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— Vois donc, dit Chebeya. Vois-toi tel que tu seras, une fois que ton père en aura fini avec toi. »

Elle observa les derniers filaments rattachant Didul à Udad qui se chargeaient de honte et de colère, transformés en un lien négatif. « Mais es-tu déjà comme lui, Didul ? Ou bien reste-t-il une part d’humanité en toi ? »

Udad, humilié, recula. « Je vais dire à Pabul que tu laisses la femme d’Akmaro te retourner contre nous tous !

— Cela te fait-il peur, Didul ? demanda Chebeya. Il va te dénoncer. Cela te fait-il peur ?

— Je m’en vais, répliqua Didul. Je ne veux plus écouter tes mensonges.

— C’est ça, va-t’en, que les gardes puissent me tuer. Mais je te le promets : si je meurs ici aujourd’hui, ton cœur entendra toujours ma voix ! »

Le regard étincelant d’une colère implacable, Didul s’adressa aux fouisseurs : « Je veux la voir vivante demain, sans davantage de traces de coups de fouet qu’elle n’en a déjà !

— Ce ne sont pas les ordres de votre père », rétorqua l’un d’eux.

Didul eut un sourire carnassier. « Ses ordres sont d’obéir à ses fils. S’il arrive malheur à cette femme, je vous fais écorcher vifs. Oserez-vous vérifier si je dis vrai ? »

Ah, ce feu dans ses yeux ! Il avait un talent de commandement, Chebeya le voyait. Elle avait attisé sa fierté qui brûlait maintenant comme un brasier dans son cœur.

Les fouisseurs baissèrent le nez.

D’un geste méprisant, Didul rendit son fouet à celui qui le lui avait prêté. Puis il s’adressa encore une fois à Chebeya. « Reprends le travail, femme. »

Elle soutint son regard. « J’obéis au fouet. Mais n’aimerais-tu pas un jour voir quelqu’un t’obéir par véritable respect ? » Malgré son dos meurtri et le sang dans ses yeux, elle se baissa, ramassa la houe et se mit à vaguement grattouiller la terre. Les pas de l’adolescent s’éloignèrent.

« Je vais la tuer, dit un des fouisseurs. Qu’est-ce qu’il y pourrait ? Son père n’apprécierait pas d’apprendre qu’il l’a écoutée.

— Crétin ! répondit l’autre. S’il veut que son père nous fasse exécuter, tu t’imagines qu’il va lui raconter la vérité ?

— Eh bien, il n’y a qu’à le dire nous-mêmes à Pabulog.

— Ah, génial ! Tu veux aller raconter à Pabulog que son fils s’est fait réduire au silence par cette femme ? Combien de temps crois-tu qu’on nous laisserait vivre, si nous répandions cette histoire ? »

Chebeya les écoutait, amusée. Ses paroles avaient fait leur effet sur ces fouisseurs aussi. Pourtant, son plan n’allait pas bien loin ; il s’agissait seulement de semer un peu de zizanie parmi les fils et les soldats de Pabulog. Et elle risquait encore de se faire tuer. En tout cas, ce qu’elle avait accompli aujourd’hui, elle allait le payer en souffrance durant bien des jours à venir.

« Ce que tu as fait était stupide, souffla quelqu’un. Tu aurais pu nous faire tous abattre !

— Et alors ? répliqua quelqu’un d’autre. Akmaro ne nous a-t-il pas demandé à tous de réfléchir à un moyen de nous délivrer par nous-mêmes ? Au moins, elle, elle a imaginé quelque chose ! »

Didul et Udad revenaient près de Luet et d’Akma. La petite s’écarta, mais Akma les attendait de pied ferme. Qu’avait-il entendu des discours de sa mère ? Peut-être tout ; peut-être presque rien. Mais il ne bougea pas.

