Выбрать главу

« Est-ce qu’ils trouveront mon rêve ? demanda Edhadeya.

— Si le Gardien te l’a envoyé, répondit Aronha, c’est sans doute qu’il veut qu’on mette la main sur les Zenifi.

— Mais ce n’est pas pour ça qu’un seul des hommes de Monush sait comment entendre la Gardienne lorsqu’elle parle.

— Le Gardien choisit à qui il veut s’adresser. Ce n’est pas une question de savoir ou non l’entendre.

— Elle ne peut parler qu’à ceux qui savent écouter ; c’est pourquoi notre ancêtre Luet était célèbre comme sibylle de l’eau, et sa sœur Hushidh ainsi que sa nièce Chveya comme déchiffreuses. Elles avaient un grand pouvoir et…

— Ce n’est pas elles qui avaient du pouvoir, la coupa Aronha. C’est le Gardien. Il les avait choisies comme favorites – et je te ferai remarquer qu’aucune n’était aussi grande que Nafai lui-même, qui portait le manteau du pilote stellaire et commandait aux cieux avec son…

— D’après Bego, tout ça, ce sont des bêtises », intervint Mon.

Les deux autres restèrent cois.

« Il dit ça ? fit Aronha au bout d’un moment.

— Tu l’as déjà entendu l’affirmer, non ?

— Devant moi, non. Qu’est-ce qui est des bêtises, selon lui ? Le Gardien ?

— L’idée de nos ancêtres héroïques. Tout le monde prétend descendre de grands héros, d’après lui. Au bout d’un certain nombre de générations, ils deviennent des dieux. Il dit que c’est comme ça que naissent les dieux. Ceux à forme humaine, en tout cas.

— Très intéressant, fit Aronha. Il enseigne donc au fils du roi que ses ancêtres sont des inventions ? »

Alors seulement Mon se rendit compte des ennuis qu’il risquait de créer à son tuteur. « Non, se reprit-il. Ce n’est pas aussi tranché. Il en a juste… évoqué la possibilité. »

Aronha hocha la tête. « Tu ne veux pas que je le dénonce.

— Il n’a rien affirmé ouvertement.

— Eh bien, n’oublie pas ça, Mon : Bego a peut-être raison, et les récits sur nos grands ancêtres humains dotés de pouvoirs extraordinaires par le Gardien de la Terre, ces récits sont peut-être des exagérations, voire carrément des fantasmes ou je ne sais quoi ; mais nous, les gens du milieu, nous ne sommes pas les seuls à vouloir réviser l’Histoire pour la faire cadrer avec nos besoins actuels. Ne crois-tu pas qu’un homme du ciel à la fibre patriotique pourrait souhaiter jeter le doute sur la prétendue grandeur des ancêtres du peuple du milieu ? En particulier sur ceux du roi ?

— Bego n’est pas un menteur ! C’est un érudit !

— Je n’ai pas dit qu’il mentait. Selon lui, nous croyons ces fables parce qu’elles nous sont utiles et qu’elles nous gratifient. Mais lui, peut-être les met-il en doute parce que le doute lui est utile et le gratifie, lui. »

Mon fronça les sourcils. « Dans ces conditions, comment peut-on connaître la vérité ?

— On ne peut pas. Je l’ai compris il y a déjà longtemps.

— Alors, tu ne crois en rien ?

— Je crois en tout ce qui me paraît se rapprocher de la vérité sur l’instant. Je refuse seulement d’être surpris le jour où une de ces vérités s’avère finalement fausse. Ça m’aide à rester équanime. »

Edhadeya se mit à rire. « Et où as-tu péché cette idée ? »

Aronha se tourna vers elle, un peu vexé. « Tu ne me crois pas capable d’y avoir pensé tout seul ?

— Non.

— Bon : c’est Monush qui me l’a appris, un jour que je lui demandais si le Gardien de la Terre existait vraiment. Après tout, d’après les vieilles histoires, il y avait jadis un dieu du nom de Surâme, et finalement ce n’était qu’une machine enfermée dans un bateau d’autrefois.

