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— C’est donc l’explication ; pour mes hommes, il s’agissait d’un miracle et ils l’ont pris pour le signe qu’ils étaient sur la bonne route.

— C’est là qu’ils ont découvert ce livre ?

— Non. Ils ont remonté la rivière plein nord, puis ont suivi un enchevêtrement de vallées de plus en plus basses qui les ont menés probablement hors du Gornaya. Le terrain devant eux était aride, brûlé de soleil et, à leur grande horreur, couvert d’ossements humains, comme si une terrible bataille s’y était déroulée. Les hommes qui avaient péri là ne se comptaient pas par milliers, Monush – ils étaient innombrables ! Et c’étaient tous des humains, ne t’y trompe pas : pas un fouisseur, pas un ange parmi eux.

— Je ne sais rien d’un tel charnier, mais le désert existe bel et bien. Nous le nommons Opustoshen, le pays de la désolation.

— Le nom me paraît bien choisi. Mes hommes étaient convaincus d’avoir découvert là le destin des habitants de Darakemba, ce qui expliquait pourquoi ils n’avaient pas rencontré la capitale le long du fleuve.

— Ils ont cru que ces morts, c’étaient nous ?

— Oui. Qui peut dire, dans le désert, depuis combien de temps une créature est morte ? C’est du moins ce qu’ils m’ont rapporté. Mais, au milieu des ossements, ils ont trouvé ces feuillets.

— Quoi, par terre, sans qu’aucun pillard ne s’en soit emparé ?

— Non, cachés dans la fissure d’un rocher, trop étroite pour qu’on songe à y dissimuler quoi que ce soit. Un des hommes avait fait un rêve la nuit précédente, où il découvrait quelque chose de merveilleux dans une crevasse exactement pareille, disait-il, à celle qu’il a repérée près du champ de bataille. Il y a enfoncé la main…

— L’imbécile ! Ne sait-il donc pas que le désert abrite des serpents dangereux ? Ils se cachent justement dans des fissures ombreuses comme celle-ci pendant le jour.

— Il y avait en effet une dizaine de serpents dans le trou, de l’espèce qui fait de la musique avec la queue…

— Une espèce mortelle !

— Mais ils se sont montrés aussi inoffensifs que des vers de terre. C’est ainsi que mes hommes ont su qu’ils obéissaient à la volonté du Gardien en récupérant ces feuillets. Et voilà comment ils sont tombés entre mes mains. Les Elemaki les fondraient sur l’heure pour en faire des bijoux. Mais j’espérais que Motiak…»

Monush hocha la tête. « Motiak détient l’Index. » Il planta ses yeux dans ceux d’Ilihiak. « C’est aussi un secret. Certes, les gens se doutent qu’il l’a, mais mieux vaut qu’ils n’aient pas de certitude, qu’ils ne se mettent pas en quatre pour le voir ou, pire, pour le dérober. L’Index connaît toutes les langues. Si quelqu’un peut traduire ces textes, c’est Motiak.

— Alors, je les lui remettrai, dit Ilihiak en remballant les feuilles d’or. Je n’osais pas te demander si l’Index était encore propriété des rois des Nafari.

— Si. Et bien qu’il soit resté muet depuis de nombreuses générations, il s’est réveillé du temps du grand-père de Motiak, Motiab, pour lui ordonner d’aller s’installer en Darakemba.

— Oui. Et mon propre grand-père a rejeté cette décision.

— Il n’est jamais bon de discuter avec l’Index.

— Les messagers du Gardien sont sacrés, dit Ilihiak en frissonnant.

— Le sang de Binaro n’est pas sur ta tête.

— Il est sur la tête de mon peuple, et par conséquent sur la mienne. Tu n’étais pas là, Monush. Les gens applaudissaient, se réjouissaient cependant que Binaro hurlait de souffrance. Ceux qui ont vomi cet acte, ils sont partis avec Akmaro, je ne sais où.

