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Là-dessus, la lumière émanant du corps du messager parut croître en éclat et en intensité, chose que Mon aurait cru impossible, car déjà, rien qu’à la regarder, il était aveuglé. Cependant, il parvint à voir que l’homme de lumière tendait le bras ; soudain, un éclair flamboya dans l’air entre son doigt et la tête d’Akma. L’espace d’un instant, celui-ci donna l’impression de danser au-dessus du sol comme une cendre au-dessus d’un feu ; puis il s’écroula en un tas informe. L’énorme rocher se remit à rugir, et à nouveau la poussière et la fumée s’élevèrent en un nuage opaque. Quand l’air s’éclaircit, le roc avait disparu, le messager avec lui, et la terre avait cessé de trembler.

Khimin pleurait. « Père ! s’écria-t-il. Mère ! Je ne veux pas mourir ! »

Mon se serait volontiers moqué de lui si son cœur n’avait pas été agité des mêmes sentiments.

« Akma ! » dit Aronha.

Évidemment ! songea Mon. C’est mon grand frère qui a la décence de s’inquiéter de notre ami au lieu de ne penser qu’à lui-même. Une nouvelle vague de honte submergea Mon. Il se leva et s’approcha d’un pas vacillant d’Akma inconscient.

« Le Gardien existe, psalmodiait Ominer. Je sais que le Gardien existe, je le sais, je le sais, je le sais.

— La ferme, Ominer, le coupa Mon. Aide-nous plutôt à porter Akma au soleil, sur l’herbe. »

Ils transportèrent le corps flasque.

« Il est mort, dit Khimin.

— Si l’homme de lumière avait l’intention de le tuer, objecta Mon, pourquoi lui aurait-il ordonné de cesser de s’en prendre aux Protégés ? On ne donne pas d’ordre aux morts !

— S’il est vivant, intervint Aronha, pourquoi ne respire-t-il pas ? Pourquoi ne sent-on ni pouls ni battements de cœur ?

— Je te dis qu’il est vivant, s’entêta Mon.

— Et qu’est-ce que tu en sais ? demanda Ominer. Tu ne l’as même pas ausculté.

— Parce que mon talent de vérité me l’affirme. Oui, il est vivant.

— Tiens donc, ton talent t’est revenu, d’un seul coup ? fit Aronha, ironique.

— Il n’avait pas disparu. Je le niais, je refusais de l’écouter, je le combattais, mais il n’avait pas disparu. » Quel déchirement de prononcer ces mots ! Et pourtant, quel soulagement aussi !

« Depuis le début, ton talent de vérité te disait que tout ce que nous prêchions n’était que mensonge ? » demanda Aronha.

Son ton valait une gifle en pleine figure. « Akma prétendait que c’était mon talent qui était mensonge ! Que je me trompais moi-même ! J’avais honte d’en parler ! » Le visage d’Aronha était un masque de mépris. « Tu ne vas tout de même pas me le reprocher, Aronha ! Es-tu mesquin à ce point-là ? Tout ce qu’on a fait, c’est de la faute de Mon, c’est ça ? Le Gardien nous envoie un être de lumière pour nous apprendre que nous mentions, que nous étions en train de détruire quelque chose d’essentiel, et c’est à moi que tu veux faire porter le chapeau ? »

Ce fut au tour d’Aronha de baisser le nez. « J’ai fait mon choix tout seul, je le sais. Je me répétais : Si Mon dit que c’est bien, ça doit être bien… Sauf que je savais que c’était mal et je me servais de ma confiance en toi comme d’excuse. Les plus jeunes d’entre nous ne peuvent pas être tenus pour responsables. Akma, toi et moi les avons soumis à une telle pression que…

— Moi aussi, j’ai fait mon choix tout seul ! s’exclama Khimin. Le messager n’est pas venu vous arrêter, vous seuls ! Il est venu nous arrêter tous ! » Mon comprit que Khimin ressentait de la fierté à avoir été visité par un messager du Gardien. C’était encore mieux qu’un vrai rêve. En examinant son propre cœur, Mon s’aperçut qu’il partageait ce sentiment.

« Le messager est peut-être venu pour nous arrêter tous, intervint Ominer, mais il ne s’est adressé qu’à Akma. Parce que la vérité, c’est que nous suivions tous Akma depuis le début.

