— Et… ? insista Angalo.
Gurder commençait à transpirer.
— Eh bien… euh… et alors, on lui demandera qu’on nous laisse tranquilles dans la carrière.
Un silence gêné plana sur l’assistance. Puis Angalo déclara :
— C’est probablement le plan le plus lamentable…
— Qu’est-ce que c’est, un jet ? demanda Grimma. Ça a un rapport avec l’eau ?
— Un jet, c’est une sorte d’avion, expliqua Angalo, leur expert en moyens de transport.
— Alors, s’il prend un jet, c’est pour le garder ou pour se déplacer ? s’enquit Grimma.
Tout le monde se tourna vers Masklinn, dont la fascination pour l’aéroport était bien connue de chacun.
Il avait disparu.
Masklinn tira le Truc de sa niche dans le mur et ressortit à l’air libre. Inutile d’attacher le Truc à des fils électriques. Il suffisait de l’en approcher.
L’ancien bureau du directeur possédait l’électricité. Masklinn traversa l’intervalle désert qui séparait les bâtiments décrépits et se faufila par une fente dans la porte gondolée.
Puis il plaça le cube au centre du parquet et attendit.
Le réveil du Truc demandait toujours un moment. Ses lumières clignotaient au petit bonheur, et il poussait des bips curieux. Masklinn supposait que ça pouvait se comparer, chez une machine, au réveil d’un gnome le matin.
Le Truc finit par dire :
— Qui est là ?
— C’est moi, Masklinn. Dis donc, j’ai besoin de savoir ce que signifient les mots « satellite de communications ». Je t’ai déjà entendu prononcer le mot « satellite ». Tu disais que la lune en était un, je me trompe ?
— C’est exact. Mais les satellites de communications sont des lunes artificielles. On s’en sert pour les communications. Les communications, c’est le transfert de l’information. Dans le cas qui nous occupe, par la radio et la télévision.
— La télévision ? Qu’est-ce que c’est ?
— Un moyen d’envoyer des images dans les airs.
— Et on fait ça souvent ?
— Tout le temps.
Masklinn nota dans un coin de sa tête qu’il devrait regarder en l’air pour essayer de voir passer ces images.
— Je comprends, mentit-il. Alors, ces satellites… Ils sont où, exactement ?
— Dans le ciel.
— Je pense pas en avoir jamais vu, fit Masklinn, un peu incrédule.
Une idée était en train de prendre forme sous son crâne. Rien de précis, pour l’instant. Des morceaux, des lambeaux de choses qu’il avait lues ou entendues convergeaient. L’important était de ne pas les bousculer, de ne pas les effaroucher.
— Fis se trouvent en orbite, à plusieurs kilomètres d’altitude. Il y en a un très grand nombre en orbite autour de cette planète.
— Comment tu peux le savoir ?
— Je suis capable de les détecter.
— Oh !
Masklinn fixa les voyants clignotants.
— Artificiels, ça veut dire qu’ils ne sont pas réels ?
— Ce sont des machines. En général, on les construit sur la planète et on les envoie dans l’espace.
L’idée était presque mûre, à présent. Elle montait comme une bulle…
— Dans l’espace… C’est là que se trouve notre vaisseau, tu as dit ?
— C’est exact.
Masklinn sentit l’idée éclater sans bruit, comme une tête de pissenlit.
— Si nous savions à quel endroit on allait envoyer un de ces machins dans l’espace, dit-il à toute allure avant que les mots ne puissent s’échapper, et si on se cramponnait sur les côtés ou, je ne sais pas, moi… si on le conduisait comme le camion et si on t’emmenait avec nous, alors on pourrait sauter en route quand on serait là-haut, et aller chercher notre vaisseau, non ?
Les lumières sur le dessus du Truc se déplacèrent curieusement, selon des modalités que Masklinn n’avait encore jamais vues. La sarabande se prolongea un moment avant que le Truc ne reprenne la parole. Quand il le fit, il paraissait presque triste.
— Est-ce que tu sais combien l’espace est vaste ?
— Non, répondit poliment Masklinn. Il est drôlement grand, c’est ça ?
— Oui. Cela dit, je pourrais détecter le vaisseau et le faire venir si on me transportait au-dessus de l’atmosphère. Mais qu’évoquent pour toi les mots « réserve d’oxygène » ?
— Rien.
— Et « combinaison spatiale » ?
— Rien du tout.
— Il fait très froid, dans l’espace.
— Eh bien, est-ce qu’on ne pourrait pas sauter un peu sur place, pour se réchauffer ? demanda Masklinn, à bout d’arguments.
— Je ne pense pas que tu comprennes vraiment de quoi l’espace est composé.
— De quoi, alors ?
— De rien. L’espace ne contient rien. Et tout, à la fois. Mais il y a très peu de tout et beaucoup plus de rien que tu ne peux l’imaginer.
— Ça vaut quand même la peine d’essayer, non ?
— L’entreprise que tu proposes est extrêmement peu judicieuse, expliqua le Truc.
— Oui, mais tu vois, insista Masklinn, si on ne tente rien, alors les choses ne changeront jamais. On devra perpétuellement se sauver et trouver de nouveaux endroits où s’installer, et quand on commencera juste à être bien établis, on sera encore obligés de repartir. Tôt ou tard, nous devrons trouver un endroit dont nous serons sûrs qu’il nous appartient en propre. Dorcas a raison. Les humains sont partout. Et de toute façon, c’est toi qui m’as dit que chez nous, c’était… là-haut, je ne sais pas où.
— L’heure n’est pas venue. Vous n’êtes pas prêts.
Masklinn serra les poings.
— Mais je ne serai jamais prêt ! Je suis né dans un terrier, Truc ! Un trou tout bourbeux creusé dans de la terre ! Comment veux-tu que je sois jamais prêt à quoi que ce soit ? C’est ça, être vivant, Truc ! On n’est jamais prêt à rien ! Parce qu’on n’a droit qu’à une seule chance, Truc ! Une seule et unique chance, et ensuite on meurt ! On n’a pas la possibilité de recommencer jusqu’à ce qu’on ait tout réussi ! Tu comprends ça, Truc ? Alors on va essayer, et tout de suite ! Et je t’ordonne de nous aider ! Tu es une machine, tu dois obéir !
Les lumières se déployèrent en spirale.
— Tu apprends vite ! constata le Truc.
4
III. Et d’une Voix de Tonnerre, le Puissant Masklinn décréta devant le Truc : L’Heure a sonné pour nous les gnomes de rentrer en notre Patrie Céleste.
IV. Sinon, nous courrons sans répit d’une cachette à une autre.
V. Mais nul ne doit connaître ma Volonté, car l’on dirait : Ridicule ; qu’irions-nous faire dans le Ciel alors que nous avons déjà bien assez de problèmes Ici ?
Lorsque Masklinn revint, Gurder et Angalo se disputaient âprement.