Udad le bouscula ; l’enfant recula en chancelant, mais ne tomba pas. La scène n’avait jusque-là rien d’original. Non, la surprise, ce fut qu’alors Didul se jeta sur son frère et l’envoya s’étaler dans la poussière. Udad se releva d’un bond, prêt à se battre. « Qu’est-ce qui te prend ? Tu veux ta raclée ? »

Didul le regarda dans les yeux. « C’est tout ce que tu sais faire, alors ? Rosser les plus petits que toi ? Si tu me touches, tu prouveras que tout ce qu’elle a dit sur nous était vrai ! »

Udad resta planté là, démonté, perdu. Sous les yeux de Chebeya, les liens d’attachement se modifiaient : Udad, toute assurance disparue, n’aspirait plus qu’à la bonne opinion de Didul, désespéré, honteux de s’en voir privé, tout comme Didul, de son côté, recherchait celle de Chebeya. C’était le début de la loyauté. Ne serait-ce pas la vengeance parfaite, de retourner les propres fils de Pabulog contre leur père ?

Non, pas la vengeance. La délivrance. C’est vers ce but que nous tendons tous : nous sauver nous-mêmes, puisque la Gardienne ne paraît pas disposée à intervenir.

« Ce n’est pas clair, dit Surâme. Ton plan marche-t-il ou non ? »

Shedemei eut un petit rire forcé. « Ma foi, au moins, la Gardienne nous a remarquées. Vois ce rêve qu’elle a envoyé à Akma, et la soudaine impulsion de Chebeya de défier les fils de Pabulog. Enfin, si tout ça venait bien de la Gardienne.

— Pourtant, elle ne nous parle toujours pas. Nous ne sommes que deux moucherons qui lui bourdonnent aux oreilles ; elle nous chasse sans même y penser.

— Eh bien, continuons à bourdonner.

— Les plans de la Gardienne se poursuivront sans dévier, quoi que nous fassions.

— J’espère bien. Mais, à mon avis, elle s’intéresse beaucoup à ce que font les gens ; en bas, sur Terre, bien sûr, mais ici aussi, dans notre vaisseau. Elle s’intéresse à tout ce qui se passe.

— La Gardienne ne se préoccupe peut-être que des habitants de la Terre, et plus du tout de ceux d’Harmonie. Mieux vaudrait peut-être que j’y retourne sans attendre pour annoncer à mon autresoi que notre mission est achevée et que les humains de la planète peuvent désormais faire ce qu’ils veulent.

— À moins que la Gardienne n’ait encore besoin de toi ici. » Une idée traversa soudain l’esprit de la généticienne. « Ou alors, elle a encore besoin des pouvoirs du vaisseau, du manteau du pilote stellaire.

— C’est peut-être toi qui lui es nécessaire. »

Shedemei se mit à rire. « Quoi, j’aurais en stock des semences et des embryons qu’elle voudrait me faire introduire quelque part sur Terre ? Un simple rêve et je m’en occupe !

— Donc, nous continuons à patienter.

— Non, nous continuons à la harceler, à l’exemple de Chebeya. Nous allons tirer la vieille ourse de son repaire et la chatouiller un peu.

— Les implications de ta métaphore m’échappent. Une ourse qu’on chatouille de trop près peut devenir dangereuse et destructrice.

— Oui, mais elle t’accorde une attention sans faille ! » Shedemei se remit à rire.

« J’ai l’impression que tu n’as pas encore tout le respect voulu pour la puissance de la Gardienne, fit Surâme.

— Quelle puissance ? Tout ce que j’ai vu de la Gardienne jusqu’à maintenant, ce sont des rêves.

— Si tu n’as rien vu d’autre, c’est que tu n’as pas regardé.

— Ah bon ?

— Prends le Gornaya, par exemple, ce massif qui s’élève jusqu’à des altitudes impossibles. D’après les données géologiques datant d’avant le départ des humains, il y a quarante millions d’années, aucune formation, aucun mouvement tectonique ne peut en être à l’origine. Les plaques de la région ne se déplaçaient pas dans les directions voulues pour créer des plis et des soulèvements aussi extraordinaires. Puis, brusquement, celle des Cocos s’est mise à coulisser vers le nord avec une vitesse et une force bien supérieures à celles de tout mouvement tectonique jamais enregistré. Elle s’est heurtée à la plaque des Caraïbes avec une énergie cinétique beaucoup trop élevée pour être absorbée par subduction. »

Shedemei poussa un soupir. « Je suis biologiste. La géologie est pour moi un domaine pratiquement incompréhensible.