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— Quelle précision ! se moqua Husu. Quand tu tires tes fléchettes, tu vises quelque chose ? De toute façon, tu es sûr de faire mouche à tout coup. Parce que tu toucheras toujours “quelque chose” !

— C’est à propos de l’expédition de Monush. »

Aussitôt, Husu prit l’air inquiet. « Il leur est arrivé malheur ?

— Je n’en sais rien. Je ne crois pas qu’il s’agisse de ça. Je n’ai pas ce genre d’impression quand il arrive des malheurs, ou alors je ne fermerais plus l’œil, parce qu’il s’en produit tout le temps. Non, je ne ressens ça qu’en cas de mauvais choix, d’erreur. Monush a fait une erreur. »

Husu rit sous cape. « Et cette impression-là, tu ne l’as pas tout le temps ?

— Une erreur à propos de quelque chose qui a de l’importance pour moi.

— On pourrait penser que toutes les erreurs qui nuisent au royaume de ton père t’empêcheraient de dormir et, crois-moi, il n’en manque pas. »

Mon se tourna vers Husu et soutint son regard. « Je savais que mon explication ne vous satisferait pas, monsieur, mais vous n’avez pas voulu vous contenter de mon haussement d’épaules. »

Husu cessa de glousser. « En effet ; je veux la vérité.

— Si j’étais l’héritier du roi, le royaume tout entier me tiendrait à cœur. Mais dans la circonstance, ce qui m’importe, c’est une toute petite chose. Si l’expédition de Monush me préoccupe, c’est parce que…

— C’est toi qui l’as lancée.

— C’est Père qui l’a lancée.

— Mais ces hommes sont partis sur la foi de ta parole.

— Ils ont fait une erreur. »

Husu hocha la tête. « Mais tu n’y peux rien, n’est-ce pas ? On ne peut pas les rattraper. Aucun ange ne peut pénétrer en territoire elemaki – on nous chasse, là-bas, on nous abat en plein ciel, et à ces altitudes où l’air est ténu, impossible de voler sur de longues distances, ni très haut, d’ailleurs. Donc… la seule façon de tirer parti de ton impression, c’est d’en faire part à ton officier supérieur.

— Vous devez avoir raison.

— Et tu m’en as fait part. Donc, retour aux exercices. Je te permettrai de faire une sieste lorsque tu auras mis trois fois de suite dans le mille. »

Ce que Mon exécuta lors de ses trois tirs suivants.

« On dirait que ça va mieux, dit Husu. Maintenant, va piquer un roupillon.

— Vous parlerez à mon père ?

— Je dirai à ton père que Monush a fait une erreur. Ensuite, il faudra attendre de voir en quoi elle consiste. »

Monush tenait réunion avec Ilihiak et plusieurs de ses conseillers militaires. L’épouse d’Ilihiak, Wissedwa, était assise derrière son mari. C’était très curieux, mais Monush se garda de toute observation sur la présence d’une femme à un conseil de la guerre. Les Zenifi avaient leurs coutumes à eux, leurs raisons propres d’agir comme ils le faisaient. Monush savait assez – pour l’avoir appris auprès de Motiak – que, loin de s’offenser des étranges habitudes des autres nations, il fallait chercher à s’en inspirer. Néanmoins, se trompait-il en ayant l’impression que certains hommes évitaient soigneusement le regard de Wissedwa ?

Le conseil conclut en un rien de temps à la vanité d’espérer gagner la liberté par une rébellion ouverte. « Avant que tu viennes, Monush, dit Ilihiak avec tristesse, nous nous sommes battus trop souvent et avons perdu trop d’hommes. Si nous remportons une victoire sur le champ de bataille, le roi vassal défait se représente tout simplement avec de nouvelles armées fournies par ses pairs.

— Par ailleurs, renchérit un ancien, les fouisseurs se multiplient comme les asticots qu’ils sont. »

Monush tiqua un peu. Les gens du pays avaient accepté de prêter serment, mais ce n’est pas pour cela que leur opinion sur les non-humains allait changer. D’ailleurs, c’était sans grande importance en ce qui concernait les fouisseurs : la plupart de ceux de Darakemba étaient esclaves – prisonniers de guerre ou leurs descendants de la troisième génération. Les Zenifi pourraient haïr les fouisseurs sans beaucoup déranger leurs concitoyens de Darakemba. Mais leur mépris pour les gens du ciel, voilà qui serait source d’ennuis.