— Alors il est temps, ne crois-tu pas ? d’apprendre aux tiens ce que recouvrira leur serment et de les laisser décider s’ils veulent ou non venir en Darakemba. »

Ilihiak ramena son lit par-dessus la cachette de son trésor. « L’ennui, c’est que je ne vois pas comment nous libérer d’ici sans une guerre sanglante. »

Monush lui donna la main pour remettre le lit dans son état initial. « Quand ils seront tombés d’accord pour prêter serment, Ilihiak, le Gardien nous indiquera comment nous échapper. »

Ilihiak sourit. « Tant que ce n’est pas à moi de trouver un moyen, je suis satisfait. »

Monush le dévisagea. Était-il sincère ?

« Je n’ai jamais voulu être roi, dit Ilihiak. J’abandonnerais volontiers le trône et tous mes privilèges si je me débarrassais en même temps des soucis de ma charge.

— Un homme qui veut quitter le trône ? Je n’ai jamais ouï pareille chose !

— Si tu savais la douleur que m’a value de régner ici, tu me traiterais de fou de rester encore au pouvoir.

— Ilihiak, Sire, jamais je ne te traiterais de fou, ni ne permettrais à quiconque de le faire en ma présence. »

Ilihiak sourit de nouveau. « Alors, puis-je espérer, Monush, lorsque je ne serai plus roi, avoir encore l’honneur d’être ton ami ? »

Monush lui prit les mains et se les posa sur les deux joues. « Ma vie est à jamais entre tes mains, mon ami », dit-il.

Ilihiak prit à son tour les mains de Monush et répéta la même scène. « Mon existence était inutile avant que le Gardien t’amène jusqu’à moi. Tu as réveillé tous mes espoirs. Je sais, tu n’es venu que pour obéir à ton roi. Mais un homme peut voir la valeur d’un autre homme, sans considération de rang ou de mission. Ma vie est à jamais entre tes mains. »

Ils s’étreignirent et rapprochèrent leurs lèvres en un baiser d’amitié. Puis, souriant au travers des larmes qu’il versait sans honte, Ilihiak débarra la porte et retourna vers le petit monde où il n’était l’ami de personne parce qu’il devait être le roi de tous.

Lorsque Mon rata sa cible pour la troisième fois, Husu vola jusqu’à lui et l’arrêta. Les autres – pour la plupart de jeunes anges encore aux tout premiers stades d’entraînement dans la flotte d’espions d’Husu – poursuivirent leurs exercices, s’emplissant la bouche de fléchettes, la pointe à l’extérieur, puis les soufflant rapidement à travers une sarbacane tenue d’une main, en s’efforçant de les tirer dans le voisinage des cibles. Un jour, ils apprendraient à viser juste en vol, tout en battant des ailes, la sarbacane dans un pied, une charge dans l’autre. Pour l’instant, cependant, ils s’exerçaient en se tenant sur une jambe. D’habitude, Mon s’en voulait à mort quand il manquait son tir ; après tout, il pouvait tenir la sarbacane à deux mains et viser, bien campé sur ses deux pieds, lui. Mais aujourd’hui, c’est à peine s’il remarquait ses erreurs.

« Mon, mon jeune ami, tu es fatigué, je crois », dit Husu.

Mon haussa les épaules.

« Tu n’as pas bien dormi ? »

Mon secoua la tête. Il détestait avoir à s’expliquer. D’ordinaire, il tirait mieux que ça et il en était fier.

« Tu es meilleur tireur que ça, reprit Husu. Si tu avais des ailes, je t’aurais déjà fait monter en grade. »

Husu n’aurait su trouver paroles plus cinglantes, mais il l’ignorait, naturellement. « Je savais que mon tir était mauvais quand j’ai soufflé, dit Mon.

— Et pourtant, tu as tiré. »

Mon haussa de nouveau les épaules.

« Ce sont les enfants qui haussent les épaules, fit Husu. Les soldats analysent.

— J’ai tiré ma fléchette parce que je m’en fichais.

— Ah ! Si la cible avait été un soldat elemaki occupé à trancher la gorge à de petits anges perchés sur leurs juchoirs, t’en serais-tu fichu, aussi ?

— Je n’arrête pas de me réveiller la nuit. Il y a quelque chose qui ne va pas.