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Grimma se remit debout et commença à se débarrasser des écailles de rouille dont elle était couverte.

— Nous nous sommes arrêtés, dit-elle distraitement, les oreilles résonnant encore. Pourquoi s’est-on arrêtés, Dorcas ?

Il n’essaya même pas de se relever. L’impact de Jekub contre la porte lui avait coupé le souffle.

— Je pense, dit-il, que tout le monde a pu être quelque peu projeté çà et là. Quel besoin avais-tu d’aller si vite ?

— Désolé ! lança Sacco d’en bas. Petite erreur d’interprétation, je crois !

Grimma se reprit.

— Bon, dit-elle. En tout cas, je nous ai fait sortir. J’ai compris comment ça marche, à présent. Nous allons juste… Nous allons juste… Nous allons…

Dorcas entendit sa voix s’éteindre. Il leva les yeux.

Un camion était garé devant la carrière. Et trois humains se précipitaient vers Jekub à grands bonds aériens.

— Oh, miséricorde ! dit-il.

— Il n’a donc pas lu ce que je lui ai écrit ? s’étonna Grimma à voix haute.

— J’ai bien peur que si, répondit Dorcas. Maintenant, pas de panique. Nous avons le choix. On peut soit…

— Avancer ! trancha Grimma. Tout de suite !

— Non, non, protesta Dorcas d’une petite voix. Ce n’est pas ce que j’allais suggérer.

— Première ! ordonna Grimma. Et plein de vite !

— Non, il ne faut pas faire ça, murmura Dorcas.

— Tu vas voir. Je les avais prévenus ! Ils savent lire, on sait bien qu’ils savent lire ! S’ils sont si intelligents que ça, ils devraient comprendre !

Jakub prit de la vitesse.

— Il ne faut pas faire ça, fit Dorcas. Nous nous sommes toujours tenus à l’écart des humains !

— Mais eux ne se tiennent pas à l’écart de nous ! cria Grimma.

— Mais…

— Ils ont démoli le Grand Magasin, ils ont essayé de nous empêcher de nous sauver, maintenant ils nous prennent notre carrière et ils ne savent même pas ce que nous sommes ! Tu te souviens du rayon Jardinage dans le Grand Magasin ? Ces horribles statues pour décorer les jardins ? Eh bien ! je vais leur montrer à quoi ressemblent de vrais gnomes, moi…

— On ne peut pas vaincre les humains ! s’écria Dorcas par-dessus le rugissement du moteur. Ils sont trop grands ! Nous sommes trop petits !

— D’accord, ils sont grands et moi je suis toute petite ! Mais c’est moi qui conduis un camion géant. Un camion avec des dents. (Elle se pencha par-dessus la planche.) Cramponnez-vous, en bas ! cria-t-elle. Ça risque de secouer.

L’idée que quelque chose ne tournait pas rond commença à poindre dans le cerveau des grandes créatures lentes. Elles arrêtèrent leur charge maladroite et, très lentement, essayèrent d’esquiver. Deux d’entre elles réussirent à plonger dans le bureau désert quand Jekub passa devant.

— Je vois, fit Grimma. Ils doivent nous prendre pour des imbéciles. Faites un grand virage à gauche. Encore. Encore. Ça suffit maintenant. O.K.

Elle se frotta les mains.

— Qu’est-ce que tu vas faire ? chuchota Dorcas, terrifié. Grimma se pencha sur la planche.

— Sacco, dit-elle, tu vois ces autres leviers ?

Les ronds pâles et flous des visages humains apparurent aux fenêtres crasseuses du hangar.

Jekub était à six mètres, vibrant doucement dans les brumes du petit matin. Puis le moteur rugit. La grande pelle à l’avant se leva, interceptant le soleil…

Jekub bondit en avant, traversa la carrière et arracha un des murs du hangar comme on retire un couvercle. Les autres murs et le toit s’effondrèrent en douceur, ainsi qu’un château de cartes où on aurait subtilisé l’as de pique.

