Выбрать главу

Sans réfléchir, il exprima la pensée qui venait de jaillir en lui : « Je crois n’avoir jamais vu de femme aussi belle.

— Alors là, tu dois regarder par-dessus mon épaule et c’est Edhadeya que tu vois, répondit Voojum.

— Edhadeya et moi avons des années devant nous pour la regarder devenir aussi belle que vous. Car c’est ce qui l’attend, n’est-ce pas, Voojum ?

— Certainement. Je lui conseille la même bosse, sur le dos ; c’est particulièrement coquet. » Voojum éclata d’un rire caquetant.

« Acceptez-vous de m’enseigner comment me débarrasser de mon passé ? demanda Akma.

— Non, répondit-elle. Pas de tout ton passé ; seulement des parties malsaines.

— Vous avez raison : seulement des parties malsaines.

— Il ne s’agit pas de te débarrasser des occasions où tu t’es montré courageux, ni de l’érudit brillant, ni du garçon qui a eu assez de bon sens pour tomber amoureux d’Edhadeya. » Voojum prit la main d’Akma et, maladroitement mais avec soin, plaça par-dessus les doigts d’Edhadeya. « Et maintenant, Edhya, ne joue plus celle qui ne sait pas ce qu’elle veut, d’accord ? Tu n’as pas cessé de l’aimer, même quand il se montrait d’une bêtise inconcevable ; aujourd’hui, il a retrouvé ses esprits et sa vraie personnalité, celle que tu avais vue et que tu as aimée dès le début. Alors, tu vas lui dire ceci : tu sais qu’ensemble vous pouvez surmonter tous vos problèmes. Allez, dis-lui ! »

Akma sentit les doigts d’Edhadeya se refermer sur les siens. « Je sais qu’ensemble nous pouvons surmonter tous nos problèmes, Akma, déclara-t-elle. Si tu le veux. »

Il lui étreignit la main. « J’étais seul, fit-il, incapable de mieux décrire son expérience de la solitude. J’en ai fini. » Ils auraient tout le temps par la suite de parler de la famille qu’ils allaient fonder ensemble, de la vie qu’ils allaient partager. Il savait qu’elle serait près de lui ; il savait qu’il serait près d’elle. Cela suffisait pour l’instant.

« Redonne-moi la main, dit Voojum. Et de l’autre, prends celle de ce misérable rat de bibliothèque. Il existe un rêve que la Gardienne nous a envoyé autrefois et j’en ai eu un écho ce matin ; nous allons donc suivre le scénario et nous montrer à la foule, devant l’école.

— La foule ?

— Notre mise en scène ne servirait pas à grand-chose sans public. Il faut que les fanatiques te voient en train de tenir la main à un ange et à un fouisseur. Et mon peuple a besoin de voir que la vieille femme que je suis, au moins elle, t’a pardonné et t’accepte comme un homme nouveau. Tu te rends compte, tant de choses à communiquer, et il suffit pour ça de passer ce seuil ! »

Shedemei leur ouvrit la porte. Une foule de curieux s’était attroupée dans les rues et bloquait le carrefour dans l’attente de voir Akma, le fils du grand-prêtre que le Gardien avait foudroyé et qui s’en était relevé. Lorsque la porte s’écarta et que Voojum apparut, suivie d’Akma puis de Bego, une rumeur s’éleva, issue de nombreuses gorges : tous trois se tenaient par la main ! Sous les yeux du public, Akma s’agenouilla de façon à se trouver à la hauteur de la vieille philosophe voûtée et du frêle savant. Il leur prit la main et la baisa. « Mon frère et ma sœur m’ont pardonné, déclara-t-il d’une voix forte. J’implore le pardon de tous les hommes et les femmes de bonne volonté. Tout ce que j’ai prêché n’était que mensonge. Le Gardien vit et les Protégés nous montreront à tous la voie du bonheur. S’il y a parmi vous quelqu’un qui approuvait mes paroles et mes œuvres des années passées, je l’en supplie, qu’il tire la leçon de mes erreurs et qu’il change son cœur. »

Avec soulagement, Shedemei observa qu’Akma n’employait aucun effet de rhétorique. Son discours était simple, direct, sincère. Elle ne se faisait pourtant pas d’illusions : les individus mesquins qui le tenaient naguère pour un héros le considéreraient désormais comme un traître, et voilà tout. Il y aurait peu de convertis parmi ces gens-là. Comme toujours, l’espoir reposait sur la génération suivante, pour laquelle l’histoire d’Akma serait toute nouvelle et riche d’impact.