— Oh, si c’est pas gentil, ça, de rejeter toute la faute sur Akma ! railla Khimin. Le seul coupable, c’est évidemment celui qui est couché là, à moitié mort !

— Je ne nous cherche pas d’excuses, répondit Ominer. En ce qui me concerne, nous devrions au contraire en avoir d’autant plus honte. Nous sommes les fils du roi ! Et nous nous sommes laissé convaincre de défier, d’humilier notre père et tout ce qu’il nous a enseigné !

— C’est ma faute », dit Aronha. Il réussissait à maîtriser sa voix, mais il n’osait pas regarder ses frères dans les yeux. « J’ai peut-être cru à moitié à certaines idées d’Akma, mais quand il s’est agi de fonder notre propre religion, de restaurer l’ordre ancien de l’État, là, j’ai su que nous faisions fausse route ; je savais que les gens avec qui nous travaillions n’étaient que d’infects opportunistes. Je savais que les fouisseurs que nous chassions de Darakemba valaient mieux que nos prétendus amis. Et c’est moi qui devais devenir le prochain roi ! Je ne le mérite pas ! Dorénavant, je vous interdis de m’appeler Ha-Aron. Je ne suis plus qu’Aron. »

Mon ne put plus contenir son agacement. « Mais tu ne te rends donc pas compte de ce que tu fais, en ce moment même ? Nous avons suivi Akma parce qu’il nous flattait, qu’il alimentait notre orgueil ! Et nous adorions ça ! Nous adorions nous sentir importants et puissants ! Nous adorions obliger Père à s’humilier devant nous, changer le monde, nous prendre pour plus intelligents que tout le monde, voir les gens nous admirer et nous traiter comme de grands personnages ! C’est l’orgueil qui nous menait en avant ! Et maintenant, à quoi jouons-nous ? Khimin mouille sa culotte de plaisir à l’idée de l’importance que nous devons avoir pour que le Gardien nous ait envoyé un messager de lumière nous arrêter – pas la peine de discuter, Khimin, j’ai ressenti la même chose que toi ! Et maintenant, Aronha veut prendre sur lui toute la responsabilité, parce qu’il aurait dû, lui, garder les yeux ouverts ! Vous ne comprenez donc pas ? C’est encore de l’orgueil ! Nous reprenons la voie qui nous a valu tant de faux pas jusqu’à maintenant !

— Je n’ai plus d’orgueil, dit Aronha, et sa voix tremblait à présent. Je ne me sens pas le courage d’affronter qui que ce soit.

— Mais il le faudra bien, rétorqua Mon ; nous devons montrer à tous quels individus lamentables nous sommes.

— Ce ne serait pas l’orgueil, ça aussi ? demanda Ominer, hargneux.

— Peut-être bien, Ominer ! Mais tu veux connaître la seule chose dont je sois réellement fier ? La seule chose qui me rende heureux d’être votre frère, de faire partie de notre groupe ?

— Eh bien ? fit Aronha.

— C’est qu’aucun d’entre nous n’a suggéré que nous continuions à combattre le Gardien ; c’est que l’idée ne nous a même pas effleurés de rester membres de l’Assemblée des coutumes ancestrales.

— Ça ne prouve pas notre valeur ni rien du tout, répondit Ominer. Ça veut peut-être simplement dire qu’on est morts de frousse.

— Pour pouvoir nous rebeller, il nous fallait être convaincus que le Gardien n’existait pas. Maintenant, nous savons ce qu’il en est réellement. Nous avons vu des événements inimaginables, des choses qui ne se produisaient qu’au temps des Héros. Mais justement, vous vous rappelez les récits de l’époque ? Elemak et Mebbekew ont assisté à des prodiges aussi grands que celui-ci ! Mais ils ont poursuivi leur rébellion, jusqu’à leur dernier jour. Eh bien, pas nous ! Notre révolte est terminée ! »

Aronha hocha la tête. « N’empêche, je le répète : je ne suis plus qu’Aron. »

Mon riposta sèchement : « Tu resteras Aronha tant que Père n’aura pas décidé autrement ! Tout le temps que tu l’as humilié, il aurait eu cent fois l’occasion de te dépouiller de ton titre, mais il ne l’a pas fait ! »