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Je sais. Quand j’ai enfin pris conscience de la futilité de mes efforts, j’ai entrepris de m’étudier moi-même pour dénicher ce qui en mon programme m’avait obligée à tourner en rond dans l’espoir d’infirmer ton point de vue sur la Gardienne.

Et qu’as-tu découvert ?

Rien. Ou plutôt, rien que je puisse imprimer sous forme d’un code logique expliquant cet effet. Je ne peux l’exprimer que dans un langage imprécis, métaphorique, anthropomorphique.

Mon préféré ! Vas-y.

J’ai dû espérer, toutes ces années, découvrir que finalement la Gardienne de la Terre était semblable à moi, inorganique, programmée ; et si ç’avait été le cas, j’aurais pu aspirer, par l’amélioration de mes capacités mécaniques, à la même étendue d’influence qu’elle. Au lieu de quoi, je reste totalement différente, outil fabriqué à l’imitation de la Gardienne, mais incapable de devenir ce qu’il imite.

Jusqu’à présent, en tout cas, fit Shedemei intérieurement.

Non, c’est définitif. Je ne suis pas intelligente. Mais je contrefais si parfaitement l’intelligence que je m’y suis laissée prendre moi-même un bref moment.

Ce n’est pas tout à fait exact. Tant que je porte le manteau du pilote stellaire, tu fais partie de moi, où que tu sois, et je fais partie de toi. Même si je suis mon penchant actuel, que je prends un époux ici-bas et que mon vieux corps veut bien procréer à nouveau, nous resterons unies encore longtemps. Mon existence a suffisamment de sens pour que je puisse le partager avec toi, même si tu n’as effectivement plus d’utilité.

C’est un geste très généreux de ta part, si j’en crois mes algorithmes d’évaluation morale.

Mon s’adressait à la foule d’un ton enjoué. Quelqu’un venait de poser une question. « Bien sûr que les trois espèces sont différentes ! disait-il. Ce n’est pas une erreur. Le Gardien a regardé les humains et il a songé : Qu’ils sont mal adaptés ! Ils ne voient pas dans le noir ! Ils ne peuvent vivre qu’à la surface de la terre ! Ils ne savent pas voler ! Il faut rajouter quelque chose pour rendre ce monde parfait. Et on nous a fait sortir de la pièce comme des enfants mal élevés pendant que le Gardien amenait deux autres espèces à un stade d’évolution tel qu’ils puissent prendre leur place aux côtés des humains comme frères et sœurs. Et le Gardien avait raison ! Nous autres, les humains, nous étions inachevés ! Tenez, j’ai passé toute mon enfance à regretter de ne pas être un ange. Et je pourrais passer le restant de mes jours à essayer de me rapprocher, sans jamais y parvenir, de la sagesse et de la bonté de cette vieille femme. Donc, oui, mes amis, les différences entre les trois peuples de la Terre existent bel et bien et elles sont importantes – mais c’est justement à cause d’elles que nous devons vivre ensemble et non que nous devons nous diviser ! »

La foule éclata en acclamations, longues et vigoureuses. Shedemei regarda Edhadeya et elles se mirent à rire. « Écoutez-le ! fit Edhadeya. Maintenant qu’il exprime ce en quoi il croit vraiment, Mon pourrait bien se révéler notre meilleur professeur ! »

Shedemei sentit qu’on lui tirait la manche. Elle se retourna et découvrit une fillette du ciel, une des plus petites, les yeux levés vers elle. Elle se pencha pour l’écouter.

« Shedemei, je sais que tu es de mauvaise humeur aujourd’hui, mais je veux te dire que mNo vient de vomir et je n’ai trouvé personne d’autre que toi. »

Avec un soupir, Shedemei quitta le grand spectacle public et retourna aux devoirs terre-à-terre de l’école. Depuis quelques jours, il y avait des cas de nausées dans l’établissement – les crises ne dépassaient pas une journée, en général – et Shedemei n’était pas pressée d’y passer à son tour, qui viendrait pourtant inévitablement. Mais en attendant, il fallait nettoyer le vomi, laver la petite fille malade et la mettre au lit jusqu’à ce que ses parents puissent venir la chercher. C’étaient là des tâches sans gloire et sans intérêt, et Shedemei y excellait.