Le creuseur fonça en décrivant un large cercle, si bien que lorsque les deux humains parvinrent à s’extraire des décombres, ce fut la première chose qu’ils virent : le véhicule palpitant et sa grande gueule de métal prête à mordre.

Ils se mirent à courir.

Ils couraient presque aussi vite que les gnomes.

— J’ai toujours eu envie de faire ça, déclara Grimma sur un ton satisfait. Voyons maintenant… Où est passé l’autre humain ?

— Il est reparti vers son camion, je crois, dit Dorcas.

— Très bien. Plein de droite, Sacco. Arrête. Maintenant, en avant, doucement.

— Est-ce qu’on ne pourrait pas arrêter tout ça et se contenter de partir ? S’il te plaît ? demanda Dorcas.

— Le camion des humains barre le passage, répondit Grimma sur un ton raisonnable. Ils se sont garés en plein milieu de l’entrée.

— Alors, nous sommes pris au piège !

Grimma éclata de rire. Ce n’était pas un son très agréable. Dorcas commença à plaindre les humains, presque autant qu’il se plaignait lui-même.

Ils se demandent pourquoi ils ne voient pas d’humain aux commandes, se disait-il. Ils n’arrivent pas à comprendre. Voilà une machine qui se déplace toute seule. C’est une énigme, pour des humains.

Apparemment, ils prirent quand même une décision. Il vit les deux portières du camion s’ouvrir à la volée et les humains bondir, juste au moment où Jekub…

Il y eut un bruit terrible et le camion frémit quand Jekub le percuta. Les roues bosselées patinèrent un moment, puis le camion commença à reculer. Des nuages de vapeur s’en échappaient.

— Ça, c’est pour Nisodème, fit Grimma.

— Je croyais que tu ne l’aimais pas ?

— C’est vrai, mais c’était un gnome.

Dorcas hocha la tête. Quand on allait au fond des choses, songea-t-il, ils étaient tous des gnomes. Il valait mieux ne jamais oublier de quel côté on se trouvait.

— Puis-je te suggérer de changer de vitesse ? demanda-t-il avec urbanité.

— Pourquoi ? Elle ne va pas, celle-ci ?

— Tu pousseras plus facilement si tu rétrogrades, crois-moi.

Les humains regardaient. Ils regardaient, parce qu’une machine qui roule toute seule vaut la peine qu’on la regarde, même si elle vous a contraints à escalader un arbre ou à vous dissimuler derrière une haie.

Ils regardèrent Jekub reculer, changer de vitesse en rugissant et attaquer à nouveau le camion. Les vitres volèrent en éclats.

Dorcas n’aimait pas beaucoup ça.

— Tu es en train de tuer un camion.

— Ne dis pas de bêtises, répondit Grimma. C’est une machine. De simples morceaux de métal.

— Oui, mais quelqu’un l’a fabriqué. Ça doit être très difficile à construire. Je déteste qu’on détruise des choses qui sont difficiles à construire.

— Ils ont écrasé Nisodème, répliqua Grimma. Et quand nous vivions dans un terrier, des gnomes se faisaient souvent écraser par des voitures.

— Oui, mais les gnomes, on en fabrique facilement. Il suffit d’avoir d’autres gnomes.

— Tu es vraiment un type bizarre.

Jekub frappa une nouvelle fois. Un des phares du camion explosa. Dorcas fit une grimace.

Puis le camion fut repoussé. De la fumée en montait, à l’endroit où le carburant s’était répandu sur le moteur brûlant. Jekub recula et fit le tour de sa proie en grondant. Les gnomes commençaient à l’avoir bien en main.

— Très bien, dit Grimma. En avant, toute ! (Elle donna un coup de coude à Dorcas.) On va la chercher, cette fameuse grange, maintenant. D’accord ?