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— Alors, vous avez laissé Binaro sortir de prison ?

— Sortir de prison ? » Ilihiak éclata d’un rire amer. « Il a été exécuté, Monush ! Brûlé vif, membre par membre. Pabulog y a veillé en personne.

— Je crois, dit Monush, que ce Pabulog serait bien inspiré de ne pas mettre les pieds en Darakemba.

Motiak appliquerait ses lois même sur des actes commis pendant que Pabulog servait ton père.

— Pabulog n’est plus parmi nous. T’imagines-tu qu’il serait encore vivant dans le cas contraire ? Il s’est enfui lorsque mon père s’est fait assassiner, en emmenant ses fils. Comme pour Akmaro, nous ignorons où il se trouve.

— Je serai franc avec toi, Ilihiak : en tant que nation, vous avez perpétré des actes terribles.

— Et nous en avons été bien punis ! s’exclama le roi dans une soudaine flambée de colère.

— Motiak ne se préoccupe pas de punir, sauf dans le cas d’un homme qui torture un élu du Gardien. Mais il ne peut pas permettre à des gens qui ont fait ce que vous avez fait d’entrer en Darakemba. »

Ilihiak conserva une pose royale, mais Monush vit ses épaules s’affaisser imperceptiblement. « Alors j’enseignerai à mon peuple à supporter bravement son fardeau.

— Tu m’as mal compris, précisa Monush. Vous pouvez venir en Darakemba. Mais vous devrez être des individus nouveaux à votre entrée.

— Des individus nouveaux ?

— Quand vous traverserez le Tsidorek, vous ne passerez pas par le pont ; toi et tous les tiens, à l’exception des petits enfants, devrez passer dans l’eau pour y mourir symboliquement et disparaître dans le courant. Lorsque vous en ressortirez, vous n’aurez plus de nom et personne ne vous connaîtra. Une fois sur la berge, vous jurerez solennellement fidélité au Gardien ; dès lors, vous n’aurez plus de passé, mais un avenir en tant que vrais citoyens de Darakemba.

— Nous pouvons prêter ce serment sans attendre : nous avons un fleuve chez nous, et à la chute d’Oromono, là où la pluie tombe éternellement de la falaise, les eaux sont aussi sacrées que celles du Tsidorek.

— Ce n’est pas l’eau qui importe – ou plutôt, ce n’est pas l’eau toute seule. Tu peux apprendre à ton peuple ce que représente l’engagement afin qu’ils comprennent la loi à laquelle ils se soumettront en Darakemba. Mais le passage dans l’eau doit se faire près de la capitale ; je n’ai pas l’autorité pour faire de vous des hommes et des femmes nouveaux. »

Ilihiak hocha la tête. « Akmaro l’avait, lui.

— Pour la renaissance par l’eau ? Mais ça ne se pratique qu’en Darakemba !

— D’après la rumeur, lorsqu’il se cachait à Oromono, il faisait franchir l’eau aux gens et il les purifiait. » Ilihiak eut un rire amer. « Selon la version de Pabulog, il noyait des bébés ! Qui pouvait croire une chose pareille ? »

Monush ne prit pas la peine de lui expliquer que seul le roi des Nafari avait le droit de faire des hommes et des femmes nouveaux. Qui que fût cet Akmaro et où qu’il fût, son usurpation du pouvoir de Motiak n’avait rien à voir avec les présentes négociations. « Ilihiak, je crois que vous n’avez rien à craindre de Motiak. Et que ton peuple décide de prendre cet engagement ou non, d’une façon ou d’une autre vous trouverez la paix entre les frontières de Darakemba. »

Le roi secoua la tête. « Ils jureront, ou je ne les gouverne plus. Nous avons tenté de vivre exclusivement entre humains et maintenant cela suffit : non seulement ce n’est pas réalisable, mais en plus le jeu n’en vaut pas la chandelle.

— La question est donc réglée, dit Monush en se dirigeant vers la porte.

— Où vas-tu donc ?

