

Elle essaya de se changer les idées.

Des pneus bosselés. Bon début. Les roues arrière de Jekub étaient presque aussi hautes qu’un humain. Il n’a pas besoin de routes. Bien sûr que non, puisqu’il les fabrique. Donc, il est conçu pour aller où il n’y a pas de route.

Elle se faufila dans la foule jusqu’à l’arrière de la cabine, où un autre groupe de gnomes était déjà en train d’installer une planche, et elle grimpa jusqu’à Dorcas qui essayait de se faire entendre au milieu d’une assistance surexcitée.