Quant à l’Assemblée des coutumes ancestrales, elle s’était déjà effondrée. Aronha l’avait officiellement dissoute avant même la sortie d’Akma du coma, et bien qu’une nouvelle version en eût été mise sur pied par quelques anti-fouisseurs opiniâtres, elle ne bénéficiait d’aucun soutien populaire. Tous ceux qui avaient épousé la cause des Coutumes ancestrales parce qu’ils y voyaient l’avenir avaient déjà commencé à se rappeler qu’ils avaient toujours préféré les Protégés. Ceux qui avaient prêté la main au boycott des fouisseurs par peur ou pour faire comme tout le monde s’étaient mis à rechercher leurs anciens clients et employés parmi les gens de la terre, engageant ceux qui acceptaient de pardonner et de reprendre le travail, rachetant les invendus des marchands. Personne n’avait la bêtise d’y voir un retournement général des mentalités ; les Protégés sincèrement dévoués au service de la Gardienne n’étaient pas plus nombreux qu’avant l’apparition de Shedemei devant Akma et les Motiaki, sur la route. Mais du moment que les hypocrites modérés acceptaient de jouer le jeu, l’espoir existait qu’un bon pourcentage de leurs enfants feraient leur le plan de la Gardienne. Et entre-temps, leur soutien, même apporté à contrecœur, à l’idée que les trois peuples de la Terre étaient ses enfants suffirait à maintenir la paix et la liberté entre les frontières de Darakemba. C’est un début, songea Shedemei. Un point de départ d’où nous pouvons nous développer.

Devant l’école, le tumulte reprit soudain et Shedemei, suivie d’Edhadeya, sortit pour voir ce qui se passait. La foule s’était ouverte et les quatre fils de Motiak approchaient. Ils avaient fait de fréquentes visites à l’établissement au cours des derniers jours, et chacun s’était réconcilié avec Edhadeya – ils étaient visiblement soulagés de se retrouver dans les bonnes grâces de leur sœur, sans parler de celles de leur père. Ils gravirent les marches ensemble et embrassèrent d’abord Voojum, puis Bego, Akma et enfin Edhadeya. Comme démonstration de réconciliation, c’était parfait.

Alors tu en as fini avec eux ? Tu reviens ?

Je te manque ? demanda Shedemei.

J’ai terminé de programmer la sonde et je l’ai lancée il y a quelques minutes. Je t’aurais volontiers prévenue, mais tu avais l’air occupée.

Bravo. Tu as donc réalisé tout ce que ton autre itération t’avait envoyée faire ici.

Et je suis maintenant de trop, comme les vieux animaux qui ont passé l’âge de la reproduction. Je n’ai plus ma place dans la suite de l’Histoire.

Ça m’étonnerait. Nous trouverons toujours à faire, je pense. N’es-tu pas programmée pour être curieuse ?

Je dois t’avouer quelque chose, Shedemei, dont je n’ai pas parlé jusque-là parce que j’y voyais une anomalie en moi. Tes découvertes sur la Gardienne m’ont déçue. J’ai même cherché à prouver qu’elles étaient erronées, que les fluctuations du champ magnétique ne peuvent pas produire les effets dont la Gardienne semble capable ; qu’il ne peut y avoir d’élément de volition dans le flux chaotique du magma dans le manteau terrestre.

Que voilà une façon passionnante de perdre son temps ! Quelle importance, de savoir si la Gardienne manipule vraiment les champs magnétiques ou si c’est simplement la meilleure approximation que j’aie trouvée pour expliquer son influence ?