Dès le début de la réunion, Monush comprit que, de tous les conseillers d’Ilihiak, c’était Khideo qui avait l’oreille du roi, et à juste titre, car il parlait avec un discernement posé et sans passion. Étonnant qu’Ilihiak ne l’ait pas nommé Ush-Khideo, qu’il n’ait aucun titre honorifique. À un moment donné, il souleva légèrement sa main de ses genoux et tout le monde se tut.

« Ô roi, dit-il, tu as bien souvent écouté ma voix quand nous partions en guerre contre les Elemaki. Aujourd’hui, ô roi, si mes conseils t’ont jamais été utiles, je te prie de m’écouter et je serai ton fidèle serviteur qui délivrera cette nation de ses chaînes. »

Ce ton formaliste surprit Monush : Khideo n’avait-il pas déjà pris la parole à plusieurs reprises, à l’instar des autres conseillers ?

Ilihiak porta la main à ses lèvres, puis tourna la paume vers l’homme. « Je donne ma voix à Khideo. »

Ah, c’était donc ça ! Khideo n’allait pas donner un conseil en passant : il affirmait un privilège, et Ilihiak l’avait confirmé. Ce qui se jouait là allait plus loin qu’un simple avis au roi. Si son plan était accepté, c’est Khideo, apparemment, qui mènerait l’exode ; mais il craignait sans doute que Monush ne cherche à le supplanter dans ce rôle, aussi prenait-il les devants. Bien sûr, personne d’autre que Monush ne pourrait guider les Zenifi jusqu’en Darakemba ni les présenter au grand Motiak ; mais Khideo n’avait nulle intention de le laisser prendre sa place – ou celle d’Ilihiak – en tant que chef de la nation avant le dernier moment. Quelle manœuvre inutile ! Monush ne se souciait pas de savoir qui détenait l’autorité, tant que le plan qu’il suivait était bon.

« Si le grand Motiak n’a envoyé que si peu d’hommes, c’est qu’un détachement plus important n’aurait pas manqué de se faire surprendre et détruire par les Elemaki », dit Khideo.

Prévisible : il rappelait à tous l’effectif réduit que Monush avait amené ; mais celui-ci ne s’en offusqua pas. Au contraire, il souleva la main et Khideo hocha la tête pour lui transmettre le privilège de parler. « Dans les circonstances, si la puissance du Gardien n’avait pas rendu l’ennemi stupide, nous aurions été pris. » Tout en prononçant ces mots rituels, il se demanda si, dans le cas présent tout au moins, ils n’étaient pas exacts. Pourquoi aucun Elemaki n’avait-il levé les yeux lors des multiples occasions où Monush et ses hommes auraient été visibles sur la face de la montagne ?

« Nous nous proposons maintenant de gagner la liberté de notre peuple tout entier, reprit Khideo. Vous tous à cette table, vous savez que je ne recule pas devant le combat. Vous savez que je ne considère pas même l’assassinat comme indigne de moi. »

Les autres hochèrent gravement la tête, et Monush commença d’entrevoir une explication à son absence de titre. Il n’avait sûrement pas tenté de tuer Ilihiak – mais Nuab avait dû se faire des ennemis à l’époque où il régnait d’une main de fer. Ilihiak pouvait accepter les conseils de Khideo et même le placer à la tête de ses armées, mais certainement pas accorder un titre à un homme qui avait voulu tuer un roi – surtout son père, aussi indigne qu’il se fût montré.

« Notre seul espoir réside dans la fuite, poursuivit Khideo. Mais pour cela, nous devrons emmener au moins une partie de nos troupeaux pour nous nourrir en chemin. A-t-on déjà essayé de faire garder le silence à des dindes ? Nos porcs soutiendront-ils l’allure d’une armée en fuite ? Sans parler de nos femmes et de nos enfants – les nourrissons et les tout-petits : allons-nous les faire passer le long de falaises à pic ? Les obliger à marcher une demi-journée ou plus au pas de charge ?