— Ce secret dont tu parlais, ce n’était pas celui du sort que ton père et Pabulog ont fait à Binadi ?

— Non. Cela, j’aurais pu te le raconter devant mes conseillers. Ils connaissent mes sentiments là-dessus. Non, je t’ai amené ici pour autre chose. Mais si les Elemaki étaient au courant, si la moindre bribe de rumeur parvenait à leurs oreilles…»

N’ai-je pas déjà promis de taire tous les secrets sauf à Motiak ? songea Monush. « Eh bien, montre-moi », dit-il.

Ilihiak s’approcha de son lit, un épais matelas posé au milieu de la chambre. Il le tira de côté, balaya roseaux et joncs, et, du bout des doigts, chercha un emplacement précis sur l’une des pierres du sol ; soudain, une dalle proche s’enfonça. Elle était munie de charnières et, à sa place, un trou noir béait.

« Veux-tu que j’apporte une torche ? demanda Monush.

— Inutile. Je vais sortir l’objet. »

Le roi se laissa tomber dans la cavité. Dans la pénombre, on aurait pu la croire sans fond, mais de fait, lorsqu’il se redressa, Ilihiak en émergeait de la tête et des épaules. Il se baissa, souleva quelque chose de pesant et le posa sur le dallage. Puis il sortit à son tour.

Un tissu sale enveloppait l’objet ; le roi le défit, révélant un panier qu’il ouvrit et dont il tira une boîte en bois. Il l’ouvrit également et apparut alors l’éclat de l’or pur.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda Monush.

— Regarde l’écriture, dit Ilihiak. Arrives-tu à la lire ? »

Monush examina les caractères gravés sur les feuilles d’or. « Non ; mais je ne suis pas savant.

— Moi non plus, mais je puis au moins te dire ceci : ce n’est écrit en aucune langue que je connaisse. Ces lettres ne présentent presque aucune ressemblance avec un alphabet quelconque et leur répartition ne correspond pas à notre langue. Où sont les suffixes et les préfixes ? Par contre, vois tous ces petits mots : à quoi servent-ils ? Crois-moi, ceci n’a été écrit ni par un Nafari ni par un Elemaki.

— Par les anges ?

— Connaissaient-ils l’écriture avant l’arrivée des humains ? »

Monush haussa les épaules. « Qui sait ? Mais ça ne ressemble pas à leur langage non plus. Les mots sont trop courts, comme tu l’as fait remarquer. Où as-tu trouvé ce livre ?

— Dès mon accession au trône, j’ai envoyé un groupe d’hommes retrouver le chemin de Darakemba. À dessein, mon grand-père avait détruit dans les archives toute mention du trajet qu’il avait suivi pour mener notre peuple de Darakemba jusqu’ici et il interdisait à quiconque d’en parler. Selon lui, ce renseignement était inutile parce que jamais nous ne ferions demi-tour. » Ilihiak eut un sourire triste. « Nous avions remonté le Tsidorek, nous le savions – jusque-là, ce n’était pas compliqué –, mais, après, mes hommes pouvaient difficilement demander leur chemin aux Elemaki de la région : nous avions déjà assez de problèmes avec eux sans qu’ils nous surprennent en plus à lancer des groupes d’exploration ! Enfin, mes hommes sont tombés sur un fleuve apparemment prometteur et l’ont suivi. C’était un fleuve très étrange, Monush ; ils l’ont descendu sur une longue distance jusqu’en un lieu où les eaux s’agitaient violemment ; au-delà, elles coulaient en ligne droite, mais en sens inverse !

— J’ai entendu parler de ce site, dit Monush. C’est l’Issibek qu’ils ont trouvé, à un fleuve d’ici. En réalité, ce sont deux rivières qui courent l’une vers l’autre ; au point de rencontre, un tunnel s’ouvre dans le roc, long de plusieurs lieues, au bout duquel l’eau jaillit et forme un nouveau fleuve qui descend jusqu’à la mer.