— Un bateau qui volait, intervint Mon. Bego dit que seuls les gens du ciel volent et que nos ancêtres ont inventé cette légende parce qu’ils enviaient le peuple du ciel.

— Certains, parmi les gens du ciel, peuvent voler, rectifia Edhadeya. Je parie que Bego est si vieux, si gros et si rouillé qu’il ne décolle même plus !

— Mais il y arrivait quand il était jeune ; et il s’en souvient.

— Eh bien, toi, tu peux l’imaginer », dit Aronha.

Mon secoua la tête d’un air abattu. « Se souvenir, c’est réel. Imaginer, ce n’est rien. »

Edhadeya éclata de rire. « C’est idiot, Mon ! La plupart des gens prétendent se souvenir de choses qu’ils ne font qu’imaginer !

— Ah ! Et où as-tu péché ça, toi ? » demanda Aronha avec un sourire affecté.

Edhadeya leva les yeux au ciel. « Auprès d’Uss-Uss, et tu peux rire si ça t’amuse, mais c’est…

— Une domestique suffisante et compassée ! fit Aronha.

— C’est la seule amie que j’ai eue après la mort de Mère, reprit Edhadeya d’un ton ferme, et elle est très avisée.

— C’est une fouisseuse, dit Mon à mi-voix.

— Mais pas une Elemaki, répondit Edhadeya. Sa famille sert les rois des Nafari depuis cinq générations.

— Comme esclaves », ajouta Mon.

Aronha se mit à rire. « Mon écoute les préceptes d’un vieil ange, Edhadeya ceux d’une vieille esclave fouisseuse, et moi ceux d’un militaire réputé pour son courage et sa clairvoyance au combat, mais pas pour son érudition ! On peut dire qu’on a bien choisi nos professeurs, non ? Je me demande si cela augure quoi que ce soit de nos existences futures ! »

Ils méditèrent ces paroles tout en observant le petit essaim en vol des espions, seul point encore visible du détachement de Monush, qui continuait à remonter la vallée du Tsidorek.

3

Résistance

« Nafai m’a raconté quelque chose, un jour », dit Shedemei à Surâme. Celle-ci, douée d’une infinie patience, attendit qu’elle poursuive.

« Avant que tu le… que tu le choisisses.

— Je me rappelle cette époque, fit Surâme, peut-être pas si infiniment patiente, finalement.

— Au moment où tu essayais de les empêcher, Issib et lui, d’en découvrir trop long sur toi.

— C’était Issib, le vrai point noir, tu sais. C’est lui qui avait eu l’idée de me résister.

— En attendant, il n’y a réussi qu’après s’être adjoint Nafai.

— Et ça m’a gênée pendant quelque temps.

— Oui, j’imagine, face à ces deux garçons qui se battaient comme de beaux diables. Tu as dû mobiliser toutes tes ressources pour contrer leurs efforts.

— Non, pas toutes ; loin de là, même.

— N’empêche que tu as fini par baisser les bras.

— Disons que je leur ai ouvert mes secrets.

— Oui, enfin, tu as cessé de les combattre et tu les as enrôlés dans ton camp. Mais tu n’avais pas le choix, n’est-ce pas ?

— Je connaissais leur valeur depuis toujours. J’ai simplement décidé à ce moment-là que c’était d’eux que je me servirais pour assembler un vaisseau opérationnel.

— Les aurais-tu choisis s’ils n’avaient pas tant joué les mouches du coche ?

— J’avais déjà choisi leur père pour… précipiter les événements.

— Mais c’est Luet que tu guignais, n’est-ce pas ?

— Nafai se montrait très insistant et très ambitieux. Il ne supportait pas de ne pas être au cœur de l’action. J’ai estimé que cela pouvait s’avérer utile. Et je n’ai pas eu à choisir entre Luet et lui, puisqu’ils ont fini par se marier.

— Oui, tous les éléments se sont ajustés selon tes plans, je n’en doute pas !

— Je suis programmée pour être infiniment adaptable tant que je ne dévie pas des plus hautes priorités. Mes plans ont changé, mais mon objectif n’a jamais varié.