Notes géographiques

La transformation de la région comprenant l’Amérique centrale et les Caraïbes fut la conséquence du déclenchement d’une singularité géologique sous la croûte terrestre : la formation dans le manteau d’un courant rapide qui entraînait la plaque des Cocos à une vitesse extraordinaire. Dans son sillage, plus d’une centaine de volcans constituèrent un archipel inhabitable qui s’étendait sur plusieurs milliers de kilomètres à l’est et à l’ouest des Galapagos ; des dizaines d’entre eux sont encore actifs. À l’avant, la plaque des Cocos heurta celle des Caraïbes bien trop vite pour pouvoir l’absorber par subduction. Il en résulta des soulèvements et des plissements spectaculaires ; dix millions d’années après le départ des humains, il existait plusieurs chaînes de montagnes dépassant les dix kilomètres d’altitude, avec des sommets à plus de onze kilomètres. L’érosion aidant et la plaque des Cocos ayant réduit sa vitesse de translation au triple seulement des autres plaques terrestres, les plus hauts pics ne s’élèvent plus aujourd’hui qu’à neuf mille cinq cents mètres au-dessus du niveau de la mer.

À part ce haut massif, la croûte terrestre à l’arrière des montagnes connut un autre soulèvement qui relia Cuba, la Jamaïque et Haïti à la masse continentale gauchie et déchirée de l’Amérique centrale. Au bout de plusieurs millions d’années, les alluvions des grands fleuves des montagnes finirent par créer une immense plaine fertile entre le Yucatán et la Jamaïque.

Au nord de la plaque des Cocos, la surrection générale (ainsi que le même courant du manteau) précipita un processus entamé depuis très longtemps : la déchirure de l’Amérique du Nord selon un tracé qui suivait approximativement le cours du Mississippi. La plaque orientale (appalachienne) se mit à pivoter dans le sens inverse des aiguilles d’une montre tout en dérivant vers le nord-est ; la plaque occidentale (texane) poursuivit sa translation vers le nord-ouest. (Le nord de l’Amérique du Sud (plaque d’Orinoco) fut entraîné dans le même mouvement selon un axe grossièrement dirigé vers le nord, tandis qu’un rift se créait en Equateur.)

Ce fut le déplacement soudain et rapide de la plaque des Cocos ainsi que les séismes et le volcanisme associés, et non les échanges nucléaires limités de cette époque, qui rendit la Terre inhabitable et força l’humanité à s’exiler de sa planète d’origine. Cependant, les émigrants emportèrent avec eux et entretinrent la légende d’une destruction du monde résultant des actions humaines.

Les montagnes

Le Gornaya (GOR-na-ya) est le vaste massif central soulevé par la surrection de la plaque des Cocos et possède des sommets couverts de neiges éternelles inaccessibles à toute créature respirant de l’oxygène. Étant donné que ces pics demeurent toujours invisibles à cause des nuages, ils sont inutiles comme repères géographiques et ne portent presque jamais de nom ; les points de repère sont constitués par les cours d’eau et les lacs, dont les profondes vallées servent à la fois de voies de communication et de sites d’habitation. La limite du Gornaya, avant le retour des humains, était marquée par l’altitude la plus basse où pouvait survivre la symbiose fouisseurs/anges.

Les mers

Les plissements de la croûte terrestre responsables de la formation des chaînes montagneuses du Gornaya étant alignés principalement selon un axe sud-est/nord-ouest, les fleuves suivent la même direction. Davantage que la direction où le soleil se lève, l’emplacement de l’Étoile polaire ou du nord magnétique, c’est cette géographie qui a déterminé le système d’orientation des fouisseurs et des anges (ils ne possédaient pas de boussoles, ils distinguaient rarement l’Étoile polaire même par ciel dégagé, et le soleil levant ou couchant n’était visible qu’aux confins du Gornaya). Du coup, le « nord » qu’on retrouve dans le nom de divers lieux indique en réalité le nord-ouest du Gornaya, « ouest » signifiant sud-ouest, « sud » sud-est et « est » nord-est.